Ces trois espèces marines jouent un rôle capital pour le climat. Leurs fascinants comportements sont pourtant totalement méconnus, à l’instar de leur contribution à la régulation du stockage de carbone. Les océans abritent une biodiversité gigantesque, au sein de laquelle on retrouve des animaux que les scientifiques considèrent comme de précieux alliés dans notre lutte contre les dérèglements climatiques. Des espèces qui jouent un rôle particulièrement important dans l’absorption du CO2, le fameux dioxyde de carbone, l’un des gaz participant à effet de serre. Si on veut combattre le réchauffement planétaire et le maintenir sous la barre des 1.5 degrés, il faudrait donc protéger ces populations d’animaux, voir même augmenter leurs effectifs. Je t’emmène dans les océans à la découvertes de trois animaux discrets, et particulièrement peu connus pour leur engagement dans la cause climatique. Je t’expliquerai comment ils parviennent à absorber le CO2 et par effet cascade, à limiter l’emprunte des humains sur leur planète. Trois exemples parmi beaucoup d’autres, d’espèces animales précieuses pour les rôles écologiques qu’elles jouent. Changements climatiques et carbone Nous sommes une espèce animale terrestre. C’est donc tout à fait logiquement que nous avons d’abord exploré la terre ferme pour en découvrir quantité d’espèces vivantes. Alors que nous approchons le chiffre d’un million et demi d’espèces animales décrites par les humains, les espèces vivant dans nos océans sont, elles, relativement peu connues. Récemment, plusieurs découvertes intéressantes ont été communiquées par des chercheurs spécialistes des océans et des créatures qui y vivent. Des études qui vont toutes dans le même sens, qui tirent toutes les mêmes conclusions : ils sont nombreux, les animaux océaniques, à participer à la lutte contre les dérèglements climatiques. En séquestrant du carbone, elles limitent l’émission de gaz à effet de serre et donc réduisent le phénomène de réchauffement planétaire. Pour que ce soit clair pour tout le monde, je vous rappelle que les gaz à effet de serre ce sont des gaz naturellement présents dans l’atmosphère. Ils absorbent une partie de la lumière du Soleil et de la chaleur émise par la Terre, et nous garantissent de bonnes conditions de la vie sur notre planète. L’effet de serre qu’ils provoquent est donc un phénomène naturel. Malheureusement, l’activité humaine a généré l’émission de gigantesques quantités de certains de ces gaz, amplifiant l'effet de serre naturel et provoquant des dérèglements sans précédent. Le CO2, le gaz carbonique, fait partie de ces gaz à effet de serre. Il est créé par la décomposition naturelle de matières animales ou végétales, mais est normalement absorbé par les plantes au cours du processus de photosynthèse, qui transforme le CO₂ et l'eau en sucres sous l'effet de la lumière solaire. Malheureusement, le CO2 est rejeté grandes quantités suite aux activités humaines, principalement : par la production d'énergie par la combustion de charbon, de pétrole ou de gaz naturel, par la conversion de forêt en zones agricoles, et par divers processus industriels comme la production de ciment et autres activités dans la pétrochimie et la sidérurgie. Résultat : les émissions de CO2 ont doublé au cours des dernières décennies, faisant de ce gaz le principal responsable de l’effet de serre, et donc du réchauffement planétaire que nous connaissons. Les algues, les arbres et les plantes non ligneuses jouent un rôle majeur dans la lutte contre le réchauffement climatique car ces organismes autotrophes absorbent le carbone, notamment lorsqu’elles fabriquent des sucres durant la photosynthèse. Ce qui empêche ce CO2 de finir dans l’atmosphère et de participer au réchauffement global. Mais si on sait depuis fort longtemps que les végétaux nous aident dans ce combat, le rôle des animaux est beaucoup clair, surtout lorsqu’il s’agit des espèces marines. Et dans un travail très récent, des chercheurs affirment que le rôle des animaux dans le contrôle du cycle