Voici ton histoire, et celle de toute l’humanité. Le Big Bang. Un cataclysme que l’on situe à -13,8 milliards d’années. Une éternité passe avant que des nuages de gaz et de poussières s’agglomèrent pour former la Terre et toutes les autres planètes du système solaire, il y a 4,5 milliards d’années. Aucune forme de vie n’est alors présente. Notre toute jeune planète est très différente du monde que nous connaissons : il n'y a pas d'océan et son atmosphère est totalement dépourvue d'oxygène. La Terre est sans cesse bombardée par des matériaux issus de la formation du système solaire. Ces bombardements provoquent des activités volcaniques permanentes. Les éléments les plus lourds s'enfoncent au centre de la planète pendant que les plus légers remontent à la surface. La Terre acquiert peu à peu la structure interne qu'on lui connaît aujourd'hui. Après une longue phase de refroidissement, les océans se forment. Mais il faut des centaines de millions d’années pour que les conditions deviennent propices à l’apparition de la vie. Qu’est-ce qui a déclenché le processus de combinaison des molécules inertes pour former des organismes vivants ? Le mystère n’est pas totalement élucidé. Selon l’une des théories, les molécules présentes sur Terre se seraient combinées selon leurs affinités chimiques et auraient donné naissance à des assemblages de molécules plus complexes. Ces assemblages se seraient associées pour former des acides aminés, eux-mêmes étant les éléments constitutifs des protéines. Puis ces éléments chimiques se sont retrouvés enfermé dans des cellules primitives, isolées dans des membranes simples. Quand seraient apparus ces premières formes de vie ? Les scientifiques débattent toujours sur cette question. On enseignait communément que les premiers êtres vivants seraient apparus entre - 3,8 et - 3,5 milliards d'années. Mais une étude toute récente datant de l’été 2024, avance l’âge de 4,2 milliards d’années pour LUCA, ou Last Universal Common Ancestror, dernier ancêtre commun universel. LUCA, c’est le nœud de l'arbre de la vie, à partir duquel deux groupes – deux domaines - de cellules procaryotes divergent : les Archées et les bactéries. Il s’agit évidemment d’un organisme important pour comprendre l’évolution de la vie sur terre et notre origine à nous également, car plantes et animaux proviennent probablement de l’évolution des archées. Des cellules dépourvues de noyau qui n’avaient à l’époque pas besoin d’oxygène pour se reproduire. Toutes ces bactéries sont donc les premiers êtres vivants à coloniser la Terre par les océans. Parmi elles, les cyanobactéries vont changer complètement la face du monde. Elles acquièrent la capacité de transformer le dioxyde de carbone de l'atmosphère en oxygène. Grâce à elles, l’atmosphère de l’époque se rapproche de l'atmosphère actuelle. Les premières cellules pourvues d’un noyau, qu’on appelle les eucaryotes, seraient apparues il y a 2 milliards d’années. Ces êtres unicellulaires évoluent progressivement vers des organismes complexes composés cette fois de plusieurs cellules et vivant bien sur toujours dans les océans. Au fil du temps, la taille de ces organismes augmente, avec une véritable explosion de diversité : méduses, algues, éponges, vers et champignons peuplent les océans il y a 600 millions d’années. Lors du précambrien, il y a environ 540 millions d’années, se produit un chamboulement énorme pour la vie animale. Sans doute la période la plus importante. On parle de l'explosion cambrienne. Explosion. Pour souligner à quel point l'apparition de nombreuses formes de vie animale sera rapide, à l’échelle de l’histoire de notre planète bien sur. En quelques millions d’années apparaissent les premiers animaux dotés de pattes articulées et ceux doté d'un squelette. Les premiers vertébrés apparaissent sous la forme de poissons primitifs. Il faudra attendre 100 millions d’années de plus pour voir apparaitre les premières traces de plantes et d'animaux terrestres, terre ferme que les insectes et les acariens vont coloniser. Il y a 250 millions d’années apparaissent les reptiles, et à