La démocratie aurait-elle été inventée par les humains il y a 2500 ans ? Et bien non. Car pour certaines espèces animales, consulter l’avis des autres membres du groupe avant de prendre une décision importante, c’est non seulement naturel, mais aussi très efficace. On va découvrir ensemble des communautés animales organisées comme des dictatures, mais d’autres aussi qui fonctionnent comme des démocraties. On verra que pour certaines, les groupes sont dirigés par des despotes, qui se font tout de même conseiller avant de prendre leur décision. Pour d’autres animaux, les décisions sont prises collectivement via l’organisation d’un scrutin. Et que chez certaines espèces il existe des influenceurs, qui mènent campagne afin d’impacter l’opinion et le vote de leurs congénères. Je parlais à l’instant de despotisme. Un système despotique impliquerait un groupe dans lequel un ou quelques dominants seraient les seuls à décider de tout. Cela ne fonctionnerait pas car les autres membres du groupe finiraient par quitter. Sauf bien sûr s’il y a des punitions ou des châtiments infligés aux individus dissidents. Et c’est exactement ce qui se passe dans une colonie de rat-taupe nus. Le rat-taupe nu (Heterocephalus glaber) est un animal fascinant qui vit dans les régions arides de l'Afrique de l'Est, principalement en Éthiopie, au Kenya et en Somalie. Ce petit mammifère fouisseur a une apparence peu conventionnelle, car il vit sous terre dans de vastes réseaux de tunnels qu’il creuse avec ses dents puissantes. Sa peau presque translucide et dépourvue de poils lui a valu son nom singulier. Le rat-taupe nu se nourrit principalement de tubercules et de racines, qu'il trouve en creusant dans le sol. L’une des particularités les plus remarquables de cet animal est l’organisation de sa colonie, qui fonctionne de manière similaire à celle des insectes sociaux comme les abeilles ou les fourmis. La colonie est dirigée par une seule femelle reproductrice, la reine, qui est la seule à se reproduire. Tous les autres membres de la colonie sont répartis en castes, avec des ouvriers qui s’occupent des tâches quotidiennes, et des soldats chargés de défendre la colonie. Ce système hiérarchisé strict et centré autour de la reine est un parfait exemple de despotisme animal, où un individu domine tous les autres. La reine maintient sa domination de plusieurs manières. Par la force physique tout d’abord, puisqu’elle se montre agressive envers les autres membres de la colonie, qu'elle bouscule et mord pour réaffirmer sa position dominante. Mais selon les chercheurs, elle est plus douce envers les membres de sa famille, ou envers les membres de sa colonie qui travaillent dur. Ensuite elle émet des phéromones, des substances chimiques odorantes qui inhibent la reproduction des autres femelles. En d'autres termes, tant qu'une femelle reste exposée aux phéromones de la reine, elle ne peut pas se reproduire. Cela garantit que seule la reine a des descendants. Les ouvriers et les soldats sont donc majoritairement ses descendants et lui sont plus fidèles. Mais dans certains groupes d’animaux, on peut retrouver de meilleurs leaders, qui écoutent l’avis des autres. Des leaders qui en quelques sortes s’entourent d’un groupe restreint de conseillers qu’ils se choisissent. C’est le cas des gorilles, chez qui la structure sociale repose en grande partie sur un leadership centralisé incarné par le dos argenté. Il s’agit d’un mâle qui dispose d’une bande argentée sur son dos à mesure qu'il vieillit, un signe de maturité et de statut élevé. Le dos argenté joue un rôle central dans la vie du groupe, car il décide quand et où le groupe se déplace pour chercher de la nourriture, se reposer ou se protéger. Les autres membres du groupe suivent. Le pouvoir ne va pas sans des responsabilités, si bien que ce grand mâle est le principal défenseur du groupe. Si des menaces extérieures, comme des prédateurs ou d'autres groupes de gorilles, s'approchent, c'est lui qui décide de la réaction du groupe, et qui se retrouve aux premières lignes du combat. Et enfin il est chargé d’apaiser les tensions qui apparaissent parfois entre membres. Bien que le dos argenté soit l'autorité principale, les comportements de déplacements du groupe sont décidés après consultation d’un groupe de femelles adultes qui peuvent parfois influencer ses décisions. Les chercheurs ont démontré que le dos argenté adapte ses décisions de leader en fonction des grognements formulés par ces femelles. A côté de ces systèmes despotiques on retrouve plusieurs espèces animales qui organisent fort bien leur décisions collectives sans avoir besoin d’aucun leader. Mais ça ne veut pas toujours dire que c’est optimal ni que ce serait efficace pour toutes les espèces animales. Prenons l’exemple