Les vampires existent vraiment ! Accrochés la tête en bas au plafond d’une grotte obscure, ils attendent le coucher du soleil pour sortir de leur sommeil. Et une fois la nuit tombée, ils déploient leurs ailes sombres et sortent par dizaines de leur cachette pour se mettent en quête du sang frais de victimes endormies. Mais vais rassurer mes plus jeunes lecteurs : ces vampires n’ont rien à voir avec le comte Dracula. Il s’agit d’un ensemble de trois espèces de chauve-souris. Ces chauves-souris vampires ne chassent pas d’insectes comme les chauves-souris européennes. Non celles-là elles boivent le sang d’autres mammifères endormis. Celle que les scientifiques nomment les vampires d’Azara sont l’une de ces trois espèces. Elles vivent en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Il s’agit de chauve-souris passionnantes notamment car elles sont extrêmement sociales. Plusieurs dizaines de ces chauves-souris peuvent se bousculer dans des espaces étroit, à l’abris de la lumière. Alors que le soleil se couche et que l’obscurité tombe à l’extérieur de leur cachette, les vampires s’agitent en prenant conscience que l’heure de se remplir l’estomac approche. Soudainement, l’un des individus prend son envol, et rapidement les autres suivent, en prenant garde d’emprunter une direction différente de celles choisies par ses congénères : chacun chasse pour soi ! Pour se représenter leur environnement et s’y déplacer malgré la pénombre, nos vampires peuvent compter sur deux sens très développés : leur ouïe et leur odorat. Le premier permet d’envoyer des sons et de réceptionner leur écho en retour. Tous les obstacles se dessinent ainsi devant le vampire qui peut détecter un animal endormi au sol. Une fois à proximité, le sens de l’olfaction prend le relais : l’odeur de la proie dévoile son identité. Nos chauve-souris hématophages affectionnent particulièrement le sang des chevaux. Mais à défaut, celui des vaches, des cochons, des chèvres ou des moutons peut aussi convenir. Quelques battements d’ailes plus tard, le vampire se pose délicatement sur sa proie. Ses déplacements légers et adroits lui permettent de ne pas la réveiller. Son nez est muni de capteurs infrarouges qui lui révèlent les zones du cuir les plus fines et aussi les plus riches en vaisseaux sanguins. Une fois la zone idéale sélectionnée, le repas peut commencer. Contrairement à ce que les films d’épouvante peuvent laisser croire, le vampire ne suce pas le sang de sa proie. Au lieu de cela, il réalise une fine incision dans le cuir à l’aide de ses incisives, et en laisser s’écouler un filet de sang. Il s’en abreuve en léchant les gouttes à l’aide de sa langue. La base des oreilles de l’hôte est souvent préférée pour la finesse du derme et l’abondance en capillaires sanguins. Bon, les épaules, le cou ou le museau peuvent aussi faire l’affaire. La salive du vampire contient des anticoagulants, si bien que tant que le parasite lèche la plaie, le sang ne cesse jamais de s’en écouler. Si le débit se réduit, la langue du vampire se loge plus profondément dans la blessure pour l’agrandir. Le repas peut ainsi durer jusqu’à une heure, et la proie se réveille sans s’être rendu compte de rien. Une fois rassasié, le vampire regagne son abri et sa colonie pour y passer le reste de la nuit et la journée suivante. Mais tous ses congénères n’ont pu trouver de proie : certains rentrent donc affamés. Se nourrir est bien évidemment essentiel pour la survie. Mais une seule nuit sans manger ne leur est pas fatale. La chauve-souris affamée puise dans ses réserves jusqu’à perdre un quart de son poids, et espère être plus chanceuse la nuit prochaine. Un animal bien nourri dispose ainsi de deux chances pour trouver de quoi manger. Si la seconde nuit devait se solder par un échec, l’individu aurait de grandes chances de mourir d’inanition lors de sa troisième nuit de chasse. Revenir bredouille n’est pas rare : un jeune sur trois et un adulte sur douze rentrent d’une nuit sans manger. Si vous avez une chance sur toi étant jeune de revenir bredouille, comment expliquer dès lors que le taux de mortalité soit si faible : ces chauves-souris atteignant sans mal l’âge vénérable de 12 années. La réponse se trouve dans un trait comportemental rare dans le règne animal : l’altruisme, ou la disposition à aider son prochain. Comment cela se passe chez ces vampires ? Et bien un affamé va solliciter l’assistance d’un congénère en