Les insectes sont les animaux les plus diversifiés du règne animal. Sur 10 espèces décrites par l’Homme, 9 sont des insectes. Cependant, une ombre s'abat sur cette incroyable diversité, et depuis une quinzaine d'années, les rapports se succèdent, laissant un constat indéniable : les insectes disparaissent ! Nous faisons face à un déclin généralisé des populations d’insectes. Tant dans leur nombre, que leur diversité. Tous les ordres principaux d’insectes sont touchés, papillons, mouches, scarabées, abeilles… Nous sommes les témoins d’une extinction qui a lieu en direct devant nos yeux, et dont nous sommes responsables. Alors oui bien sûr on se doutait depuis un moment qu’ils étaient moins nombreux. Si vous conduisiez déjà une voiture au 20ème siècle, vous savez que votre pare-brise est beaucoup moins couvert d’insectes morts aujourd’hui, qu’il y a 30 ans. Depuis longtemps la science a bien documenté la disparition des pollinisateurs. Mais les données obtenues au cours des dernières années étonnent à la fois les scientifiques et le grand public, à cause de l’étendue et de la gravité de la disparition de tous les insectes. Dans ce article, je vais explorer avec toi les sombres secrets du déclin des insectes. Je vais te démontrer qu’ils sont de moins en moins nombreux et de moins en moins diversifiés. Je vais aussi te parler des causes de leur disparition et donc des solutions à apporter. Car le destin des insectes est intimement lié au nôtre, et l'avenir de notre planète dépend de notre capacité à agir maintenant. Contexte Nous connaissons une grave crise de la biodiversité, et aujourd’hui je ne vous parlerai que des insectes. Les archives fossiles, qui remontent à plusieurs centaines de millions d’années suggèrent que ce n’est pas la première fois dans l’histoire de la vie sur Terre que la classe des insectes subit un déclin important. Dans ces archives géo-biologiques on peut lire qu’il y a déjà eu des extinctions massives d'insectes dans le passé, mais que celles-ci ont été causées par des phénomènes naturels tels que des activités volcaniques ou des impacts de météores. C’est ainsi par exemple que l’extinction du Permien-Trias, qui date d’il y a 250 millions d’années, a conduit à la plus grande extinction d’insectes que la terre ait connue. Des populations d’insectes qui se sont ensuite re construites, mais attention, je vous parle d’évènements qui ont duré des millions d’années. « Haaaa mais alors il n’y a pas de problème, elles vont s’en remettre tes petites bêtes ». Non, ici c’est pas pareil. Car l’extinction actuelle des insectes, elle est causée par l’Homme, et elle est fulgurante ! Comme je vous le disais en introduction, l’inquiétude concernant une extinction d’origine humaine s’est accrue depuis la fin du 20e siècle, bien qu’une grande partie des premières inquiétudes ne se soient pas concentrées sur les insectes. Au siècle dernier on a abondamment documenté la disparition des oiseaux, des chauves-souris, ou des grands mammifères terrestres, mais on n’a pas vraiment donné beaucoup d’attention aux insectes. Une raison en est le manque d'espèces d'insectes très charismatiques. C’est plus facile de recevoir des sous pour étudier la disparition des orang-outans ou des rhinocéros blancs, que l’Eupithécie du Cyprès. Vous voyez ce que je veux dire. Le déclin de la biodiversité Dans les années 2010, de nombreux rapports ont fait état d'un déclin généralisé des insectes. Ce déclin, il faut le voir à deux niveaux : d’un côté il y a l’abondance – ou simplement le nombre d’insectes sur un territoire donné, et de l’autre il y a la diversité des insectes. Je vais te parler du déclin de l’abondance des insectes dans un instant, mais avant je veux clarifier cette idée de diversité. La diversité spécifique, c’est le nombre d’espèces que l’on retrouve sur un territoire donné. Et ce n’est pas la même chose que l’abondance, même si souvent les deux sont liés. Prenons un exemple : imagine deux jardins. Dans le premier jardin, on laisse la nature se développer, il y a un tas de bois, des haies, des arbres, des hautes herbes. L’autre est juste composé d’un gazon bien tondu à ras, à l’exception d’un petit coin où des choux ont été plantés. Dans notre jardin