Les tétras ce sont des gallinacés que l’on retrouve sur les vastes plaines arides du centre du continent Nord-Américain. Pas d’arbre dans ces steppes, mais des graminées et d’épais buissons d’armoises, au pied desquels nos oiseaux du jour pondent et élèvent leur poussins. Mais avant de déposer ses œufs, une femelle doit se trouver un partenaire. Et c’est ainsi qu’au printemps, les tétras des armoises jouent leur pièce de théâtre annuelle, qui met en scène une fascinante parade amoureuse. Ou devrais-je dire une étrange séance de speed dating. La saison des amours ne dure que quelques journées, en début de printemps. Mais elle est capitale tant pour les femelles que pour les mâles. Les premières doivent sélectionner le meilleur partenaire parmi tous les habitants de la steppe. Celui qui offrira aux futurs poussins les meilleurs gènes et donc les meilleures chances de survivre. Pour les mâles, l’objectif est un peu différent... il consiste à séduire un maximum de poules ! Point commun : mâles et femelles ont intérêt à faire la rencontre d’un maximum de membres du sexe opposé durant cette courte période. Ces séances de speed dating se déroulent dans des arènes que les éthologues appellent des leks. A l’aube, les mâles s’y rendent les premiers. Première étape, chacun doit s’y faire une place. Les plus vigoureux, les plus expérimentés, tentent de se placer au centre de l’arène, alors que les trop jeunes, les trop vieux et les trop malades se placent en périphérie. Donc vous vous en doutez, le premier jour, alors que les femelles ne sont même pas encore arrivées, et bien ça se bouscule, ça joue des coudes, ça se chamaille. Lorsque les mâles ont assuré leur place, la position de chacun restera inchangée pour toute la durée de cette petite saison des amours. Seuls quelques mètres les séparent. Si cette proximité permet à chaque mâle de se comparer à ses voisins, elle va surtout grandement faciliter le travail des femelles. Le soleil se lève à peine que les mâles débutent donc la compétition. Chacun gonfle d’air son torse et le secoue rapidement pour produire un bruit lourd comparable à celui d’une bulle qui éclaterait à répétition. Ce son est perceptible sur une distance de quelques kilomètres, juste ce qu’il faut dans cet habitat pour attirer les femelles qui se trouvent à proximité de l’arène. À leur tour, les femelles se rendent au lek, attirées par les chants séduisants des mâles rassemblés. Sortir de leurs cachettes pour se rendre à la séance de speed dating, ce n’est pas sans risque : les aigles royaux n’hésitent pas à s’inviter à cette petite fête de voisinage. Et qui va les blâmes, ils auraient tort de ne pas profiter de ce moment unique de l’année où leurs proies préférées se rassemblent en terrain découvert, et beaucoup plus préoccupées par le sexe opposé que par leurs prédateurs qui rodent. Quelques tétra se feront donc attraper, mais c’est le prix à payer pour se reproduire. Contrairement aux mâles, les poules ne paradent pas. Elles sont là pour choisir, pas pour être choisies. Leur première visite au lek est une mission de reconnaissance et d’inspection. Le choix d’un géniteur est suffisamment important que pour ne pas se laisser convaincre par le premier séducteur venu : les poules se donnent donc du temps pour comparer tous les candidats. Compte tenu du nombre de prétendants qui se bousculent dans l’arène, plusieurs jours se révèlent indispensables pour parvenir à un choix définitif. À l’approche d’une femelle, le coq pavane en se donnant une stature imposante : dressé bien droit sur ses pattes, il relève la tête face à la poule en présentant fièrement ses plumes caudales, effilées et positionnées en un large éventail. Si la femelle ne détourne pas directement son regard, il sort son second atout de séduction, dissimulé dans le plumage de sa poitrine. En inspirant de l’air, il fait ressortir deux poches proéminentes dépourvues de plumes. Les scientifiques appellent ça des sacs gulaires. Ils ont une couleur jaune qui contraste avec la blancheur de sa gorge. Il expire ensuite l’air absorbé, les faisant disparaître dans son plumage, avant de répéter l’opération aussi rapidement que possible, tant que du public féminin se trouve à proximité. Bien que très efficace, cette parade se révèle extrêmement épuisante. Le dicton dit : « On n’a jamais deux fois la chance de faire une bonne première impression ». Le mâle doit donc absolument afficher un état de santé irréprochable et transmettre l’impression d’être le plus vigoureux de tous les mâles des environs. Il sait aussi que les femelles ont bonne mémoire et, s’il échoue à les séduire aujourd’hui, qu’elles ne reviendront jamais pour un second rendez-vous. Malgré son air désintéressé, la femelle inspecte attentivement le mâle en pleine parade. Pour évaluer un courtisan, son jugement se fonde sur de très nombreux critères. D’abord, les mensurations du mâle, critère fiable pour en évaluer la vigueur. L’énergie déployée à la séduire l’est tout autant. Elle observe aussi l’épaisseur de ses sourcils jaunes, ainsi que la taille et l’état de ses plumes caudales. Enfin, elle inspecte les sacs gulaires du prétendant, à la recherche d’hématomes, qui seraient des signes de la présence de puces cachées dans son plumage. Au cours de ses nouvelles visites au lek, la poule ne retourne plus auprès des mâles qui l’ont déçue, cherchant plutôt à revoir les quelques prétendants qui l’ont impressionnée lors des matinées précédentes. Et c’est ainsi que plus les jours passant, plus les coqs dominants sont entourés de femelles … qui font la file devant le mâle choisi en attendant leur tour. Heureusement, la femelle tétra n’est pas jalouse. Peu lui importe que la file soit longue et que le géniteur ait collectionné les partenaires avant leur union ou même qu’il lui soit par la suite infidèle. Ce qui compte, c’est qu’il soit le meilleur de la région. Les lecteurs sont encouragés à ne pas juger ces volatiles au comportement volage, mais plutôt à remercier les chercheurs pour ces nombreuses découvertes comportementales ! Gibson RM (1996). Female choice in sage grouse : The roles of attraction and active comparison. Behavioral Ecology and Sociobiology, 39(1), 55-59.
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Novembre 2024
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