La société Ynsect, le géant Français de l’élevage d’insectes, est menacée de faillite. Et en lisant cette info je me suis posé cette question : Pourquoi il n’y a toujours pas d’insectes dans ton assiette ? Au début du siècle, les plus grands spécialistes prédisaient pourtant qu’ils seraient présents dans chacun de nos repas. Il y a peu, des études concluaient que les européens étaient enfin prêts à accueillir les insectes dans leur alimentation. On a d’ailleurs vu apparaitre des plats à base de vers de farine dans les rayons de nos supermarchés. Des entreprises d’élevage d’insectes ont soulevé des millions d’euros d’investissement. Des initiatives citoyennes se sont organisées pour démystifier le grillon ou le criquet sur un toast ou une pâtisserie. Résultat ? … aujourd’hui tu n’en manges pas plus qu’avant, nos supermarchés ne vendent presque pas ces produits, et des sociétés high tech comme Ynsect peinent à remplir leur carnet de commande, jusqu’à se voir menacées de faillite. On peut peut-être commencer par-là justement. La société Ynsect est donc en grande difficulté. La nouvelle a fait les gros titres de toutes les pages ‘économie’ à la fin de l’été. Il s’agit de l’une des plus célèbres et emblématiques stars de la French Tech. Elle produit des aliments à base d’insectes, destinés à l’alimentation animale et humaine. Mais voilà, elle vient de se placer sous procédure de sauvegarde : elle a donc un an pour trouver une solution à ses problèmes financiers. Elle avait pourtant levé plus de 550 millions d’euros depuis sa création en 2011 et promettait à l’époque une rapide rentabilité, grâce à un carnet de commandes bien rempli. Sauf qu’en 2022, la société n’a vendu que pour 568 000 euros de produits finis et a enregistré près de 90 millions de pertes. Fini l’euphorie, place au dur labeur de la restructuration. Ynsect s’est notamment spécialisé dans la production en masse de Ténébrions meuniers, que l’on appelle aussi vers de farine, ou Tenebrio molitor en latin. On parle de 45.000 mètres carrés tout de même, soit environ 8 terrains de football dédiés à l’élevage d’insectes. Ce Coléoptère n’est pas choisi par hasard évidemment, car ses qualités sont multiples. La principale sans doute c’est que ses larves sont très riches en protéines : on parle d’un taux de 60 à 70%. Mais l’insecte se reproduit aussi très vite et n’a pas de folles exigences pour se sentir bien et se reproduire dans les locaux d’élevage industriel, donc ça ne coute pas trop cher de le multiplier. Pour le nourrir, on peut lui offrir de nombreux déchets végétaux, issus par exemple de l’industrie agroalimentaire, qu’ils vont donc convertir très efficacement en protéines. En plus il n’a pas besoin d’apport en eau, puisqu’il est capable de récupérer l’eau contenue dans l'air atmosphérique et dans ses aliments, même s’ils sont très desséchés. Le tout pour un élevage relativement peu gourmand en énergie. A côté du ver de farine d’autres espèces sont couramment étudiées ou élevées dans un but de consommation, en raison aussi de leur profil nutritionnel intéressant, de leur facilité d’élevage, et un peu aussi de leur acceptation croissante par les consommateurs et les autres acteur du marché. Je retiens le grillon domestique (Acheta domesticus) et son goût subtil, proche de la noisette, qui le rendrait adaptés pour des snacks ou des farines protéinées. Le criquet migrateur (Locusta migratoria) car il a lui aussi une haute teneur en protéines. Et un petit gout de poulet grillé. Le petit ver de farine (Alphitobius diaperinus) ou ver Buffalo, dont le gout est plus neutre et qu’on destine surtout aux compléments alimentaires pour animaux. Et enfin la mouche soldat noire (Hermetia illucens), principalement élevée pour la production d’aliments pour animaux, notamment pour les poissons et les volailles. Soyons de bon compte, cette espèce a du potentiel pour la consommation humaine en raison de sa croissance rapide et de sa capacité à se nourrir de sous-produits organiques. Mais si l’aventure de la société Ynsect bat de l’aile, ce n’est pas tant à cause de leur choix de l’insecte à élever que de l’absence de demande de la part du marché, et donc de toi et