sauvage, on retrouve des dizaines d’espèces d’insectes, dans le bois, sur les fleurs, dans le sol. La diversité spécifique y est importante. Dans le jardin tondu, il n’y a pas un chat, à l’exception d’une population de pucerons qui se multiplie sur les choux, sans aucun contrôle naturel. Les pucerons sont des milliers sur les choux. La diversité est faible (une seule espèce d’insecte) mais l’abondance est aussi très importante. Depuis plusieurs années, les chercheurs tirent la sonnette d’alarme à propos de la perte de biodiversité d’insectes. Lorsque l’on observe les pollinisateurs, on constate que le nombre d’abeilles différentes est bien plus faible que dans le passé. Il y a 15 ans lorsqu’avec mon équipe, nous étudions la diversité des coccinelles dans les terres agricoles, nous pouvions observer sur une journée plus de 10 espèces différentes de coccinelles. Aujourd’hui, quand on en trouve 3, on peut s’estimer heureux. Peut-être vous rappelez vous de la coccinelle à deux points. J’ai à la maison quantité de livres où elle est joliment illustrée. Pourtant aujourd’hui, mes filles et moi peinons à observer cette petite coccinelle à l’extérieur. En revanche, les coccinelles asiatiques ou les coccinelles à 7 points sont présentes et très abondantes dans le Nord de la France et en Belgique. On n’a pas perdu en nombre de coccinelles, on a perdu en diversité. Dans son rapport annuel de 2012, la société zoologique de Londre a suggéré que la diversité d'insectes est en déclin à l'échelle mondiale. Toujours selon cette société savante, environ 20% de toutes les espèces d’invertébrés (donc les insectes mais aussi les vers ou les limaces) 20% seraient menacées d'extinction, une menace qui toucherait principalement les espèces les plus petites et les moins mobiles. Le déclin de la quantité Mais l’étude qui a réellement fait grand bruit dans la presse du monde entier, c’est un travail allemand, qui date de 2017. D’ailleurs suite à ce travail, certains collègues étrangers n’ont pas hésité à parler d’Apocalypse, ou d’Armageddon écologique. Cette recherche allemande est basée sur le travail de dizaines d'entomologistes. En Allemagne, ces spécialistes des insectes ont compté et identifié les insectes au sein de zones protégées et à l’aide de méthodes scientifiques très robustes. Ils ont utilisé des tentes spéciales appelées pièges malaise et ont pu ainsi dénombrer les insectes volants dans 63 réserves naturelles. Une donnée leur a tout de suite semblé étonnante… Ils ont constaté qu’ils capturaient bien moins d’insectes qu’avant. Et plus particulièrement de poids total des insectes collectés. En moyenne 76 % de moins par rapport aux inventaires d’il y a 27 ans, et même 82 % de moins pour la période estivale, c’est-à-dire lorsque le nombre d'insectes devrait être à son apogée. Le travail démontre que chaque année, on perd 5 % des insectes volants dans ces réserves naturelles. Ce n’est donc pas du tout comparable à ce qui s’est produit lors de l’extinction du Permien-Trias d’il y a 250 millions d’années, qui elle s’est produite graduellement sur plusieurs millions d’années. Cette étude allemande a fait grand bruit, car les rapports précédents sur le déclin des insectes se limitaient à des insectes particuliers, tels que les papillons des prairies européennes. Cette recherche-ci était plus large, puisqu’elle s’intéressait à tous les insectes volants, y compris les guêpes et les mouches, qui sont rarement étudiés. Et le fait que les échantillons aient été prélevés dans des zones protégées rend les résultats encore plus inquiétants. Ces zones sont des réserves naturelles bien gérées, la biodiversité devrait donc s’y épanouir. Pourtant, malgré les efforts de protection, ce n’est pas le cas, et un déclin spectaculaire par son ampleur et sa rapidité s’est produit. Ce qui a fait dire au célèbre écologue Dave Goulson en 2017 dans une interview au Gardian : « Les humains transforment de vastes étendues de terre en zones inhospitalières à la plupart des formes de vie, et nous sommes actuellement sur la bonne voie pour un Armageddon écologique. » Quelques nuances à apporter Alors à ce stade, permets-moi d’apporter quelques nuances à ce tableau fort sombre, j’en conviens.
