Si l’amour est le plus grand mystère de la vie, le deuxième plus grand mystère est peut-être de savoir si les humains sont les seuls à tomber amoureux. Il y a 15 jours je vous ai fait une chronique pour vous démontrer que les animaux ont de la personnalité. Mais éprouvent-ils des sentiments amoureux ? Alors pour vous répondre je vais vous parler aujourd’hui d’albatros, de manchots, de campagnols, et de pandas. Et j’aurai bien besoin de tout ce petit monde parce que la question est complexe. Complexe parce qu’il faut déjà définir ce qu’est l’amour ! Pas évident n’est-ce pas ? Car sur la simple définition de l’amour, les humains et leurs dictionnaires ne sont déjà pas tous d’accord ! J’aime bien l’approche de la psychologue américaine Bianca Acevedo (‘achevedo’) : elle explique que chez l’humain il existe différentes formes d’amour. On va pas toutes les voir, mais il y a par exemple l’amour passionné, qu’elle décrit comme le désir intense d’union avec une autre personne ; mais il y a aussi l’amour qu’elle qualifie de compagnie : celui que nous ressentons à l’égard d’un frère, d’un enfant, d’un ami cher, voire même parfois d’un animal de compagnie. Le règne animal regorge d’exemples d’amour de compagnie. Mon chien me témoigne énormément d’affection à chaque fois que je rentre à la maison. Il saute, me lèche la main, se roule par terre. Il en est de même chez les animaux sauvages : de nombreux parents témoignent envers leurs petits des gestes d’affection qui vont au-delà de comportements naturels visant à maximiser leur survie. Et dans un registre moins drôle, les éléphants et les orques pleurent leurs morts, dans un comportement qui s’assimile au deuil. Ces deux exemples suggèrent que les animaux ressentent cette forme d’amour dit de compagnie. Mais je parie que ce n’est pas à cet amour-là que vous pensiez quand j’ai démarré cette chronique spéciale Saint-Valentin qui approche. Qu’en est-il donc de l’amour romantique et passionnel ? Est-ce que les animaux peuvent tomber amoureux d’un partenaire ? Et bien les études s’accumulent pour suggérer que, d’une certaine manière … peut-être bien que oui. Prenons les albatros de Laysan, dont les couples vivent séparémmet durant l’année et se retrouvent lors de la saison des amours sur les plages de l’archipel d’Hawai. Et. bien je reprends les mots de la collègue Claudia Vinke, qui est biologiste à l'Université d'Utrecht aux Pays-Bas : … « Si vous voyez leurs retrouvailles, alors vous êtes en droit de croire qu’il y a plus qu'un simple lien d'attachement ». Tant ils chantent et se témoignent des gestes d’affection. Leur retrouvailles témoignent-elles de quelque chose qui nous rapproche de l’amour passionné ? Bon, attention à l’anthromorphisme ! Et rappelons-nous que lorsqu’on est un albatros, avoir un couple fidèle qui se montre de l’attachement, c’est particulièrement important pour maximiser les chances de survie des bébés. Un autre exemple parmi les oiseaux, c’est celui de l’histoire de Roy et Silo, un couple de manchots mâles vivant au zoo de central Park à New York. Ils ont reçu un œuf abandonné par un couple hétéro, et en ont pris grand soin, permettant la naissance d’une petite femelle nommée « Tango ». Pendant toute leur paternité, les deux papas n’ont jamais cessé de se manifester mutuellement des gestes d’affection l’un envers l’autre. L’argument du comportement dicté par l’instinct de reproduction est plus compliqué à défendre. Mettons les oiseaux de côté pour nous intéresser aux mammifères. Alexander Ophir, un neuroscientifique comportemental américain, pense globalement que les mammifères éprouvent des émotions plus fortes que les autres animaux, parce ce sont les seuls à disposer d’un système limbique, c’est-à-dire un ensemble de structures cérébrales qui jouent un rôle majeur dans l’expression des émotions et des comportements qui y sont associés. Ophir pense que grâce à ce système