du carbone est largement sous-estimé. Poisson abyssal Le contexte étant posé, je t’emmène dans les profondeurs de l’océan Pacifique pour découvrir le premier des trois exemples d’animaux qui œuvrent dans l’ombre à la régulation du dioxyde de carbone. Ce mystérieux petit poisson des abysses est l’un des nombreux poissons-lanternes qui vivent à des profondeurs comprises entre 200 et 1500 mètres de profondeurs. Et aussi étrange qu’il puisse paraitre, il semble fondamental pour le climat, et dans une proportion qu’on ne soupçonnait pas jusqu’à tout récemment. Ces poissons sont très abondants dans nos océans, si abondants que certains scientifiques estiment qu’ils représenteraient plus de 50% de la biomasse des poissons des zones abyssales océaniques. Pour te donner une échelle approximative : pour chaque humain sur terre, il y aurait 2 tonnes de ces poissons. On les nomme poissons lanternes car ils possèdent un peu partout sur leur ventre des organes bioluminescents appelés photophores. Ce sont amas d'écailles modifiées qui leur permettent de communiquer, de se camoufler ou d'attirer des proies en produisant une lumière bleue-verte, qui est le résultat d'une réaction chimique déclenchée par leur système nerveux. Leur particularité réside dans le fait qu’ils montent en surface la nuit pour se nourrir, et redescendent dans les profondeurs sombres pendant le jour. On peut parler d’une migration, mais une migration qui est verticale, qui a lieu chaque jour, et qui est pratiquée par de très nombreux individus. Et c’est ainsi que j’en arrive au carbone. Pour certains chercheurs, les poissons-lanternes joueraient un rôle si important dans la séquestration du carbone que, sans eux, le niveau de CO2 dans l'atmosphère serait supérieur de moitié à celui d’aujourd’hui, et la température serait plus élevée de quelques degrés. Rien que ça ! Comment participent-ils donc à cette séquestration du carbone? Premièrement parce que leurs cadavres sont riches en carbone et sont déposés à proximité du plancher océanique, suffisamment en profondeur pour ne pas subir trop la dégradation par les bactéries qui elles vivent plus proches de la surface, et qui auraient libéré ce carbone dans l’atmosphère si elles en avaient eu l’occasion. Deuxièmement parce qu’ils rejettent dans les profondeurs des crottes riches en ion carbonates, du carbone donc. Du carbone qu’ils ont consommé lorsqu’ils sont remontés vers surface pour s’alimenter et qu’ils ramènent donc encore une fois vers les profondeurs, l’empêchant d’être libéré dans l’atmosphère. Leurs crottes aident donc à désacidifier les eaux de surface des océans, et permet donc aux restes des êtres vivants d’être en bonne santé. On estime ainsi que les 250 espèces de poissons-lanternes feraient couler dans le fonds des mers des quantités astronomiques de carbone. Un carbone qui une fois ramené dans les fonds marins sort pour grande partie du jeu climatique pour des milliers d'années. Difficile de chiffrer leur contribution aux changements climatiques, mais selon les modèles on avoisinerait tout de même 0.5% des émissions mondiales. Heureusement pour lui, le poisson-lanterne est désagréable au goût et peut contenir des toxines. Donc les consommateurs ne veulent pas de ce poisson, qui évite donc la surpêche. Mais les récents progrès technologiques ont malheureusement facilité la capture et la transformation de ces espèces en farines et huiles de poisson qui intéressent grandement le secteur de l’aquaculture. Loutres de mer Après les poissons-lanternes, je t’emmène à la découverte du rôle joué par les loutres de mers. Ces mammifères, semi-aquatiques, appartiennent à la famille des Mustélidés, ce qui signifie qu'elles sont parentes avec les mouffettes, les blaireaux et même les furets. Elles profitent d’un pelage épais et isolant, pour évoluer dans les eaux froides des côtes de l'océan Pacifique, depuis le nord du Japon et la Russie, jusqu'à la Californie et même le Mexique. Leur queue est relativement courte par rapport à leur corps, elle joue un rôle