partir des reptiles apparaissent peu après les premiers mammifères, dont le sang est chaud et le corps recouvert de poils. Le soucis, c’est qu’à cette époque, ce sont les dinosaures qui sont les rois et qui monopolisent toutes les niches écologiques. Les mammifères restent donc cantonnés dans les rares niches laissées libres en attendant leur heure. Ils se sont montrés patient les petits mammifères de l’époque, car le règne des dinosaures a duré 200 millions d’année, jusqu’à leur extinction il y a 65 millions d'années. La place était libérée, et il faudra peu de temps aux mammifères pour prendre peu à peu possession du terrain, et engendrer les primates et les premiers singes vers -55 millions d'années. De grands bouleversements climatiques surviennent alors et affectent la Terre. Les primates disparaissent des continents de l'hémisphère Nord, et seuls ceux provenant des régions tropicales du globe survivent aux changements de température. Vers –35 millions d'années, les premiers singes modernes apparaissent. Grâce à leur capacité d'adaptation, ils évoluent en de multiples espèces qui finissent par occuper plusieurs niches écologiques. Parmi eux, on trouve les hominoïdes, ancêtres communs aux hommes, aux chimpanzés et aux gorilles. Entre -20 et -10 millions d'années, on les nomme notamment proconsuls. Ils sont pourvus d’une épaisse fourrure et sont parfaitement adaptés à une vie arboricole. Leur poids avoisinait les 18 kilos, et sur base de leurs dents on déduit qu’ils se nourrissent principalement de fruits, qu’ils attrapaient grâce à leurs très longs bras. Même s’il n’est pas exclu qu’ils mangeaient aussi des petits animaux. A cette époque déjà, ces singes n’avaient plus de queue. Ils ne pouvaient donc se suspendre aisément aux branches et préféraient rechercher leur nourriture en s’y déplaçant à quatre pattes. Ces grands singes se dispersent hors d'Afrique, vers -16 millions d’années. À la suite d’un nouveau changement climatique, les hominoïdes des zones tropicales sont les seuls à s'accommoder des nouvelles conditions de vie. Pour s’adapter ils doivent apprendre à se déplacer au sol et à y chercher leur nourriture. Je vous parlais justement dans une récente vidéo de leur rencontre avec l’alcool, et des adaptations qu’ils ont dû subir pour survivre. Il y a 8 millions d'années, les grands singes hominoïdes vivent à l'est du continent africain, dans une région largement boisée. Cette région entre alors dans une instabilité géologique du fait des pressions exercées sur les plaques tectoniques. Les climats des deux côtés du rift sont complètement différents : humide avec des forêts à l'ouest, plus sec avec la formation des savanes à l'est. Cette séparation serait-elle à l’origine de la séparation des lignées des Hommes et celles des grands singes ? Comme souvent, il reste des inconnues. On nomme en tout cas cette hypothèse l'East Side Story. Elle a été popularisée début des année 80 par le Français Yves Coppens et elle suppose que les ancêtres des grands singes sont nés à l'ouest dans les arbres, et ceux de l'homme à l'est dans la savane. Ce modèle est cependant bouleversé par les découvertes d'Australopithecus bahrelghazali (qu’on surnomme Abel) et de Sahelanthropus tchadensis (qu’on surnomme Toumai). Ces deux squelettes sont retrouvés au Tchad début des années 2000. On est à 2500 km à l'ouest du rift. Des préhumains à l’ouest, ça met du plomb dans l’aile de la théorie de Coppens. L’East Side Story est mise à mal. Toumai vivait en Afrique il y a 7 millions d’années. Son squelette justifie qu’on le considère comme appartenant à la branche humaine, et non celle des chimpanzés ou des gorilles. Aujourd’hui, les nouvelles théories repoussent beaucoup plus loin la séparation des lignées hommes et grands singes, au lieu de -8 millions d’années, on serait plutôt autour des -13 millions d'années. Si Toumai appartenait au genre Sahelanthropus, Abel lui était un Australopithèque. Il s’agit de singes bipèdes, qui se dressent donc en permanence sur leurs membres inférieurs. Les premières traces des australopithèques datent de 4 millions