Si je t’avais demandé de me citer un animal migrateur, sans doute aurais tu d’abord pensé à un oiseau. Je me trompe ? Qu’il soit un petit passereau, une oie, une cigogne ou un manchot, tous sont des exemples bien connus pour les longs voyages migratoires qu’ils réalisent annuellement. Mais les oiseaux ne sont pas les seuls à migrer chaque année. On peut citer des mammifères comme des baleines ou des rennes, des poissons comme les saumons, des amphibiens ou encore des tortues. Et je veux bien mettre ma main au feu que personne n’aurait pensé d’emblée à un insecte migrateur. Ils sont en effet beaucoup moins célèbres que les oiseaux pour leurs migrations, et pourtant de nombreux insectes mériteraient toute notre admiration. J’aurais pu te parler des criquets pèlerins ou des libellules, mais j’ai préféré te décrire le voyage incroyable entrepris par les monarques (Danaus plexippus L.). Et donc dans cette vidéo, je te propose de plonger ensemble dans la fantastique épopée que ce papillon vit chaque année lors de son étonnante migration, un voyage épique qui le mène du Canada jusqu'aux forêts mexicaines. Prépare-toi, je te garantis que tu seras émerveillé par la détermination du papillon monarque.
Les animaux migrent pour différentes raisons qui sont systématiquement liées à leur survie. La principale motivation des espèces migratrices est la recherche de nourriture : ces animaux changent de régions pour se rendre là où leur nourriture est plus abondante, que ce soient des plantes ou des proies. Mais ils peuvent aussi se mettre en recherche d’une zone de reproduction, comme des aires de nidification pour les oiseaux ou des zones de frai pour les poissons. Les migrations peuvent aussi être motivées par les changements saisonniers, et dans ce cas les animaux migrent pour éviter les hivers rigoureux ou les étés trop chauds. Ils migrent aussi parfois pour éviter leurs prédateurs ou éviter la compétition avec d'autres espèces. Et souvent la migration est motivée par plusieurs de ces raisons simultanément. Je te ping d’ailleurs là-haut une vidéo fascinante sur les lemmings, dont les migrations sont très dangereuses. Mais j’en reviens au monarque. Ce magnifique papillon mesure une dizaine de centimètres et ne pèse pas plus d’un demi-gramme. Ses ailes arborent fièrement leurs colorations vives qui tranchent habituellement avec son environnement, puisqu’elles sont colorées de nuances de rouge, d’orange et de jaune, et sont ponctuées de taches claires et tranchées par d’épaisses nervures sombres. Si habituellement les insectes tentent de passer inaperçus aux yeux de leurs prédateurs, la stratégie choisie par le monarque est tout opposée. Ses couleurs franches informent les oiseaux de son mauvais gout. Il faut donc voir ces couleurs comme un signal qui clignote et qui dit « ne me mange pas ou tu le regretteras ». Le monarque n’est pas toxique de naissance. Il acquière son poison interne en consommant des plantes bien particulières alors qu’il n’est qu’une chenille : les asclépiades. Les feuilles de ces végétaux ne sont pas simplement nutritives, elles contiennent aussi des cardénolides. Ces molécules neurotoxiques sont fabriquées par la plante pour se protéger contre les insectes qui tentent d’en manger les feuilles. Habituellement, cela agit relativement bien : une fois ingérées, ces toxines tuent les insectes en empêchant leur système nerveux de fonctionner correctement, ce qui le conduit à une mort rapide. Mais ce n’est pas le cas pour les chenilles du monarque qui ont réussi à contourner cette stratégie de défense : au lieu de digérer ces produits dangereux, les chenilles les absorbent puis les séquestrent dans leur corps, avant qu’ils ne puissent leur être néfastes. Les poisons sont accumulés puis conservés dans le corps du papillon, une fois que la chenille a effectué sa métamorphose. Les nombreuses espèces d’oiseaux insectivores ont appris à éviter les papillons monarques. Bien sûr ils ont gouté un de ces insectes au début de leur vie. Mais leur gout amer leur a causé des vomissements si désagréables qu’il est hors de question d’y gouter à nouveau. Les oiseaux ont donc associé cette mauvaise expérience culinaire aux colorations orangées prononcées du papillon, et évitent de consommer tout ce qui y ressemble. On parle d’aposématisme. Cette stratégie consiste pour un animal à envoyer un signal clair à ses prédateurs pour les avertir de son mauvais gout. Ce signal est, le plus souvent, une coloration vive qui tranche avec l’environnement. Mais revenons à la migration des monarques : ces papillons n’ont pas seulement trouvé un moyen de se défendre contre leurs prédateurs, ils ont également trouvé comment survivre à la rudesse de l’hiver canadien. A l’instar des oiseaux migrateurs, ils ont choisi de fuir vers