moi. Pourtant je te le disais en introduction, elles étaient nombreuses les études scientifiques à annoncer que le consommateur était prêt à manger des insectes. D’ailleurs penses-tu que des investisseurs fortunés aurait misé leurs billes dans une nouvelle société high tech si on ne leur avait pas apporté -à l’époque- plein de garanties de succès ? Selon cette étude de 2014, les belges étaient près à franchir le cap. Et même s’ils ont montré une certaine hésitation à gouter les plats à base d’insectes qu’on leur a proposé, une majorité écrasante a annoncé avoir envie de cuisiner et consommer des insectes dans un futur proche. Le problème il est bien sûr dans la tête des européens. Car à l’échelle du globe, c’est 80% des humains qui mangent des insectes. En fait, tout le monde adore manger des insectes. Avec les nords-américains, on est littéralement les seuls à ne pas les considérer comme des aliments haut de gamme. Je t’assure, j’ai personnellement vécu deux situations qui le prouvent. Il y a quelques années j’ai eu l’occasion de gérer un beau projet de développement à Madagascar. Les Malgaches ont sur leur territoire plusieurs espèces de vers à soie. Les chenilles de ces papillons tissent leur chrysalide à l’aide d’un fil de soie. Autrefois l’extraction de la soie et la confection de tissus était une activité rentable qui permettait principalement aux femmes de retirer une source de revenu non négligeable. Mais en quelques décennie, l’insecte avait largement disparu des forêts des hauts plateaux. La faute bien sûr à la réduction des surfaces forestières mais aussi à la consommation des chenilles par les habitants. Alors que les parents partaient aux champs, les enfants étaient envoyés dans les forêts de Tapia pour collecter les chrysalides dans les arbres, chrysalides qui sont ensuite cuisinées ou revendues à prix d’or. Car ce sont de véritables délicatesses. Si le thème t’intéresse j’ai écrit un livre gratuit intitulé les « Vers à soie malgaches ». Au Mexique j’ai eu l’occasion d’observer la même adoration pour un insecte délicieux. Oui oui, je l’ai gouté. Dans le Sud du pays, les habitants attendent avec impatience la période d’essaimage de la fourmis Atta mexicana. Mâles et femelles prennent leur envol pendant 2 ou 3 jours par an pour se reproduire, avant de retomber au sol. Et là je t’assure que c’est chacun pour soi, tout le monde veut en récolter un maximum pour les manger ensuite en famille. Certains stockent même ces fourmis en sachets au congélateur, pour les revendre plus tard, quand plus personne n’en aura sous la main. Ils les font revenir dans une poêle avec un peu d’huile, de sel et de citron, et là c’est festin. D’ailleurs mon petit conseil : tiens-les par la tête et mange reste du corps. Dans la tête il y a les mandibules et c’est un peu coupant et ça reste entre les dents. Voilà je pourrais te citer des milliers d’exemples comme ces deux-là, car selon cette étude, on estime que sur Terre, 3000 groupes ethniques consomment en tout 2000 espèces d’insectes différentes. C’est beaucoup plus que les quelques espèces de mammifères que nous consommons en masse, comme la vache, le cochon ou le mouton. Il existe donc une énorme variété d’aliments que nous n’exploitons pas. Et ces gens, au Mexique, à Madagascar, au Laos … ils ne mangent pas des insectes parce qu’ils doivent, mais parce qu’ils les considèrent comme des mets délicieux et précieux. Les insectes en Europe ou aux USA, on en mange peut-être pas … juste par principe. Et bien selon Marcel Dicke, un collègue entomologiste et professeur à l’Université de Wageningen aux Pays-Bas, chaque année, chacun d’entre nous consommerait déjà, sans le savoir, environ 500 grammes d’insectes. Oui, un demi-kilo. Ces insectes se retrouvent coincés dans de nombreux aliments de notre quotidien : jus de fruits, légumes, farine, pain, gâteaux… mais c’est vrai, surtout dans des produits transformés ou emballés, plutôt que dans des produits frais et biologiques. Par exemple, un verre de jus d’orange peut légalement contenir quelques mouches des fruits, et un sachet de légumes surgelés peut contenir quant à lui contenir quelques dizaines de pucerons, voire quelques larves