lui frottant l’estomac, puis en lui léchant le visage. En réponse, la chauve-souris qui a bien mangé et qui est ainsi sollicitée va évaluer l’état d’affamement du demandeur en palpant à son tour son estomac : elle ne souhaite pas aider un menteur ! Si le mendiant a effectivement le ventre vide, le vampire bien nourri peut décider de s’y accoler et de lui céder une partie du sang absorbé durant la nuit. Pour cela, il accole sa bouche à celle du congénère affamé et y régurgite partiellement son repas. Ce comportement est un bel exemple de partage : l’individu altruiste et partageur réduit son espérance de vie afin de prolonger celle d’un voisin dans le besoin. Peu importe le lien qui unit les deux chauves-souris, cette entraide est observée tant entre individus apparentés que non-apparentés. L’altruisme a longtemps fasciné les zoologistes. Et à juste titre : une règle générale en éthologie stipule « qu’un comportement existe s’il augmente les chances de survivre et de se reproduire ». Si ce n’est pas le cas, alors la sélection naturelle fait le tri en éliminant les comportements déviant à cette règle. Or les comportements altruistes font, à première vue, tout l’inverse. Pourtant, la sélection naturelle ne les évacue pas et il existe toujours des animaux altruiste. Alors comment expliquer que l’évolution l’altruisme des vampires ? La réponse à cette question doit être trouvée dans le caractère réciproque de ce comportement. En donnant une partie du sang ingéré, le partageur espère instinctivement bénéficier du même service en retour, si d’aventure il doit se retrouver dans la même situation. Cette organisation est bénéfique pour tous ! Je pousse souvent la comparaison avec la sécurité sociale, que ces vampires auraient donc inventé bien avant nous, humains. Mais comme pour la sécurité sociale, ce système d’entraide ne fonctionne que si une série de conditions sont remplies. En l’occurrence pour nos vampires, il y en a trois. La première : il faut que tous les membres du groupe se rencontrent régulièrement, afin que les opportunités d’entraide soient fréquentes. Imaginez-vous aidez votre voisin, mais ce dernier n’aura pas l’occasion de vous rendre la pareil avant plusieurs années, pas sûr qu’à la place d’un vampire, vous l’aidiez. Mais ici cette condition est remplie car ces chauves-souris se retrouvent chaque jour au sein de leur abri. La deuxième condition c’est que les individus soient capables de discriminer les tricheurs des individus réellement dans le besoin, ainsi que de faire la distinction entre les partageurs et les égoïstes -ceux qui n’offrent jamais de sang. Imaginons un instant que la tricherie soit possible, et bien elle favoriserait la propagation d’individus égoïstes, et cela mettrait à terre cette organisation de partage. Heureusement, les vampires peuvent se reconnaître mutuellement, ils ont bonne mémoire et peuvent évaluer l’état de satiété de leurs voisins. Enfin, la troisième condition est liée au coût de ce comportement altruiste : donner du sang à un congénère dans le besoin ne doit pas mettre en danger la survie du donneur. Pour une chauve-souris bien nourrie, offrir l’équivalent de la moitié de son repas ne réduit son espérance de vie que d’une poignée d’heures. Cependant, elle augmente d’une journée entière la durée de vie de la receveuse, lui offrant une autre chance de trouver une proie lors de la nuit à venir. La tricherie est un comportement courant au sein des organisations sociales complexes reposant sur l’entre-aide. La sélection naturelle encourage d’ailleurs les tricheurs, car ces derniers tirent de grands bénéfices de l’exploitation égoïste des ressources générées par les membres de leur communauté. Heureusement, il existe, comme on vient de le voir, des manières de réguler la tricherie. Deux ou trois dernières chose avant de vous quitter. La première c’est que les chauve-souris vampires sont les seuls mammifères parasites connus. Si on fait abstraction de certains humains… mais c’est une autre histoire. La deuxième c’est que le vampire d’Azara se porte bien, ses populations sont abondantes, mais il est considéré comme un nuisible par l'Homme, puisqu'il se nourrit sur le bétail et qu'il peut être porteur du virus de la rage. Mais ses comportements sociaux en font un sujet d’étude passionnant !
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Novembre 2024
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