des harengs (Clupea harengus). Les harengs forment d'immenses bancs, parfois composés de milliers voire de millions d'individus. Lorsqu'ils se déplacent en groupe, ils ne suivent pas un leader. Au lieu de cela, chaque poisson ajuste son comportement en fonction des poissons qui l'entourent. Ce processus est guidé par trois règles simples : (1) Chaque poisson reste proche de ses voisins immédiats ; (2) Les harengs ajustent constamment leur direction en fonction de la moyenne des orientations des poissons autour d'eux. Ce qui donne l'impression d'un mouvement fluide et synchronisé.et (3) les harengs font en sorte d’éviter les collisions en gardant toujours une petite distance avec le voisin. Résultat, une auto organisation qui aident ces poissons à se protéger contre leurs prédateurs, parfois impressionnés par le nombre, mais aussi qui réduit l’énergie dépensée pour se déplacer car les poissons profitent de l'effet de réduction de la résistance de l'eau générée par les mouvements des autres poissons. Mais ce serait mentir que de parler d’un système démocratique chez ces poissons. Pourtant des groupes d’animaux où les membres expriment constamment leur opinion et impacte la décision collective, il y en a plein ! Les éthologues ont notamment observé cela chez les cygnes, les lycaons, les macaques, les zèbres ou encore les bisons. Avec, à chaque fois, des méthodologies spécifiques d’expression des opinions. Mais chez toutes ces espèces il y a un point commun : pour prendre une décision collective il faut atteindre un quorum, un seuil qui varie selon la taille du groupe et le nombre de choix existants. On va donc découvrir ensemble les systèmes démocratiques mis en place par certains animaux : Comment votent-ils ? Quel quorum doivent-ils atteindre ? Et quel est le rôle joué par les influenceurs ? On a longtemps cru que la démocratie était l’apanage de l’espèce humaine. De grands penseurs de la Grèce antique ont formalisé les premières ébauches de démocratie pour nos sociétés il y a plus de 2500 ans. Résultats, aujourd’hui nos décisions collectives sont souvent prises selon un système démocratique où chacun exprime son avis qui est pris en compte par la collective. Qu’il s’agisse d’élire le président de la République ou de choisir un restaurant pour un dîner entre amis. Pourtant il apparait clair pour les spécialistes du comportement animal que des processus semblables existaient bien avant cette époque pour plusieurs autres espèces animales. On n’était clairement pas les premier à inventer le vote démocratique, qui n’est donc pas la démonstration de notre très haut degré de civilisation. Il s’agirait plutôt d’une tendance naturelle, voire animale ! Il faut dire que pour les animaux sociaux, rester groupés est une question de survie. On l’a vu plus tôt, être nombreux présente l’avantage de diminuer nettement le risque de prédation. Même si cela comporte aussi quelques inconvénients, comme la transmission des maladies ou la compétition pour les ressources. Agir seul, à part du groupe, sans tenir compte des avis des autres, c’est s’exposer à de nombreux risques. Dans les sociétés libérales humaines aussi, les individus ont le droit de faire leurs propres choix concernant leur vie, tant qu'ils ne nuisent pas aux autres. L’enjeu individuel, dans la vie en société, c’est de réussir à répondre à ses propres besoins tout en bénéficiant de la présence des autres et des avantages qu’offre la structure du groupe. Et la tentation est forte, pour les humains comme pour les autres animaux, à faire bande à part. Selon les éthologues, les rebelles qui tenteraient de ne pas suivre la tendance générale ont plus à perdre qu’à gagner. Si bien que le mot d’ordre est de rester soudés. Et le meilleur moyen d’y parvenir, c’est la satisfaction de la majorité des individus. La base précisément du principe du système de vote démocratique. Les cygnes chanteurs sont selon moi l’un des plus magnifique exemple de système démocratique (Publication Cygnes). Imagine la scène : un étang sur lequel atterrissent bruyamment une 50 aine de ces cygnes (Cygnus cygnus L.). Leurs cris s’atténuent progressivement. Chacun des oiseaux débute sa recherche de nourriture. Certains filtrent l’eau à l’aide de leur bec jaune et noir alors que d’autres préfèrent plonger jusqu’au fond de la mare pour en arracher des plantes aquatiques. La communauté compte de nombreuses petites familles, composés des parents et de leurs jeunes. Mais arrive un moment où certains individus ne trouvent plus aussi facilement de nourriture qu’en arrivant. Ils commencent à crier son envie de quitter les lieux. Il s’approche alors d’une petite famille, s’assure d’avoir leur attention puis clarifie ses intentions en balançant la tête. Les témoins s’accumulent autour