Conséquences de toutes ces nuances, et bien en 2019, la société américaine d’entomologie a déclaré qu'il n'y avait pas encore suffisamment de données pour prédire une extinction massive, généralisée et imminente des insectes et que certaines des prédictions qui ont été faite quelques années auparavant pourraient « avoir été légèrement exagérées ». Les causes du déclin Vous l’avez compris, globalement, on connait un déclin de la diversité et de l’abondance des insectes. Mais quelles sont les causes de ce déclin ? Les causes du déclin des populations d'insectes sont similaires à celles qui entraînent la perte d'autres formes de biodiversité. Il y a tout d’abord la destruction de l’habitat. Un insecte a besoin d’abris et de nourriture. Convertir des terres sauvages en terrain agricole, c’est supprimer les plantes et les abris des insectes, qui ne peuvent donc plus survivre. D’ailleurs la conversion de terre à l’agriculture intensive est considérée comme la première cause de la disparition des insectes. Mais cela passe aussi simplement par la suppression d’un arbre mort ou par le remplacement d’un bout de prairie par un gazon finement taillé, dans tous les cas tu fais la même chose : tu supprime le gîte et le couvert des insectes, qui doivent donc disparaitre. En seconde position je place la pollution de l’environnement. Les humains répandent quantité de poisons, et d’insecticides en particulier, dans leur environnement. Ces produits on les applique sur les plantes que l’on cultive, mais ils persistent dans nos sol, se retrouvent dans nos plantes sauvages, dans l’air, dans l’eau. Ils peuvent avoir des effets néfastes sur les insectes non ciblés, les tuant directement ou perturbant leur comportement ou leur reproduction. Par exemple en 2012 on démontrait que les colonies de bourdons ne se développaient pas correctement ou que des abeilles intoxiquées pollinisaient des plantes qu’habituellement elles évitent Troisième cause, les changements climatiques qui impactent aussi négativement la biodiversité d’insectes. L'augmentation des températures, les précipitations irrégulières et les événements météorologiques extrêmes affectent les habitats des insectes et perturbent leurs cycles de vie. Quatre, les espèces invasives. L'introduction d'espèces exotiques dans de nouveaux environnements peut perturber les écosystèmes indigènes et entraîner la compétition pour les ressources alimentaires et les sites de reproduction. Les espèces invasives peuvent également propager des maladies ou des parasites qui affectent les populations d'insectes indigènes. Et il y a encore d’autres causes comme la pollution lumineuse, la fragmentation génétique ou la dégradation de la qualité des aliments des insectes, mais restons-en-là si tu veux bien. Le déclin des populations d'insectes affecte les écosystèmes et les autres populations animales, y compris les humains. Les insectes vous devez les voir non pas comme des indésirables, mais comme la base structurelle et fonctionnelle de très nombreux écosystèmes mondiaux. Sans eux, rien ne fonctionne. Ils sont la dalle de béton sur laquelle tu construis ta maison. Ils sont la base du château de carte. Je sais que ca parait fou, mais c’est réellement le cas. Une étude mondiale réalisée en 2019 a averti que, si ce déclin n'était pas atténué par des mesures décisives, il aurait un impact catastrophique sur les écosystèmes de la planète. Quantités de plantes ne peuvent se passer d’eux. Les oiseaux et les grands mammifères qui se nourrissent d'insectes peuvent être aussi directement touchés par ce déclin. Le déclin des populations d'insectes c’est aussi moins de déchets biologiques recyclés. Et j’en passe ! On fait quoi ? Alors on fait quoi tu me demanderas ? Et bien on reprend la liste de toutes les causes du déclin de la biodiversité et on lutte contre. On restaure les habitats, on réduit les polluants, les espèces invasives et le changement climatique. Je ne vais pas vous dire comment faire tout cela car la vidéo est déjà fort longue. Mais il faut reconnaitre que certains gouvernements de pays européens ont introduit des mesures de conservation pour aider les insectes. Des mesures visant à promouvoir leurs habitats, la réduction de l'utilisation de pesticides, de la pollution lumineuse et des polluants dans le sol et l'eau. En revanche j’en profite pour vous parler des hôtels à insectes parce qu’on me demande souvent si en installer un permet de sauver la biodiversité. Il y a quelques années je prenais cette photographie au niveau d’une station essence localisée près de chez moi. Et je faisais l’analogie suivante : Construire un hôtel de luxe au milieu d’une zone désertique ne fera pas venir les touristes s’il n’y a aucun restaurant ou aucune activité touristique a réaliser. Il en est de même pour les hôtels à insectes. Les hôtels à insectes stimulent la biodiversité, mais ils ne la créent pas. En plus de lutter contre les causes du déclin, je plaide pour promouvoir la recherche. L'une des raisons pour lesquelles les études sur le déclin des insectes sont limitées est que l'entomologie est elle-même en déclin. Lors du congrès d'entomologie de 2019, le chercheurs Jürgen Gross a déclaré que « nous, les entomologistes, nous sommes nous-mêmes une espèce en voie de disparition ». Et les cours de biologie à l’école ou à l'université accordent moins d'attention aux insectes qu’à d’autres groupes d’animaux. Et ce problème de recherche insuffisante est encore plus aigu dans les pays en développement. Aujourd’hui, presque toutes les études sur le déclin des insectes proviennent d'Europe et des États-Unis, alors que ces deux régions ne représentent pas plus de 20 % des espèces d'insectes dans le monde.
0 Commentaires
Laisser une réponse. |
Details
AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Novembre 2024
Catégories |