Les crottes de Rhinocéros figurez-vous que ça ne sent pas la rose. Et pourtant elles regorgent d’informations utiles, que des éthologues s’amusent à déchiffrer. Je vous emmène au sud du continent Africain, à la rencontre du Rhinocéros blanc. Je vous dresse le tableau : 4 bons mètres de long, une double corne sur le museau et deux tonnes de muscles. C’est d’ailleurs la plus imposante des cinq espèces de Rhino à peupler notre planète. Le mâle, c’est un casanier : il se choisit un lopin de terre, de quelques kilomètres carré à peine, et y reste jusqu’à sa mort, ou jusqu’à ce qu’il en soit délogé. C’est chez eux, c’est leur royaume, ils ne s’éloignent jamais du petit lopin de terres qu’ils s’adjugent. En bons seigneurs, ils laissent les femelles et ses éventuels petits traverser leur domaine, sans jamais sourciller. Que du contraire en fait, une dame est toujours la bienvenue et saluée avec élégance et courtoisie. On ne sait jamais qu’elle soit célibataire et qu’elle ait envie de séjourner quelques jours sur ses terres. En revanche si c’est un jeune mâle qui veut arpenter ses terres, le visiteur va devoir se tenir droit. Et quand je dis cela, cela veut surtout dire ‘se soumettre’. Baisser la tête. Faire profil bas à chaque fois qu’il croise le grand seigneur. C’est seulement alors qu’il aura une chance d’être toléré. Alors pour qu’il n’y ait pas de malentendu, un Rhinocéros dominant trace et retrace ses frontières, tous les jours, pendant toute sa vie. Je vous entends d’ici : et leurs crottes, tu nous en parles pas ? Si, alors justement j’y arrive ! Pour tracer les frontières de leur royaume, les rhinocéros ne dessinent pas de lignes au sol, ils n’érigent aucun mur, ils n’étendent aucun fil barbelé. D’ailleurs ce n’est pas du tout un hasard, ces grosses bêtes sont aussi myopes que des taupes. Même s’ils pouvaient dresser d’énormes panneaux « sens interdit » ils ne les verraient pas. En revanche, ils ont un excellent sens de l’odorat. A la place des panneaux, ils marquent leurs frontières en y installant leurs toilettes. Oui …. ils vont déféquer juste à côté des terres des voisins ! Bon nous les éthologues, on préfère appeler cela des stations de marquage. C’est plus élégant dans les publications scientifiques. Là, le Rhinocéros urine et dépose des colonnes de crottes ! Parfois il laisse fièrement son monticule se dresser vers le ciel, parfois il le fracasse d’un coup de corne pour en éparpiller chaque élément. Et donc à chaque fois qu’il a besoin pressant, le grand seigneur local se dirige vers les confins de ses terres, au sein de l’une de ses 10 ou 15 toilettes pour y renouveler le stock de crottes. Son voisin se laisse pas faire évidemment, il vient lui aussi déposer ses crottes le long de la mitoyenneté. Et il en profite alors pour venir sniffer l’odeur des toilettes de son voisin. Ce qui peut prendre de longue minutes. Pendant ce temps il collecte des informations précieuses sur son rival d’à côté. Alors pour déchiffrer ces informations, il nous fallait une experte. Et l’experte mondiale en odeurs de crottes de rhinocéros, elle s’appelle Ivana Cinkova. Ivana est une jeune et talentueuse éthologue de nationalité tchèque qui dédie ses recherches aux comportements des rhinocéros blancs. Et ce qu’elle a découvert ces dernières années est absolument fascinant. A partir de l’odeur des crottes, un Rhino peut estimer l’âge de son voisin, et estimer depuis combien de temps il n’est plus venu réapprovisionner ses toilettes. Un rhino expérimenté peut même déduire si son voisin est en bonne santé ou s’il est atteint d’une maladie. Et si notre curieux lève le museau, il peut même réussir à percevoir l’odeur d’une éventuelle femelle en chaleur sur les terres voisines. Et alors vous me direz ? Imaginez que vous n’ayez plus croisé le sexe opposé depuis longtemps, qu’une dame soit justement en visite sur les terres voisines, et qu’en plus les crottes de l’adversaire sentent la mauvaise condition physique, et bien tous les feux sont allumés, et le mâle curieux devient un envahisseur belliqueux ! Il pénètre sur les terres du voisin. La confrontation prend souvent la forme d’un combat tendu, bien que totalement silencieux, où chaque opposant s’avance vers l’autre en abaissant la tête, et en touchant la corne de son rival. La plupart du temps l’un des deux devine qu’il est le plus faible et se retire. Mais parfois aucun ne s’avoue vaincu d’entrée. Alors, avec leur corne principale, ils grattent le sol, pour se signifier mutuellement leur indisposition à faire la paix. Et la confrontation prend une tournure plus violente. Les deux mâles prennent un peu d’élan et se percutent au niveau du crâne. Et ils recommencent jusqu’à l’abandon de l’un des individus. En théorie, les plus fort devraient donc étendre énormément leur territoire. Mais en réalité, cela n’arrive jamais, car entretenir des kilomètres de frontières, ça nécessite … des kilo de crottes ! A un moment, on arrive à court de réserve ! Même les mâles les plus forts et dominants ont leurs limites de ce côté-là. Publications: Cinková I, Shrader AM (2020). Rival assessment by territorial southern white rhinoceros males via eavesdropping on the contact and courtship calls. Animal Behaviour 166: 19-31. Cinková I, Policht R (2016). Sex and species recognition by wild male southern white rhinoceros using contact pant calls. Animal Cognition, 19(2), 375-386 Cinková I, Policht R (2015). Discrimination of familiarity and sex from chemical cues in the dung by wild southern white rhinoceros. Animal Cognition, 18(1), 385-392.
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Novembre 2024
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