de gouvernail, ce qui les aide à nager rapidement et avec agilité. Ces animaux très sociaux sont de vrais acrobates une fois dans l’eau. Elles plongent jusqu'à 60 mètres de profondeur pour chasser leur nourriture préférée, comme les crabes, les oursins, les mollusques et même parfois les poissons. Elles remontent leurs proies en surface, qu’elles mangent en nageant sur le dos. Elles utilisent leur ventre comme une table à manger flottante, où elles cassent les coquilles dures, s’aidant parfois de cailloux trouvés au fond de l’eau. Mais la nage sur le dos est très commune chez les loutres de mer, et on suppose qu’il s’agit d’ailleurs d’une adaptation à la vie en eau froide, car cette position permet de maintenir le bout du museau et les pattes hors de l’eau. Ce sont en effet des zones de leur corps qui sont dépourvues de fourrure. Les loutres se reposent sur le dos en s'enroulant dans les frondes géantes de kelp, ce qui leur évite de dériver pendant qu'elles mangent ou pendant leur sommeil. Et justement, le Kelp, est au cœur de leur contribution au climat. Le rôle des loutres de mer pour la vivacité de la pompe à carbone biologique océanique est fondamental, à un niveau si important qu’on n’imaginait pas il y a de ça quelques années. Ces grandes algues brunes forment de véritable forêts dans le Pacifique Nord. Elles poussent extrêmement vite (on parle de 60cm par jour !) et ce faisant, elles séquestrent le CO2 de l’atmosphère. Certains chercheurs affirment qu’une forêt de kelps en piège 10x plus qu’une forêt terrestres parmi les plus actives. Ces algues sont ancrées sur le sol et flottent jusqu'à la surface grâce aux flotteurs qui se trouvent à la base des feuilles. Les kelps sont ainsi de grandes pouponnières où quantité de poissons se reproduisent. Ces poissons envoient de la matière organique riche en carbone sur le sol, ce qui stimule la vie des coquillages ou des crustacés, en plus d’en transformer une partie en sédiments stables dans le temps. Les kelps sont donc des espaces importants qui participent à refroidir l’atmosphère. Et les loutres de mer sont super importantes pour la bonne santé de ces forêts sous-marine. Car les loutres figurent parmi les seules espèces à parvenir à consommer en quantité des oursins. C’est que leurs picots repoussent plus d’un prédateurs évidemment. Or l’oursin est particulièrement friand du kelp. Quand il y a des oursins en masse, il y a peu de kelp. Je te renvois d’ailleurs vers mon premier livre « Un Tanguy chez les hyènes » où je te présente les comportements surprenants des oursins au sein de ces forêts sous-marines. Le lien est dans la description. Si tu cliques dessus cela supporte le travail que je fais. Sur les zones où les loutres sont absentes depuis 1 siècle, on compte jusqu’à 20 fois moins de ces forêts sous-marines de kelp que lorsqu’elle est présente, car les algues y ont subi la voracité des oursins. Mais les loutres ont été chassée méthodiquement à partir du 18e siècle pour leurs fourrure incomparablement dense. Avec 170 000 poils au cm2, il s’agirait de la densité la plus élevée du règne animal. Elle a donc bien failli disparaître. Sur une population initiale estimée à 1 million d’individus, on en dénombrait seulement 2 000 il y a un siècle. Mais heureusement aujourd’hui elles sont environ 100 000, à majorité en Alaska et en Russie. Pour tenter de chiffrer un petit peu le boulot des loutres dans la séquestration du carbone, via la protection des kelps, une équipe de l’université de Santa Cruz a montré que dans une zone océanique localisée près de l’île de Vancouver, elles auraient permis de stocker l’équivalent de 25 millions de tonnes de CO2. Soit l’équivalent des émissions d’un million de voitures chaque année. Les cachalots Après être passé par la surface des eaux océaniques, je te propose de replonger dans les profondeurs en compagnie du grand cachalot. Il s’agit du plus grand représentant de la famille des cétacés à dents. On les retrouve dans tous les océans du monde, des eaux polaires glacées aux mers