de chenilles. Les aliments en conserve, comme les tomates, contiennent des fragments d’insectes (pattes, têtes, thorax). Bien que ces résidus puissent surprendre, je te rassure, ils sont sans danger et même nutritifs. Tu vas me dire que c’est par accident, et je te répondrais que tu manges déjà des insectes volontairement. Des confiseries, du surimi ou l’alcool Campari. De nombreux aliments de couleur rouge sont ainsi colorés avec un petit insecte que l’on nomme cochenille. Le surimi c’est du poisson de couleur blanche qui est coloré avec du carmin, le colorant obtenus grâce à ces insectes qui vivent sur des cactus, et qu’on produit en centaines de tonnes au Pérou. Ce ne sont pas ceux qui mangent des insectes qui sont bizarres, mais nous en Europe, qui refusons d’en manger. La question qu’il faut se poser à présent c’est peut-on s’en passer ? Je ne t’apprends rien si je te dis que la population mondiale augmente. Et ce n’est pas linéaire. Ce n’est pas progressif. Non. C’est exponentiel. Début du 20ème siècle, nous étions 2 millions sur terre. 50 ans plus tard nous avions dépassé le 3 millions. En l’an 2000 nous étions à 6 millions d’humains, et on en prévoit 10 millions en 2050. En passant de 2 à 10 millions, notre population sera multipliée par 5 en 150 ans. Nous avons plus de bouches à nourrir et donc aussi, de moins en moins d’espace pour produire notre nourriture. Sans compter qu’on vit mieux et plus longtemps qu’il y a un siècle ou deux. On a aussi tendance à manger plus de viande. On estime qu’un américain mange en moyenne 120 kilogrammes de viande par an, dans les autres pays dits développés la moyenne se situe autour des 80 kilogrammes, alors que ce chiffre n’est que de 25 kg dans les pays en développement. Mais cette consommation explose aussi là-bas. Par exemple le chinois moyen est passé de 20 à 50 kg de viande par an en 20 années. Donc si tout le monde continue d’augmenter sa consommation de viande, alors on a un soucis. Aujourd’hui, 70% des surfaces agricoles dans le monde sont utilisées pour produire de la viande. Les prairies bien sûr, mais aussi les surfaces destinées à l’abatage, et la transformation de la viande. Mais cette surface va devoir augmenter donc. Que fait-on ? Doit-on continuer de déforester l’Amazonie pour agrandir les pâturages ? Même en sacrifiant la forêt amazonienne on n’y arrivera pas ! Car la demande en viande explose, et la population humaine aussi ! Il faut donc produire de la viande autrement. Oui parce que cet article n’est pas là pour faire l’apologie du végétarianisme, mais pour réfléchir à l’avenir de la production et la consommation des insectes. Avec 10 kg de ressources végétales, vous produisez 1kg de bœuf, 3 kg de porc, 5 kg de poulet et 9 kg de criquets. Avec 10 on pourrait faire 9, mais on décide de faire 1. On décide de ne pas saisir le bonus pour le moment. Donc si tu étais un entrepreneur, comme ceux qui ont créé la société Ynsect, qu’aurais-tu fait ? Tu aurais toi aussi opté pour le meilleur rendement, celui qu’offre les insectes. Et puis vient la question environnementale. Si on prend 10 kilogrammes de nourriture, et qu’on fabrique avec ces 10kg, 1 kg de bœuf, alors par logique nous produisons 9 kg de déchets. Des crottes de vaches en l’occurrence. Les insectes produisent donc peu de déchets, peu d’ammoniac et moins d’émission de gaz à effet de serre. Enfin on pourrait se demander si cette faillite à venir serait liée à la mauvaise qualité de la viande qui est produite par les insectes. Mais toutes les études démontrent le contraire. En termes de protéines, de types de graisses, de vitamines ou de calories, la viande d’insectes est comparable à la viande que nous consommons aujourd’hui. La chaire du vers de farine par exemple est riche en oméga 3, oméga 6 et en vitamine B12. On a parlé des maladies, véhiculées par les insectes, mais là encore l’argument ne tient pas. Car il est évident que les risques d’épizooties transmissibles à l’homme sont infiniment plus probables avec des élevages d’autres mammifères, comme le cochon ou la vache, qu’avec un insecte, qui ont beaucoup moins de chance de pouvoir accueillir des parasites qui peuvent nous infecter nous, à