des terres plus hospitalières. Et l’heure du grand voyage se rapproche à mesure que les jours raccourcissent et que les températures baissent. A l’automne, les monarques quittent donc leur terre natale pour entreprendre le plus long voyage de leur vie : de quatre à cinq mille kilomètres en direction du Sud et deux mois de vol pour les emmener jusqu’au Mexique, leur terre promise … leur terre d’hivernage. Pour traverser les États-Unis, ils doivent faire défiler sous leurs ailes cinquante kilomètres chaque jour. Leur destination se trouve au cœur des forêts d’Oyamels, localisées dans les régions montagneuses de l’état du Michoacán, au centre du pays. Pour être totalement exacte, quelques populations de monarques, localisées à l’extrême Ouest et l’extrême Est du continent Nord-Américain, rejoignent plutôt la Californie ou la Floride pour passer l’hiver. Mais dans tous les cas, ils peuvent compter sur le soleil pour s’orienter, ainsi que sur une boussole interne qui leur permet de percevoir le champ magnétique de la Terre et de garder le Sud en ligne de mire. Après deux mois de voyage, les papillons arrivent sur place. Ils se rassemblent sur une poignée d’hectares de forêt. Ces forêts d’Oyamels sont la destination parfaite : ils n’y sont pas exposés au gel qu’ils auraient subi dans leur aire native au Canada. Mais il n’y fait pas non plus trop chaud. Au contraire, c’est important qu’il y fasse un peu froid, suffisamment en tout cas que pour allonger leur espérance de vie, suffisamment longtemps pour tenir jusqu’à la fin de l’hiver. Ça peut paraitre étrange je le reconnais, mais chez les insectes, le froid ralenti le métabolisme et donc la consommation de ressources, et donc l’espérance de vie. Dans ces forêts d’Oyamels, de très imposants conifères les attendent. Ces arbres poussent à l'état naturel sur les versants élevés et exposés à l'humidité au sein des montagnes mexicaines. Chacun d’eux accueille des milliers, voire des millions de monarques en provenance du Nord du continent. Les papillons sont parfois si nombreux que l’écorce des troncs est à peine visible et qu'il est possible de les entendre voler. Les papillons affectionnent particulièrement ces arbres là car leur tronc agirait comme un tampon de température, dégageant de la chaleur pendant la nuit, mais étant plus froid que l'air ambiant pendant la journée. Ces arbres sont donc essentiels à la survie des monarques, si bien que la réserve naturelle qui accueille les Oyamels et les monarques au Mexique est aujourd’hui classée « patrimoine mondial » par l’UNESCO. Épuisés par leur voyage et poussés par la fraicheur du climat local, les monarques entrent en diapause : un état de dormance qui va durer trois mois et pendant lequel leurs fonctions vitales tournent au ralenti. Ils accumulent et stockent des lipides, des protéines et des glucides. Les lipides empêchent le dessèchement de l’insecte, mais surtout ils fournissent des réserves d'énergie, qui sont utilisées comme carburant pour maintenir l’insecte en vie tout au long de sa diapause et jusqu’à ce que les jours se rallongent à nouveau. Peu avant le début du printemps, ils se réveillent et s’apprêtent à reprendre la route pour retourner au Canada. Malheureusement, il leur sera impossible de réaliser à nouveau l’exploit d’un si long périple. C’est ainsi qu’en cours de route, quelque part sur le territoire américain, ils se posent et jettent l’éponge. Mais pas avant de s’être assuré que leur descendance poursuivra l’aventure. Ils s’accouplent donc et déposent leurs œufs sur des asclépiades. Quelques jours plus tard, les chenilles devenues papillons poursuivent le voyage, puis abandonnent à leur tour en chemin et se choisissent de nouvelles asclépiades pour s’accoupler et déposer de nouveaux œufs. C’est ainsi que jusqu’à quatre générations de papillons doivent ainsi se succéder pour rejoindre le Canada, aux alentours du mois de juin. Quelques mois plus tard, le cycle recommence et le grand voyage doit être à nouveau réalisé. Les populations de monarques sont en déclin depuis plusieurs années : proche du milliard d’individus en 1997, les papillons n’auraient été que cinquante millions en 2015. Aujourd’hui, ils n’occupent que quelques hectares de forêt d’Oyamel, contre cinquante hectares à la fin des années 80. Les causes semblent multiples. Le monde scientifique s’accorde pour pointer du doigt les changements climatiques (qui dérèglent les conditions météorologiques sur le site d’hivernage) ainsi que l’usage d’herbicides à base de glyphosate aux États-Unis, qui fait disparaître l’asclépiade, plante essentielle à la multiplication des monarques durant leur voyage de retour.
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Novembre 2024
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