Certains s’entre vous se rappellent peut-être que parmi les tout premiers jeux vidéo qu’ils ont essayé dans les années 90, il y en avait un appelé « Lemmings ». Et pour être honnête, des jeux lemmings, il en est sorti sur absolument toutes les plateformes de jeux. Le principe était toujours le même et finalement est assez simple : à l’écran apparaissait une horde de petits personnages – les lemmings – et ceux-ci avaient une fâcheuse tendance suicidaire, puisqu’ils couraient dans tous les sens et cherchaient à tout prix à mourir en se ruant vers des falaises, des trous ou des étendues d’eaux. Le jeu constait donc à les maintenir en vie, en les guidant jusqu’à leur destination, en veillant à ce qu’un minimum d’entre eux parviennent à se suicider. Et bien figurez-vous que ces personnages de jeu vidéo sont inspirés de vrais animaux. On retrouve les lemmings norvégiens dans la toundra de l’extrême nord scandinave. Les lieux sont magnifiques mais pas forcément très hospitaliers : il y fait fort froid, surtout en hiver. Le lemming, c’est un petit rongeur endémique long d’une dizaine de centimètres et pesant environ une centaine de grammes. Ils peuvent compter sur une épaisse couche de graisse ainsi qu’une fourrure brune très dense pour se garder au chaud. Ils n’ont donc physiquement rien à voir donc avec nos personnages de jeux vidéo. Ils creusent des tunnels sous la toundra, et sortent régulièrement pour se nourrir d’herbes ou de mousses. Élément important pour la suite de cette histoire : ce sont des animaux très prolifiques ! Ils se reproduisent dès l’âge de 30 jours, et les adultes batifolent ensuite ensemble environ 3 fois par an. Et à chaque fois, une femelle peut donner naissance à une dizaine de jeunes. Ce qui en fait 30 petits par an … si je compte bien. Les habitants de ces régions ont l’habitude de dire que certaines années, ils ne vont en croiser aucun. Pas de trace de ces boules de poils dans les plaines. Puis d’autres, les lemmings apparaissent comme par génération spontanée. Leurs populations subissent une véritable explosion démographique. Ces années-là, les petits rongeurs pullulent absolument partout. Les habitants de la région parlent d’ailleurs « d’année à lemmings ». Et puis soudainement, juste avant que l’hiver ne revienne, les lemmings semblent s’être évaporés. Enfin pas tout à fait, parce que les locaux vont en retrouver un peu partout, mais tous ceux-là … seront morts. Des centaines de cadavres défilent dans le courant des rivières. On en voit échoués par dizaines sur les rives des lacs. D’autres sont éparpillés sur les bords de routes. C’est un peu comme s’ils s’étaient jetés tous ensemble dans l’eau, ou sur les roues des voitures. C’est pourquoi la mythologie scandinave parle de suicide collectif. Les chercheurs norvégiens comprennent à présent fort bien ce phénomène d’alternance entre année de pullulation et année d’absence de Lemmings. Ils ont publié leur résultats dans la prestigieuse revue Nature. Et le climat semble jouer un rôle important : certains étés présentent des températures particulièrement douces, en tout cas pour la région. Cette météo clémente favorise le développement de la végétation … et des mousses en particulier, dont raffolent les lemmings. Ceux-ci ne manquent donc de rien et leur nombre augmente rapidement. Mais nos rongeurs deviennent si nombreux que les terriers familiaux sont vite saturés. Rappelez-vous, ils donnent naissance à 30 jeunes de plus par an et par femelle ! Ce sont autant de nouvelles bouches à nourrir. Les conditions deviennent invivables tant la faim se fait sentir. Quitter le territoire devient une question de survie. C’est pourquoi, soudainement, toute la population de Lemmings décide de lever le camps. A la surface, ils courent absolument partout et paraissent affolés. Et rien ne semble les décourager : ils surmontent ou contournent les obstacles géologiques ; ils traversent directement les lacs et les rivières. Et alors qu’ils évitent habituellement les contacts avec les humains, les lemmings décident de traverser les routes et les villages, souvent par milliers. Ils se montrent même menaçants et n’hésitent pas à mordre les jambes des curieux qui ne se seraient pas écartés de leur route. Malheureusement, les lemmings évaluent mal les distances et les dangers. Ils sont poussés dans le dos par la faim, ce qui les fait prendre des risques qui leur coutent parfois la vie. Comme lorsqu’ils sautent dans une rivière dont les eaux sont trop sauvages, ou lorsqu’ils traversent une route fréquentée par de trop nombreux véhicules. Ce sont donc ces prises de risque qui ont longtemps alimenté les rumeurs d’un comportement suicidaire. La vérité c’est que l’instinct pousse ces rongeurs à quitter massivement leur territoire pour se mettre en recherche de nourriture, ailleurs. Parce que oui, ce qu’ils sont en train de faire c’est de migrer, ils cherchent des terres plus hospitalières ! Mais peu d’individus parviennent au bout de cette quête. Ils courent sur des distances si longues que la fatigue a raison de bon nombre d’entre eux. On parle tout de même de plus de dix kilomètres en 24 heures, sans prendre de repos. Ce qui à leur échelle (une dizaine de centimètres) est énorme. La population s’effondre donc cette année-là, avant de se reconstruire lors des printemps suivants, à partir des lemmings survivants de retour sur leurs terres. Vous l’aurez compris, contrairement à ce qu’avance les contes et légendes nordiques, les lemmings ne se suicident pas, ils sont juste maladroits durant leurs migrations.
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Novembre 2024
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