Les animaux ont-ils de la personnalité ? La réponse est oui. Dans cet article, il sera question d’oiseaux, de mammifères et même d’insectes qui ont du caractère. Chez ces espèces certains individus se montrent plus audacieux, moins sociables, plus agressifs ou moins persévérants que d’autres. Et on va voir que ces traits de personnalité ont des répercussions sur leur couple, leur alimentation ou même leur espérance de vie. Commençons avec une première étude datant de 2022 et menée par des chercheurs américains, qui nous racontent les observations réalisées sur une population de diamants mandarins, et plus particulièrement sur deux individus, qu’on a qu’à nommer Isidore et Robert. Ils se connaissent depuis trois ans déjà. Avec leurs compagnes respectives, ils se sont installés au sein d’une communauté de diamants, dans une zone buissonnante localisée à proximité d’un petit ruisseau. Leur quartier est si agréable qu’ils sont près d’une centaine de mandarins à y avoir élu domicile. C’est que rien ne manque dans ce parc naturel protégé du centre de l’Australie. Malgré l’aridité, ils vivent confortablement. Les graminées sont abondantes et offrent de quoi manger toute l’année. Les nombreux buissons offrent à chacun de quoi construire un nid douillet. D’ailleurs, seules quelques dizaines de centimètres séparent les domiciles des deux compères, si bien qu’ils se côtoient tous les jours. Isidore et Robert s’entendent relativement bien, malgré … des tempérament fort différents. Robert est un mâle que nos éthologues qualifient de dominant. Il n’hésite pas à se ruer sur la nourriture découverte par l’un de ses congénères pour la lui dérober. Il distribue aussi volontiers des coups de bec lorsqu’il le juge nécessaire pour rappeler qu’il est le plus fort. Robert est curieux, assez peu craintif et plutôt audacieux pour un oiseau de son espèce. Si bien qu’il se rapproche souvent sans hésiter de tout objet nouveau qui apparaitrait dans son environnement pour en découvrir la nature, et estimer s’il peut s’en nourrir. Isidore est très différent. C’est un timide, relativement pacifique. Il laisse toujours son ami Robert se nourrir avant lui. Il est d’un naturel prudent, et évite les prises de risque. Donc il ne s’éloigne jamais des buissons où il a élu domicile. Ne lui demandez donc pas de partir en reconnaissance pour explorer de nouvelles zones ! En revanche, Isidore est obstiné et a toujours eu un don pour la résolution de problèmes. Il ne les résout pas forcément rapidement, mais il finit souvent par y parvenir. Comme la fois où il a réussi -à force de persévérance- à accéder à un morceau de pain abandonné dans une boite abandonnée par des promeneurs. La boite était fermée par une ficelle nouée. Il avait fallu à Isidore de longues minutes de persévérance pour comprendre qu’en tirant sur la ficelle il libérait le nœud et avait accès au bout de pain contenu dans la boite. On comprend bien donc qu’Isidore et Robert ont des personnalités très différentes. Et c’est le cas pour les 41 oiseaux dont nos éthologues américains ont observé des traits comportementaux comme l’audace, la prise de risque, la peur de l’inconnu, l’agressivité ou encore l’obstination. Pour évaluer tous ces caractères, l’idée était toujours à peu près la même, les oiseaux étaient placés dans une cage dans des situations contrôlées par les chercheurs. Par exemple, pour évaluer le caractère de dominance, les oiseaux étaient placés par groupe de 10 mais avec une seule source de nourriture. Et les scientifiques regardaient qui jouait des coudes et finissait par manger le premier. Pour évaluer la peur de l’inconnu, l’oiseau était placé seul dans une cage et les chercheurs y introduisaient un objet que l’oiseau n’avait jamais vu, comme un jouet pour chat, de préférence de couleur flashy. Et ils regardaient si l’oiseau s’en approchait rapidement. Pour évaluer l’agressivité, ils placaient l’oiseau devant un miroir et ils comptaient le nombre de fois où il agressait son image à coup de bec . Parce que oui, ces oiseaux échouent au test du miroir, qui permet d’évaluer la conscience de soi. Il faudrait que je vous fasse un article sur ce thème un jour d’ailleurs. Nos chercheurs concluent également que la personnalité des oiseaux impacte directement leur vie au quotidien : par exemple, plus un oiseau est obstiné plus souvent il parvient à résoudre des problèmes. Ou encore : plus un oiseaux est dominé et plus il est lent dans ses tâches quotidiennes. Leur conclusion est claire : la personnalité est directement liée aux capacités intellectuelles de l’individu. Et la personnalité pourrait même avoir des répercussions sur la vie amoureuse de l’animal. C’est en tout cas ce que suggère cette autre étude. Pour mieux comprendre les conclusions de ce travail, poursuivons l’histoire d’Isidore et Robert. Nos deux lascars sont tous deux en couple depuis plusieurs années. Chacune des deux paires a des