On va découvrir ensemble 3 espèces animales qui ont inventé l’agriculture et l’élevage bien avant les humains. Voilà, nous ça fait 10.000 ans, mais eux ça fait sans doute plusieurs millions d’années. Ces animaux font de la sélection variétale, ils défrichent, irriguent, stimulent, protègent leurs plantes ou leur bétail. J’ai épluché la littérature scientifique pour toi, et je te raconte ces découvertes tout de suite ! Et je commence par une découverte étonnante qui date de 2022, réalisée par deux éthologues américains dans l’état de l’Alabama, dans le Sud des Etats-Unis. L’animal étudié c’est le gaufre. Désolé si je t’ai donné faim, mais rien à voir avec la pâtisserie sur laquelle tu répands de la chantilly ou du chocolat fondu. Non le gaufre à poche c’est un rongeur, d’une 20aine de centimètres et qui a l’allure d’un hamster. On l’appelle comme ça car il possède de grandes poches situées de chaque côté de sa bouche, des poches qu'il utilise pour transporter de la nourriture pendant qu’il creuse le sol. Car oui, cette petite bête vit principalement sous terre. Résultat, l’évolution ne lui a laissé que de toutes petites oreilles et de tout petits yeux. Il creuse des réseaux de tunnels relativement complexes grâce à ses pattes et ses très longues incisives, qui ont la particularité de pousser continuellement, pour compenser l’usure. Des tunnels pouvant faire jusqu’à deux mètres de longs. Et selon des chercheurs américains, il s’agirait du premier mammifère non humain à avoir adopté des techniques agricoles. C’est d’ailleurs bon que je rappelle que l’agriculture, nous, on l’a inventée il y a environ 10.000 ans, à peu près simultanément en plusieurs endroits du monde, à une période où on a troqué nos habitudes de chasseurs cueilleurs nomades pour une vie plus sédentaire. On estime que l’agriculture apparait dès l’instant où hommes et femmes plantent en terre, volontairement, les graines des plantes qu’ils souhaitent voir germer. Au Proche-Orient, les humains font pousser l’orge et le blé ; plus tard le maïs apparait au Mexique, alors qu’en Chine débute la culture du millet et du soja. Puis avec le temps nos techniques se perfectionnent, nos outils deviennent de plus en plus volumineux, mais aussi plus efficaces. Je ferme la parenthèse et je reviens à notre rongeur tellurique. Le gaufre est un solitaire, et plutôt casanier, parce qu’il n’aime pas du tout sortir de ses galeries. Mais soucis : dans ses galeries, la nourriture est rare. Et lui il a faim, car remuer et déplacer de la terre demande de gros efforts et donc une alimentation riche et abondante. Il pourrait sortir à la surface et y chercher à manger, disent les scientifiques, qui ont d’ailleurs estimé que creuser une galerie pour rechercher de la nourriture c’est 3000x plus couteux en énergie que de se promener à l’air libre. Alors pourquoi reste-t-il sous terre ? Et comment comble-t-il ses besoins alimentaires ? Il reste sous terre déjà parce que dehors il y a plein de prédateurs qui ne demandent pas mieux que de l’attraper. Mais surtout, parce que le gaufre tire une bonne partie de ses ressources dans l’agriculture. A chaque fois qu’il découvre un nouveau lot de racines à l’allure appétissantes, le rongeur doit prendre la même décision difficile : les consommer directement, ou bien les cultiver pour en tirer -à terme- un repas plus consistant et durable. Il ne choisit pas les racines qu’il cultive au hasard, non, il sélectionne celles qui ont le plus de potentiel ! Ensuite, il passe sa journée à aménager une grande salle de culture tout autour des racines qu’il vient de découvrir. Au lieu d’une galerie étroite, la salle devient suffisamment large que pour permettre au gaufre de se retourner et même de se dresser sur ses pattes. Les racines découvertes finissent par pendre au plafond de cette belle grande salle. Le rongeur se rend ensuite dans les galeries voisines et gratte les parois de celles-ci pour les élargir un peu plus qu’à l’accoutumée, et faire en sorte que la chambre de culture soit bien aérée, ce qui favorise la minéralisation des nutriments et donc croissance de ses