de la scène. Ils écoutent ce qu’il a à dire. Un message, que l’on pourrait traduire par : « Chers amis, je ne trouve plus suffisamment de quoi manger dans cet étang, je suggère donc que notre groupe décolle et s’envole en direction d’une zone plus riche en nourriture ». Certains individus se laissent aisément convaincre par le beau parleur, et exhortent à leur tour les cygnes voisins de mouvements de tête identiques. De plus en plus de cygnes agitent la tête certains désapprouvent et décide de ne pas remuer la tête. Les opinions s’échangent et, parfois, se modifient. Chacun semble peser le pour et le contre, en fonction de son état d’affamement, des risques encourus, du choix opéré par ses proches, ou de ses propres souvenirs du dernier décollage collectif. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Mais lorsque le nombre de suffrages en faveur d’un départ semble s’approcher de la majorité, les premières ailes frappent la surface de l’eau. Et même les cygnes ayant voté contre cette partance se joignent au mouvement. Il est hors de question de rester seuls, c’est beaucoup trop risqué ! Avant d’aller plus loin, sache que cette histoire comme tout ce que je te raconte sur cette chaine, est tirée de travaux scientifique sérieux. Et d’ailleurs la question de la démocratie chez les animaux, je l’aborde dans mon dernier livre « La cigale et le Zombie : ces comportements que l’on pensait propres à l’Homme ». Je te mets un lien dans la description si tu veux le découvrir. Il n’y a pas que les cygnes qui votent. Les lycaons expriment leurs opinions et leurs envie en éternuant. Les abeilles votent en dansant, et oui il y a différentes danses, certaines étant plus ou moins convaincantes. Les gorilles ont l’a vu c’est par des grognements, alors que les cerfs votent en levant leurs bois. Les décisions collectives se prennent souvent à la majorité, même si les chercheurs l’affirment, cette majorité n’est pas toujours atteinte et une décision est parfois prise avec seulement 40% des individus qui y sont favorables. Cela s’explique par la présence d’influenceurs, qui mènent campagnes pour faire connaitre leurs idées et rallier les autres. Ces « campagnes politiques » s’observent particulièrement chez les espèces dont les individus ont les relations de parenté, des liens affiliatifs ou les dominances existantes au sein du groupe. À l’instar des faiseurs d’opinions, certains individus, de par leur comportement ou leurs caractéristiques, vont avoir plus de poids que les autres lors des débats et du vote final. Ces leaders d’opinion influencent leurs congénères. Chez les girafes, les orques ou les éléphants, ce sont les femelles âgées qui jouent ce rôle, du fait de leur expérience et de leur connaissance de l’environnement. Mais la personnalité des individus joue aussi, les plus audacieux initiant plus de déplacements que les autres. Il arrive que des décisions de groupe ne plaisent pas à un grand nombre d’individus, c’est le cas quand deux influenceurs s’opposent, chacun ralliant sa communauté autour de lui. Das ces cas-là, le groupe peut se scinder temporairement le temps de résoudre leurs divergences d’opinion sans pour autant rompre définitivement la cohésion sociale de la communauté. C’est par exemple le cas des gnous, qui n'ont pas de leader fixe lors de leurs migrations, si bien que les mouvements du troupeau sont dictés par des signaux collectifs et instinctifs. Lorsque des sous-groupes de gnous perçoivent différentes trajectoires comme plus avantageuses (par exemple, un groupe suit une piste humide tandis qu'un autre suit un cours d'eau), alors ils peuvent temporairement se scinder avant de se rejoindre plus tard. On observe la même chose chez les éléphants d’Afrique. Ces animaux sont très sociaux t vivent en groupes matrilinéaires, généralement composés de femelles apparentées et de leurs petits. Cependant, il y a parfois des divergences d'intérêts entre deux matriarches, comme lorsque l’une d’elle veut se diriger vers une source d'eau alors qu’une autre préfère rester dans une zone de pâturage, alors le groupe peut temporairement se séparer en sous-groupes. L’organisation et l’exercice du pouvoir sont indissociables des sociétés complexes. Si les sociétés de certaines espèces peuvent aisément se comparer à des formes de dictature, tant leur dirigeante unique et autoproclamée concentre tous les pouvoirs de décision, d’autres choisissent des alternatives « politiques » plus démocratiques. La démocratie n’est donc pas le fruit d’une culture sophistiquée que seul l‘humain peut se targuer d’avoir atteint. Non. La démocratie, c’est une pratique… toute naturelle.
0 Commentaires
Laisser une réponse. |
Details
AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Novembre 2024
Catégories |