d'années. On en reconnaît plusieurs espèces, typiquement de 6 à 8, car toutes ne sont pas acceptées par les chercheurs. Lucy, ou Australopithecus afarensis, l’un des fossiles les plus célèbres au monde, a longtemps été considérée comme un ancêtre directe de l'Homme, mais ce n’est plus du tout accepté aujourd’hui. Les Australopithèque sont aujourd’hui considérés comme une lignée très proche mais parallèle à celle des humains modernes. L'acquisition de la bipédie représente en tout cas une belle première étape de l'hominisation. Viendra ensuite la seconde, celle de l'accroissement du cerveau qui caractérise le genre humains. Les Australopithèques utilisaient des outils de pierre pour casser des noix, mais il semble qu’ils ne taillaient pas intentionnellement les pierres pour s'en servir. Vers -2,8 millions d'années, des changements climatiques et environnementaux -encore- marquent la disparition des australopithèques et l'émergence parallèle des paranthropes et surtout, des premières espèces du genre Homo, notamment Homo rudolfensis et Homo habilis. Ces derniers sont toujours bipèdes, mais leurs jambes sont courtes donc ils n’étaient sans doute pas de bons marcheurs. Rapidement ensuite arrive sur scène Homo ergaster. Voilà trois espèces du genre Homo qui cohabite donc, ce qui démontre que l'évolution de l’Homme est buissonnante et non linéaire. Ergaster lui est souvent perçu comme un conquérant qui découvre le monde. Il vivait en Afrique entre -1,9 et -1 million d'années avant notre ère. Il présente de nombreux caractères qui annoncent l'homme moderne et s'affranchit véritablement du monde des arbres. C'est un bipède accompli et lui est un excellent marcheur capable de courir sur de longues distances. Au gré de ses déplacements et des glaciations, le corps d'Homo ergaster évolue et s'adapte aux voyages. Il se distingue comme un bon chasseur, capable de traquer et de tuer du gros gibier. C'est d’ailleurs le premier homme à être équipé d'une panoplie d'armes de chasse. Les plus anciens de ces outils taillés sur leurs deux faces se trouvent en Afrique et datent de - 1,6 million d'années. On les nomme des bifaces, ce sont les premiers silex entièrement façonnés avec soin, de façon symétrique. La maîtrise de ces outils et son envie de consommation de la viande poussent Ergaster à s'aventurer dans des territoires inconnus. Homo ergaster est sans doute à l'origine du peuplement d'Homo erectus en Europe et en Asie. Homo erectus apparaît sur la scène de l'évolution il y a 1,7 million d'années. Son corps et les proportions de ses membres ont beaucoup de similitudes avec ceux de l'homme moderne. Ce nouvel Homme se tient bien droit, son allure générale et sa démarche ne sont pas très différentes des nôtres. Homo erectus est un cueilleur de fruits et de racines. Il est aussi charognard, mais sa principale ressource en viande reste la chasse. Au fil des millénaires, Homo erectus améliore ses techniques de taille des pierres et étend la gamme de ses outils : il réalise par exemple les premiers hachereaux. II peut également confectionner des lieux de vie, avec des branchages recouverts d'un revêtement de feuilles et de peaux de bêtes. Homo erectus est le premier homme à avoir domestiqué le feu. Grâce à lui, ses conditions de vie s'améliorent, il peut cuire les aliments et utiliser le feu pour se protéger du froid ou des prédateurs. Trois grandes populations d'Homo erectus se partagent la Terre il y a 800 000 ans. L'une est installée en Afrique, une autre en Asie et une troisième en Europe. Laissons Homo erectus sur le côté un instant si tu veux bien, car il y a environ 300.000 ans les hommes de Neandertal apparaissent sur la scène de l'évolution, en parallèle donc des espèces de pré-humains. Depuis la découverte des premiers néandertaliens en 1856, leur statut a souvent varié : un temps considéré comme une sous-espèce d'Homo sapiens et nommé donc à une époque Homo sapiens neanderthalensis. Il est aujourd'hui considéré comme une espèce à part entière nommée Homo neanderthalensis. Les hommes de Neandertal semblent être issus du métissage de