précieuses racines. Mais ce n’est pas tout ! Contrairement aux autres rongeurs telluriques qui lui ressemblent, le gaufre lui, ne s’aménage pas de toilettes dans ses galeries. Non, il préfère déposer ses excréments dans sa salle de culture, afin de fertiliser le sol et de doper la croissance de sa culture de racines. Autre pratique étonnante, il prélève régulièrement une petite part de sa production pour sa consommation personnelle. Mais en coupant ainsi de petits morceaux de racines, ce qu’il fait c’est qu’il stimule le développement de nouvelles radicelles et encourage le végétal à lui produire encore plus de nourriture. Bien sûr, sa production n’est pas suffisante pour couvrir l’ensemble de ses besoins nutritionnels. Mais on pourrait dire qu’elle ajoute du beurre à ses épinards et réduit la nécessité de devoir se rendre à la surface pour prélever de quoi manger. Nos deux scientifiques estiment que la production agricole du gaufre couvre de 20% à 60% de ses besoins nutritionnels. Et le reste alors ? Et bien il le prélève en mangeant certaines racines et tubercules très nutritifs, qu’il va chercher près de la surface et qu’il tire vers ses galeries. Les gaufres sont à ce jour, les seuls mammifères non humains connus à pratiquer l’agriculture. Par transparence, je précise que certains scientifiques critiquent cette affirmation, et pensent qu’on ne peut pas vraiment parler d’agriculture, car les gaufres ne sèment pas eux-mêmes leurs graines. Dis-moi en commentaire si tu penses qu’on peut parler d’agriculture dans ce cas-ci. C’était mon premier agriculteur du jour. Ne bouge pas, car les deux suivants valent aussi le coup. A présent, on quitte l’Alabama et on se rend au Texas. Un état où le coton, le blé et le maïs poussent un peu partout. Mais, des milliards d’agriculteurs vivent et pratiquent leur métier sous terre à nouveau ! Il s’agit des fourmis champignonnistes, de l’espèce Atta mexicana. Tout débute par une reine qui s’attèle à la construction d’un ranch souterrain. En début de saison, elle n’a aucun sujet sur qui régner, mais bientôt elle aura sous ses ordres des dizaines de milliers de soldates et d’ouvrières. En attendant elle creuse seule les premières galeries dans le sol, et dépose ses premiers œufs dans une chambre aménagée spécialement pour les accueillir. Sa descendance, la reine devra très bientôt la nourrir. Pour cela, elle mise tout sur le trésor qu’elle conserve dans une poche localisée près de sa bouche. Car en quittant la colonie qui l’a vue naitre, il y a quelques jours à peine, elle a pris soin d’emporter quelques spores d’un champignon à la valeur inestimable, sélectionné depuis des générations par ses ancêtres. Ces « graines » microscopiques nourriront bientôt ses milliers d’enfants, à condition de les cultiver avec soin. La reine des fourmis décide de ne pas manger ces spores, mais plutôt de les déposer dans une salle sous terraine qu’elle a spécialement aménagée au bout d’un couloir pour les accueillir. Pour ne pas laisser dépérir ce trésor vivant, la monarque quitte ses galeries et prend la direction d’un buisson voisin. A l’aide de ses puissantes mandibules, elle y coupe une jeune feuille qu’elle charge sur son dos. La reine tient fermement son butin en bouche, et se dirige en direction de l’entrée de son futur royaume. Son voyage retour est un peu plus lent que le trajet aller car le végétal qu’elle transporte pèse près de vingt fois son propre poids ! Elle retourne dans la salle de culture, elle découpe la feuille en plus petits morceaux, qu’elle dépose délicatement sur les spores du champignon. Et il n’y a plus qu’à attendre. Car bientôt, le champignon décomposera le végétal, en fera une bouillie riche en tous les nutriments dont la fourmi raffole. Mais à condition d’en prendre soin ! Il ne faudrait pas qu’une bactérie vienne infecter ce précieux champignon. Ce basidiomycète a beau avoir été domestiqué il y a fort longtemps par ses ancêtres pour son rendement et sa résistance aux maladies, la jeune reine ne souhaite prendre aucun risque. Si elle le perd, c’en est fini de ses rêves de grandeur et de monarchie. Alors