petits chaque année, des petits qui ont quitté le nid familial en fin de saison. La période de la reproduction approche à nouveau. Lorsqu’il était un jeune mandarin, Robert avait séduit sa compagne grâce à son chant particulièrement original, qui avait attiré à lui de nombreuses prétendantes. Robert peut aussi se vanter d’avoir de très larges taches colorées sur les joues, sans oublier la teinte orangée de son bec. Oui, Robert est ce que l’on peut appeler un « beau gosse », il a tout du mâle très séduisant. Isidore … disons qu’il a moins de qualités physiques que son ami, mais il est en bonne santé. L’année précédente, il avait participé à la couvaison des œufs et au nourrissage des petits et s’est donc montré un bon père de famille. Pourtant, cette année, le couple d’Isidore bat de l’aile. Depuis quelques jours, la communauté de mandarins a été rejointe par un petit groupe d’étrangers, des mandarins ayant quitté leur précédent domicile, sans doute à cause d’un prédateur ou parce que la nourriture s’y faisait rare. Les mandarins étrangers ont rapidement été accueillis au sein de la communauté à laquelle Isidore et Robert appartiennent. Et le lendemain de leur arrivée, la compagne d’Isidore avait été rejointe par l’un des mâles étrangers alors qu’elle était perchée sur une branche. Le visiteur s’était égosillé en sa direction avec tant de persuasion que Madame Isidore n’en est pas restée complètement indifférente. Pendant plusieurs jours, les deux amants se sont côtoyés régulièrement à la vue de tous. C’est que ce bel étranger à de belles joues colorées et chante vraiment très bien. Mieux qu’Isidore. Ce soir-là, sa compagne n’est pas rentrée au nid familial et a plutôt décidé de consacrer les prochaines semaines à consolider son nouveau couple. Si Isidore a en effet un caractère peu dominant, il a une qualité, on l’a vue, il est persévérant. Isidore ne se laisse donc pas abattre. Après s’être fait ainsi plumer, il décide de ne pas se prendre le bec avec les deux amants ni de les asséner des pires noms d’oiseaux (mimer batterie). Poussé par le même instinct reproducteur que son ex-compagne, il identifie une célibataire et multiplie envers elle les comportements volages. Cette célibataire est devenue son nouvel oiseau rare. Hors de question de rester le bec dans l’eau ! Malgré le coup dans l’aile qu’il vient de prendre, il choisit de se montrer fier comme un paon, gai comme un pinson. C’est vrai, il n’a pas le visage le plus coloré ou les talents de chanteur les plus aiguisés, mais il n’hésite pas à tenter sa chance. Il est timide, oui, mais il ne manque pas d’obstination. Si bien que ce qu’il lui reste de charme finit par faire mouche. Quelques jours plus tard, il est occupé à construire un nouveau nid en compagnie de sa nouvelle dulcinée. La personnalité des oiseaux est démontrée, tout autant que l’implication de la personnalité dans la survie et la reproduction des individus. Comme le disent très bien ces deux chercheuses allemandes: Isidore et Robert ont de la personnalité, car leurs comportements remplissent les trois conditions (1) ils se comportements différemment des autres membres de leur espèce (faire apparaitre les mots « Différences individuelles »); (2) leurs comportements à chacun sont stables au cours de leur vie (faire apparaitre les mots « Stabilité temporelle »); et (3) Ces traits de personnalités sont les mêmes dans les différentes situations de vie (faire apparaitre les mots « Stabilité contextuelle ») : face à de la nourriture, face à un partenaire potentiel ou face à un danger, par exemple. Laissons Isidore et Robert et parlons à présent des mangoustes. Non Louis, ça c’est la langouste. Mangouste. Voilà c’est ça. La mangouste rayée, c’est un petit mammifère carnivore d’Afrique au corps allongé qui creuse la terre à l’aide de très longues griffes. Ils sont très sociaux. Et ces chercheurs-ci se sont beaucoup intéressé à leur traits de personnalité. Alors comme pour l’histoire d’Isidore et Robert, intéressons-nous de plus près à Chantal. Chantal vit dans une communauté établie sous une ancienne termitière. Avec ses congénères, elle y avait creusé un réseau complexe de tunnels et de chambres à coucher abritant aujourd’hui vingt-trois habitants. La petite communauté est d’ordinaire très soudée mais ces deux derniers jours, les tensions s’accumulent. Les mâles se chamaillent. C’est que le grand jour approche ! Chantal, comme les quelques autres femelles adultes seront bientôt prêtes à se reproduire, un événement qui survient tous les trois mois environ. Bon inutile de vous faire un dessin, mais c’est la fête dans les tunnels obscures pendant quelques heures. Si bien que trois mois plus tard, les petits naissent et les adultes ne savent plus où donner de la tête. Chantal a donné naissance à 4 petits, et elle n’est pas la seule, si bien que le nombre de mangoustes a, en quelques heures à peine, quasiment doublé dans les