Prenez votre sac, je vous emmène tout en haut … d’un plant de haricot. Là, vit une colonie de pucerons. Ils paraissent complètement endormis, collés les uns contre les autres, sans bouger. Il y a deux semaines à peine, ils n’étaient pas là. Et tout avait commencé avec une femelle ailée qui avait été attirée par l’odeur de cette plante. Elle s’y est posée et a rapidement voulu vérifier qu’elle avait bon gout. Elle a commencé ensuite à se reproduire. Particularité des pucerons au printemps : les femelles se reproduisent … toute seule. C’est ce que les scientifiques appellent la parthenogenèse. Cette femelle, on l’appelle la fondatrice et elle a donc donné naissance à plusieurs filles qui sont des copies parfaites de leur mère, ce sont des clones. En quelques jours à peine, ces clones ont donné la vie à d’autres clones. Jusqu’à être une centaine sur notre plant de haricot. Les pucerons n’ont pas besoin de bouger, car ils se nourrissent de la sève de la plante choisie par la mère fondatrice. Pour cela, ils piquent à travers les tissus végétaux à l’aide de leur stylet, une sorte d’aiguille suffisamment longue pour leur permettre d’aller chercher le précieux liquide dont ils ont besoin. Ils ont besoin du phloème, cette sève qui descend des feuilles, enrichie en sucres grâce à la photosynthèse. Ils y cherchent plusieurs éléments nutritifs, particulièrement des acides aminés. Ceux-ci leur sont essentiels pour survivre et se reproduire. La sève des feuilles en contient cependant fort peu. En conséquence, ils doivent boire beaucoup de sève pour satisfaire leurs besoins en acides aminés. Et vous savez ce qui arrive quand on boit trop d’eau … Pour évacuer l’excédent d’eau et de sucres absorbés, les pucerons produisent puis expulsent de leur corps du miellat. C’est une substance liquide mais rendue collante par sa grande concentration en sucres. Ce miellat, ils le rejettent sous forme de gouttelettes sur la plante. Et ils en produisent des tonnes. Les pucerons seraient les fabricants de cacas les plus performants de la planète... Les pucerons sont des proies faciles pour de nombreux prédateurs, comme les coccinelles, les syrphes ou les chrysopes. De fait, ce sont des animaux qui n’ont ni mâchoire, ni pince, ni venin … ce sont des petites bêtes sans défense. De plus, ils sont lents et même s’ils ont de longues pattes, les pucerons sont incapables de sauter. Ils n’ont donc que deux solutions pour sauver leur peau : sonner alerte ou engager des gardes du corps. Oui sonne l’alerte ! Quand l’un d’eux se faire attraper, il émet une sirène d’alarme. Bon ce n’est pas vraiment une sirène d’alarme, c’est plutôt un message odorant qu’on appelle une phéromone d’alarme. Cette odeur signale à tous les pucerons voisins qu’il s’est fait attraper, qu’il va mourir, et donc qu’il faut fuir. Et les copains ne s’en privent pas et prennent leur pattes à leur coup. L’autre solution c’est donc d’engager des gardes du corps. Les fourmis noires, de l’espèce Lasius niger, font d’excellent protecteurs : elles peuvent mordre et projeter de l’acide. Sans compter qu’elles sont souvent très nombreuses à s’attaquer au prédateur des pucerons. Mais les fourmis elles ne travaillent pas gratuitement ! Pour les recruter ces gardes du corps, il faut pouvoir les rémunérer. Alors ca tombe bien, car les fourmis acceptent d’être payées en nature. Et c’est là qu’on en revient au fameux miellat ! Grâce à sa concentration élevée en divers sucres, parfois très rares dans la nature, le miellat intéresse fortement les fourmis. C’est une sorte de carburant pour leur colonie. Les fourmis le collecte donc directement à la source : c’est-à-dire au niveau de l’anus des pucerons ! Les pucerons eux donc retiennent leur gouttelette de miellat et attendent qu’une fourmi passe pour la récolter. Celle-ci prévient de sa présence en tapotant l’abdomen du puceron à l’aide de ses antennes. Et aussitôt, le puceron hausse son derrière et éjecte sa goutte de miellat. Tel un fermier trayant son troupeau, la fourmi récolte de la sorte autant de miellat qu’elle peut en ingurgiter, avant de l’apporter à ses sœurs, restées dans la colonie. Les fourmis se promènent donc dans leur troupeau et le protègent contre les prédateurs, auxquels elles distribuent de violentes morsures. Cependant, les fourmis patrouilleuses ne sont pas toujours à proximité des attaques. Heureusement, elles peuvent compter sur l’alerte donnée par les pucerons, dont la phéromone d’alarme sert aussi à alerter leur gardes du corps, qui arrivent rapidement, mandibules grandes ouvertes, prêtes à se battre contre la menace. Cette relation est qualifiée de mutualiste : chaque partenaire tire bénéfice de son association avec l’autre. Verheggen F, Diez L, Sablon L, Fischer C, Bartram S, Haubruge E, Detrain C (2012). Aphid alarm pheromone as a cue for ants to locate aphid partners. Plos One 7(8) e41841.
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Septembre 2024
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