limbique, renards, gazelles, baleine, chauve-souris et tous les mammifères, auraient donc des sentiments plus forts que les autres animaux. Et ce neuroscientifique de rajouter que « tomber amoureux » serait en fait propre à l’Homme et absent des autres mammifères. En nous demandant si les animaux tombent amoureux, ne cherchons-nous pas en fait à répondre à la question « tombent-ils amoureux comme nous tombons amoureux ? ». Quand j’arrive à cette étape de mon article je fais face à une autre difficulté majeure liée à notre question de départ : démontrer que les animaux tombent amoureux, revient à prouver scientifiquement que l’amour éprouvé par un renard est comparable à l’amour éprouvé par un humain. Et vous me demanderez : et bien quoi ? c’est si compliqué que cela à démontrer ? Et bien oui ! Et je vous le prouve avec un simple test : « Aimez-vous votre conjoint plus fort que votre conjoint vous aime ? »… Si ma question est provoquante, c’est pour vous faire comprendre qu’il n’est pas simple de comparer les sentiments d’attachement et de passion de deux humains. Les humains ne tombent pas tous amoureux de la même façon. Alors imaginez une seconde le challenge pour les scientifiques de comparer les sentiments amoureux exprimés ‘globalement’ par les humains et ceux exprimés globalement chez un autre animal. Car au moins avec les humains, les psychologues peuvent soumettre des questionnaires qui évaluent l'intensité des sentiments amoureux. … oui oui cela existe … ça pullule d’ailleurs sur le net, mais j’avoue je n'ai jamais testé et je n’ai pas les compétences pour juger. Pour mesurer l’amour chez les humains et les autres animaux, les chercheurs peuvent compter sur l’imagerie par résonance magnétique. Cette technique formidable permet d’analyser les activités de votre cerveau associées à l’amour. Et c’est précisément ce qu’on fait des scientifiques chinois et américaines: ils ont demandé à des volontaires de regarder des photos de différentes personnes, parmi lesquelles il y avait leur amoureux ou amoureuses. Et à la vue du ou de la bien-aimé ils ont observé une activité intense dans l’amygdale, qui est le centre émotionnel du cerveau. Les scientifiques peuvent aussi mesurer l’amour via la sécrétion de nos hormones. Car l'amour romantique et passionnel serait le résultat de la combinaison de trois d’entre elles : la dopamine, l’ocytocine, et la vasopressine. Et des chercheurs ont démontré récemment que chez les espèces de campagnols qui forment des couples durables, les trois mêmes hormones étaient impliquées, et fonctionnaient de la même manière que chez nous. En d’autres termes, ces rongeurs en couple disposent des mêmes outils physiologiques pour ressentir l’amour passionnel. Alors ok, nous ne pouvons pas savoir avec certitude s’ils sont capables d’exprimer des sentiments amoureux comparables aux nôtres. Mais il est fort à parier que oui puisqu’ils ont les outils physiologiques qui les rendent possibles. Et finalement vous me direz, ça sert à quoi de le savoir ? A côté de la recherche fondamentale, la réponse à cette question peut être d’une importance capitale pour celles et ceux qui travaillent -par exemple- à la préservation des espèces en voie d’extinction. Car pour faciliter les accouplement et les naissances, ces scientifiques doivent les aider à former des couples, qui s’accepte et parfois même qui doivent s’aimer ! Je vous parlais justement dans une précédente chronique du travail de Meghan Martin qui a développé un protocole permettant la formation de couples de pandas en captivité, ce qui a conduit à de multiples naissances par la suite. « Les animaux tombent-ils amoureux ? » et bien je me permets de la citer : "L'amour n'est pas si simple pour nous humains, nous ne pouvons pas compter sur le fait qu'il soit aussi simple pour les autres animaux."
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Février 2025
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