galeries souterraines ! Chaque femelle ayant donné naissance participe à l’allaitement des dizaines de nouveau-nés. Aucune distinction entre les bambins : s’il reste une mamelle libre, tout nouveau-né peut s’y nourrir à satiété. De leur côté, les mâles -qu’importe qu’ils soient ou non l’un des pères de ces petits, participent à l’effort. Quelques-uns jouent ainsi le rôle de babysitteurs : ceux-là se retrouvent dans une chambre obscure, entourés de la marmaille, et ils veillent à ce qu’aucun prédateur ne vienne jeter son dévolu sur les petits. D’autres mâles se chargent d’emmener les jeunes en âge de se déplacer en promenade hors des galeries creusées. Une fois en surface, ils surveillent les environs et donnent l’alerte en cas de danger. Ils leur indiquent comment attraper des mille-pattes, ils les toilettent et ne ratent pas l’occasion de se lancer dans des jeux. Les nouveau-nés passent ainsi de femelles à mâles, alternant activités de nourrissage, de gardiennage et de promenade. Habituellement, lorsque Chantal ôte ses mamelles des bouches affamées d’un groupe de nouveau-nés, elle s’attend à ce qu’un mâle vienne les prendre en charge. Sauf que … certains congénères mâles manifestent un peu moins d’enthousiasme que d’autres à lui venir en aide. Et ce n’est pas du tout lié au fait qu’ils ont été choisis comme père ou non cette saison-ci. Ni d’une quelconque forme de rancune d’ailleurs. Non c’est juste qu’il arrive très souvent de voir un mâle, parfois père de nombreux nouveaux bambins, détourner la tête lorsque son tour de garder les enfants arrive. A l’inverse, un mâle non sélectionné comme géniteur peut tout à fait se montrer particulièrement investi dans la surveillance et le jeu avec les jeunes. Point question de fatigue temporaire non plus. Ce sont toujours les mêmes qui font preuve de manque d’investissement. Car oui, les éthologues à la base de cette étude le confirment : il existe au sein des communautés de mangoustes, comme ailleurs, des individus paresseux et d’autres beaucoup plus enthousiasmés à l’idée de s’occuper des enfants. Cela fait partie des traits de personnalité bien observés et caractérisés chez les mangoustes. La question de la personnalité chez les animaux se pose dans la communauté scientifique depuis près d’un siècle, mais a pris un coup d’accélérateur ces dernières années. Et c’est passionnant. Aujourd’hui on est convaincu que les vertébrés ont de la personnalité, on vient de le voir avec des oiseaux et des mammifères. Mais qu’en est-il des invertébrés : insectes, vers, araignées ou limaces ont-ils eux aussi de la personnalité ? Présentent-ils les trois critères de « Différences comportementales individuelles » de « Stabilité temporelle » et de « Stabilité contextuelle » ? Et surtout, à quoi cela sert de s’intéresser à cette question ? Figure-toi que j’ai été étonné de découvrir des centaines d’études sur cette question. La personnalité est démontrée chez presque tous les groupes d’animaux invertébrés : il y a des Bernard l’Hermite plus ou moins audacieux, des crabes plus ou moins agressifs, des pucerons plus ou moins prudents, des abeilles plus ou moins assertives. Je t’en épingle une seule, une dernière menée cette fois sur la personnalité des mouchettes qui tournent autour de votre corbeille à fruit en été. Ces mouches qu’on appelle des drosophiles volent habituellement en directement de la lumière quand elles sont dérangées. Mais il arrive que certaines d’entre elles en décident autrement. Des individus mouches sont peu attirés par la lumière, et prennent une direction hésitante, alors que d’autres encore sont carrément repoussées par la lumière lorsqu’elles se mettent en vol. Et les chercheurs reviennent à la définition que je vous ai données tout à l’heure de la personnalité : ils démontrent que ces traits de caractères sont stables dans le temps (une mouche qui fuit la lumière la fuit toute sa vie) et sont indépendants du contexte. CQFD, les mouches ont de la personnalité. Alors à quoi cela sert de s’intéresser à la personnalité chez ce minuscule insecte. Et bien l’avantage c’est que l’on peut étudier les bases génétiques de la personnalité. Car on ne sait finalement pas très bien si la personnalité est codée dans les gènes. Si tu es une personne prudente ou bien obstinée est-ce inscrit dans ton génome ? et d’où cela provient-il au cours de l’évolution. Comment la personnalité se traduit-elle en réaction chimique dans notre corps ou comment a-t-elle évoluée au cours des derniers millénaires, tout cela reste un mystère. Et étudier ces questions à l’aide d’insectes rend les choses beaucoup plus simples, car les insectes nécessitent peu de ressources pour les multiplier et les étudier. D’autant plus qu’ils se reproduisent rapidement, en grand nombre et leur génome est bien connu.
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Décembre 2024
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