Ce que vous voyez là, c’est une portée de bébés Siphonops, tout roses et glabres, qui se blottissent contre leur mère. Nous sommes au milieu de la nuit, dans une forêt tropicale humide, pas loin du bord de mer. Ces bébés, ils remuent et couinent pour avoir du lait, ce que leur mère leur sert rapidement, jusqu’à ce qu’ils soient rassasiés. Mais ce ne sont ni des chiots ni des chatons. Ce sont des amphibiens serpentiformes, bien plus proches donc des grenouilles que de nos amis à quatre pattes.
Et c’est en cela que cette étude publiée la semaine fait grand bruit. Parue dans la prestigieuse revue Science, elle démontre, pour la première fois que des amphibiens, nourrissent leurs petits avec du lait, exactement comme le font tous les mammifères. Avec ses collègues, l'herpétologue Carlos Jared de São Paulo étudie ces animaux excentriques depuis des années. Dans des études précédentes, l'équipe a remarqué que les nouveau-nés des Siphonops annelés, qui vivent leurs deux premiers mois hors de l'œuf sous la garde de leur mère, passaient une grande partie de leur temps autour de l'extrémité du corps de celle-ci. Dans le cadre de ce nouveau travail, l'équipe a collecté au Brésil 16 femelles et leurs portées respectives et les a observés au laboratoire. Là, les chercheurs ont enregistré les interactions des amphibiens, accumulant plus de 240 heures de séquences vidéo. L’équipe a ainsi pu enregistrer 36 tétées, au cours desquelles les bébés se tortillaient et gigottaient autour de leur mère tout en émettant des bruits très aigus. Résultat, la maman soulevait alors cette extrémité de son corps et libérait le précieux liquide. Cela se produisait jusqu’à six fois par jour et semblait être une réponse aux cris des bébés. Cette sorte de « lait » est produit au sein de leur appareil reproducteur. L’équipe a d’ailleurs examiné l’anatomie interne de certaines femelles adultes et analysé la composition nutritionnelle et biochimique du liquide nutritionnel. Il est sécrété par les glandes de l’oviducte de la mère qui grossissent lors de la croissance de ses nouveau-nés. Il est également riche en graisses, un peu comme le lait des mammifères. Cette ressource nutritive peut aider à expliquer comment les nouveau-nés grandissent si rapidement - augmentant leur masse jusqu'à 130 pour cent au cours de la première semaine alors qu’ils ne s’éloignent jamais de leur mère. Les chercheurs à présent se demandent s’il existe des conflits entre frères et sœurs pour l'accès au lait et comment cette compétition pourrait se dérouler. Ils se demandent aussi si cette production de lait affecte la maman. Car chez les mammifères, la lactation est une période très coûteuse en énergie. Notons qu’en dehors des mammifères et de certains de ces amphibiens, on trouve des productions de lait chez certaines araignées, poissons, blattes et oiseaux. Cette découverte sur un amphibien suggère que l’évolution des soins parentaux dans la vie animale est plus complexe et diversifiée qu’on ne le pensait.
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Novembre 2024
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