tropicales chaudes. Les grands cachalots sont des créatures fascinantes sur le plan comportemental. Ils sont connus pour leurs chants mystérieux qui résonnent à travers les océans, pour leurs habitudes et modes de vies sociaux, mais aussi pour leurs plongées incroyablement profondes, qui peuvent durer jusqu'à 90 minutes. Dans les abysses, ils chassent leurs proies préférées, comme les calamars géants. Pour les trouver, ils descendent en apnée à des profondeurs atteignant plus de 2 kilomètres. Les autres espèces de baleines diffusent des nutriments de manière horizontale, en se nourrissant à un endroit et en déféquant un purin riche en azote, phosphore et fer à un autre. Mais la particularité du cachalot, c’est que lui, il le fait de manière verticale. Et c’est là une particularité importante pour l’ensemble des océans et notre climat, tu vas vite le comprendre. En descendant chasser les grands calamars des abysses le cachalot remonte de précieux nutriments vers la surface à travers ses déjections. Oui parce que contrairement aux poissons abyssaux que nous avons décrits plus tôt, le cachalot, lui ne peut déféquer que lorsque la pression de l’eau est basse, c’est-à-dire à proximité de la surface. Et il aura fallu attendre les travaux tout récents d’une équipe australienne pour mesurer le rôle climatique de ce comportement. Pour les comprendre il faut que je t’explique le rôle primordial du phytoplancton : ce sont divers microorganismes, parmi lesquels protistes et bactéries, qui sont autotrophes, pratiquant la photosynthèse, et qui sont donc, tu l’as compris, des pièges à carbone. Sauf que le phytoplancton pour proliférer a besoin lui aussi de se nourrir, et l’un des aliments qui lui fait le plus défaut, c’est le fer. Et bien selon ces chercheurs australiens, les 12 000 cachalots de l'océan Austral remonteraient environ 50 tonnes de fer chaque année qu’ils rendent biodisponible pour l’heureux phytoplancton qui se trouve en surface. Chaque kg de fer réintroduit vers la surface par les cachalots permet la naissance de centaines de kg de plancton. On estime ainsi que les cachalots de l’Antarctique permettent de capturer directement 2 fois plus de carbone que tout ce qu’ils émettent dans leur vie. Ce phénomène aurait pu être dix fois plus important si l'espèce n'avait pas été pourchassée durant deux siècles. On peut en effet estimer qu’une reconstitution d’une population d’un million de cachalots, soit le même nombre approximatif d’avant leur extermination par l’Homme, pourrait permettre de capter chaque année plusieurs millions de tonnes de CO2 supplémentaires. Tu l’as compris avec les exemples que l’on vient de détailler, les comportements surprenants de vas et viens de certaines espèces marines entre la surface et les profondeurs, sont essentiels au maintien de la vie dans les océans, et par conséquent au maintien d’un climat supportable pour notre planète, et en particulier pour nous, les humains. Encore récemment, des chercheurs présentaient des preuves scientifiques démontrant que la protection et la restauration des animaux sauvages peuvent améliorer le captage et le stockage naturel du carbone. Ils appellent à inclurent la restauration et la conservation des animaux et de leurs rôles dans les écosystèmes en tant qu’élément clé des solutions climatiques naturelles susceptibles d’empêcher un réchauffement climatique au-delà de 1,5 °C. Si je suis d’accord évidemment avec leurs conclusions, je rappelle que nous ne devons absolument pas compter sur ces espèces océaniques pour faire le travail à notre place. Car les chercheurs le précisent bien, si ces espèces animales sont des alliés précieux dans la lutte contre le réchauffement du climat, le rapport du GIEC souligne avec insistance l’importance de réduire nos propres émissions de CO2. Il faudrait en France par exemple, les réduire de 85% d’ici 2050 pour se maintenir sous la barre des +1,5 degrés.
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Novembre 2024
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