cause de leur grande distance phylogénétique avec les humains. Est-ce que c’est la législation européenne qui empêche le développement d’Ynsect, et globalement de l’entomophagie ? Non plus. Début 2021, l’EFSA, l’autorité européenne de sécurité des aliments avait conclu que les larves du vers de farine pouvaient être consommées sans danger « soit sous forme d’insecte entier séché, soit sous forme de poudre ». A la suite de ce feu vert, le 4 mai 2021, la Commission européenne a autorisé l’utilisation du ver de farine comme denrée alimentaire dans l’Union européenne, sous forme de poudre ou d’insectes séchés. C’est le premier insecte à bénéficier d’une telle autorisation. D’autres recevront aussi cette autorisation un peu plus tard, comme le grillon ou le criquet migrateur. Rappelant que comme tous les autres aliments, leur présence doit obligatoirement être mentionnée dans la liste d’ingrédients. Dans un dernier élan de contestation, tu pourrais me dire que tu n’en manges pas, car ils ne sont pas encore disponibles dans le commerce. Pourtant un peu partout en Europe, à l’image de la société Ynsect en France, la recherche avance, les entrepreneurs se multiplient, et les produits se développent et trouvent leur place dans certains rayons. D’ailleurs, dans la foulée de l’autorisation de l’usage du vers de farine dans l’alimentation humaine, Ynsect signait un partenariat avec une importante chaine de supermarchés autrichiens. Ikea compte bien en profiter aussi et innove dans certains de ses restaurants en proposant des aliments du futurs, où les insectes côtoient par exemple de la spiruline. Les arguments en faveur de la consommation d’insectes sont nombreux, et je ne te les ai sans doute pas tous cités. Si tu en avais d’autres en tête n’hésite surtout pas à les partager en commentaire pour en faire profiter tout le monde. Mais donc j’en reviens encore à cette question de départ, pourquoi la société Ynsect est en difficulté ? Pourquoi nous ne consommons pas d’insectes ? C’est culturel disent les spécialistes, depuis des décennies. C’est une question d’habitude, qu’il faut simplement parvenir à changer. D’ailleurs, nous mangeons déjà des aliments proches des insectes et que nous considérons comme des produits de luxe. Je te rappelle que les insectes font partie des Arthropodes, un embranchement d’animaux pourvu de pattes articulées, et d’une cuticule épaisse. Tout comme les crevettes, les homards, les écrevisses, les crabes … tu as une idée du prix au kilos de ces proches cousins des insectes ? Les criquets ne sont finalement que des crevettes terrestres si on les compare un peu. Sans doute qu’avant de voir des insectes entiers dans nos assiettes, nous verrons de plus en plus de protéines à base d’insectes faire leur place dans nos aliments transformés. Cette conversion se fait certainement à un rythme trop lent, et c’est ce qui plombe certainement les comptes des entreprises pionnières dans le domaine. Finalement, la seule raison qui nous rende frileux à l’idée de manger des insectes, c’est notre état d’esprit. Nos habitudes. Nous n’y sommes simplement pas habitués. Beaucoup d’insectes jouissent d’une mauvaise réputation. Peut-être parce que le cafard ou le moustique te dégouttent, ou t’agacent. Et cette image déteint sur tous les autres, en ce compris ceux qui s’insèreraient parfaitement dans notre alimentation. C’est sans doute aussi pour cette raison que sur cette chaine, je prends plaisir à te présenter les insectes sous leur beau jour, leur diversité, leur beauté, leur complexité et leur importance au fonctionnement de notre planète. Car sans les insectes nous ne serions pas présents sur cette planète, et je ne serais pas là à te faire cet article. S’ils disparaissent, nous disparaitrons. Par contre si nous disparaissons, eux continueront de vivre encore heureux. Donc nous devons nous faire à l’idée de manger des insectes. Les insectes nous ont permis de voir le jour sur cette planète et ils seront certainement aussi ceux qui nous permettront d’y rester encore au cours des siècles à venir.
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Décembre 2024
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