elle fabrique et dépose ses propres substances antibiotiques qu’elle répand sur sa culture, la protégeant ainsi des infections. En quelques semaines, l’exploitation agricole des champignonnistes atteint une échelle industrielle ! La colonie compte des milliers d’individus. Des ouvrières collecteuses arpentent les buissons du voisinage pour découper les feuilles nécessaires à la culture fongique. Chargée des feuilles, elles pénètrent dans la colonie, sous l’œil attentif des soldates qui gardent l’entrée. Les collecteuses confient les feuilles aux cultivatrices, une caste de petites fourmis qui ne quittent jamais les salles obscures de cultures de champignons. Des salles qui sont d’ailleurs entretenue par d’autres ouvrières, des maçonnes, grâce auxquelles ces salles sont sophistiquées et climatisées, afin d’offrir un milieu de croissance idéal au champignon, le protégeant du chaud, du froid de l’humidité et des bactéries infectieuses. Malheureusement, cette activité agricole génère également de nombreux déchets. Ceux-ci sont donc pris en charge par des ouvrières plus âgées, qui les déversent au sein d’une décharge à ordures, installée à proximité de la colonie. Là-bas, les fourmis recycleuses sont chargées de mélanger constamment le tas de détritus afin d’accélérer leur décomposition. On a donc une espèce de fourmi qui a sélectionné une souche de champignon depuis des millénaires. Qui le fait pousser en lui offrant des fertilisants, qui maitrise les conditions de cultures et qui gère les déchets liés à la production. C’est pas mal non ? Je n’ai pas encore parlé d’animaux qui élèvent d’autres animaux pour en tirer des ressources, exactement comme on élève des vaches pour leur lait. Alors les amis voici un 3ème exemple d’espèce animale, qui pratique donc l’élevage. Si vous êtes fidèles à la chaine vous n’allez pas être surpris de la découvrir. Il s’agit d’une autre espèce de fourmi nommée fourmi de feu. Elle, on la retrouve à la surface installée sur un plant de coton. Car sur le plan de coton se développe de manière complètement anarchique une colonie de pucerons du coton ! Ces petits insectes boivent la sève qui coule dans les tiges et feuilles de la plante, pour collecter les nutriments précieux qui s’y trouvent et dont ils ont besoin. Ces gloutons produisent des tonnes de déjections qu’on appelle du miellat, un liquide très riche en sucres. Et les fourmis de feu raffolent de ces sucres. Si bien qu’au lieu de manger les pucerons (qu’elles raffolent aussi), elles préfèrent en faire l’élevage. Elles les protègent contre leurs prédateurs, comme les coccinelles. Elles entretiennent la propreté dans leur élevage de pucerons. Qui sont des gros dégueulasses. Et dans cette étude qui date de 2021, les chercheurs ont démontré que les fourmis produisent une phéromone -une odeur si tu veux- qui est perçue par les antennes des pucerons. Et lorsqu’ils sentent cette odeur de fourmis, les pucerons se déplacent beaucoup moins. Déjà qu’ils ne bougent pas beaucoup, mais là c’est une immobilité encore plus immobile. Ce qui fait l’affaire des fourmis, car un troupeau qui se disperse moins, c’est un troupeau plus facile à protéger. En plus, cette odeur pousse les pucerons à se reproduire encore plus rapidement qu’à l’accoutumée. Un bétail qui fait plus de bébé quand l’éleveur est dans le coin, que demander de plus ? Nos fourmis éleveuse collectent le miellat que leur bétail produit directement à la source, donc … à leur anus. Elles viennent tapoter sur le derrière des pucerons qui en réponse leur défèquent dans la bouche. Les fourmis stockent alors ce miellat dans leur système digestif et le ramènent à la colonie, pour nourrir toutes leurs sœurs qui y sont restées pour s’occuper des petits ou des tâches ménagères. Avec les gaufres à poches et ces deux espèces de fourmis, on vient de découvrir des animaux qui ont développé il y a des millions d’années, des techniques agricoles sophistiquées, et ce, bien avant la sédentarisation de l’Homme.
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Novembre 2024
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