différentes formes d'erectus africains ou asiatiques. Ils ont un visage différent de celui de l'homme moderne. Le crâne apparaît plus bombé au niveau du front, le visage est plus large et accentué par un front fuyant et un menton presque absent. La charpente osseuse de Neandertal est robuste. Pour la chasse, ils utilisent de lourds épieux en bois, longs de 2 m, et parfois garnis de pointes en pierre ou bien durcis par le feu à leur extrémité. Les Hommes de Neandertal se répandent progressivement dans toute l'Europe et l'Asie occidentale environ 200 000 ans avant notre ère. Mais arrivés au Moyen-Orient, les néandertaliens ne sont pas seuls. Ils rencontrent d'autres hommes, les prédécesseurs directs des hommes de Cro-Magnon, appelés les « proto-Cro-Magnon ». Ils ont des cultures assez proches et de nombreux points communs, comme la chasse et les autres moyens de subsistance. Si on a peu d'indices sur la nature de la cohabitation entre les deux espèces, il n'est pas difficile d'imaginer que ces deux espèces soient entrées en concurrence. Et cette concurrence a sans doute été l’un des facteurs de la disparition des Néandertaliens, il y a 35 à 40 milles ans environ. Il y a quelques semaines, une nouvelle recherche menée par le français Ludovic Slimak nous présentait 31 dents et plusieurs morceaux de mâchoire, ayant appartenu à l’un des derniers néandertaliens à avoir vécu sur le continent européen. Ils l’ont baptisé Thorin, en référence au personnage du roman de Tolkien Bilbo le Hobbit. Ludovic Slimak justifie cet hommage en déclarant "Le Thorin de Tolkien est un des derniers rois nains sous la montagne, un des derniers de sa lignée. Le Thorin que nous avons découvert, lui, figure parmi les derniers néandertaliens." Je reviens à Homo erectus à présent. Il a émigré de l'Afrique vers l'Asie il y a 2 millions d'années. Puis une deuxième vague d'immigration s’est produite vers l'Europe 1 million d'années plus tard. Tout le monde n’est pas d’accord lorsqu’il s’agit de reconstituer un scénario plausible, de l’émergence de l’Homme moderne dans le temps et aussi dans l’espace. Je parle donc bien d’Homo sapiens, l’espèce à laquelle nous appartenons. Plusieurs théories s’affrontent depuis des décennies pour expliquer les origines de l’homme moderne :
Il y a environ 100 000 ans, les hommes sont donc présents en Afrique, en Asie et en Europe. Chaque population présente des différences locales, mais elles sont toutes comparables les unes aux autres. Au fil de leurs voyages, ces humains rencontrent des populations dispersées et peu nombreuses. Ils les supplantent facilement grâce à leur organisation et leurs aptitudes morphologiques. On estime que les premiers hommes sont arrivés sur le continent américain il y a environ 35 000 ans par voie terrestre. 20 000 ans plus tard, l'Amérique est peuplée du nord au sud. Il y a 20 000 ans, les Homo sapiens finissent par habiter sur tous les continents. Ils ne diffèrent pas plus entre eux que les différents hommes actuels qui peuplent notre planète. En Europe, c'est l'homme de Cro-Magnon qui s'installe vers -40 000 ans. Cro-Magnon est un homme anatomiquement moderne, de grande taille, on estime qu’il vivait jusque l’âge de 30 ou 35 ans. Il est sans doute le premier à se donner le temps de développer la dimension culturelle de la vie. C’est à lui que l’on doit les premières expressions d’art pariétal, notamment observables aux grottes de Lascaux ou de Chauvet. Ses outils et armes sont variées : grattoirs, burins, pointes de projectiles, armatures. Il incorpore l'os et l'ivoire dans de petits objets domestiques. Il développe sa maîtrise du feu, en maîtrisant les températures de combustion et en variant ses utilisations pour la cuisine. Il occupe des grottes lorsqu'il en trouve, ou bien il aménage des tentes ou des huttes dans des sites de plein air. La suite de l’histoire est pleine d’innovations culturelles et technologiques, dont on peut parler une prochaine fois si cela t’intéresse.
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Novembre 2024
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