Prenez votre sac, je vous emmène tout en haut … d’un plant de haricot. Là, vit une colonie de pucerons. Ils paraissent complètement endormis, collés les uns contre les autres, sans bouger. Il y a deux semaines à peine, ils n’étaient pas là. Et tout avait commencé avec une femelle ailée qui avait été attirée par l’odeur de cette plante. Elle s’y est posée et a rapidement voulu vérifier qu’elle avait bon gout. Elle a commencé ensuite à se reproduire. Particularité des pucerons au printemps : les femelles se reproduisent … toute seule. C’est ce que les scientifiques appellent la parthenogenèse. Cette femelle, on l’appelle la fondatrice et elle a donc donné naissance à plusieurs filles qui sont des copies parfaites de leur mère, ce sont des clones. En quelques jours à peine, ces clones ont donné la vie à d’autres clones. Jusqu’à être une centaine sur notre plant de haricot. Les pucerons n’ont pas besoin de bouger, car ils se nourrissent de la sève de la plante choisie par la mère fondatrice. Pour cela, ils piquent à travers les tissus végétaux à l’aide de leur stylet, une sorte d’aiguille suffisamment longue pour leur permettre d’aller chercher le précieux liquide dont ils ont besoin. Ils ont besoin du phloème, cette sève qui descend des feuilles, enrichie en sucres grâce à la photosynthèse. Ils y cherchent plusieurs éléments nutritifs, particulièrement des acides aminés. Ceux-ci leur sont essentiels pour survivre et se reproduire. La sève des feuilles en contient cependant fort peu. En conséquence, ils doivent boire beaucoup de sève pour satisfaire leurs besoins en acides aminés. Et vous savez ce qui arrive quand on boit trop d’eau … Pour évacuer l’excédent d’eau et de sucres absorbés, les pucerons produisent puis expulsent de leur corps du miellat. C’est une substance liquide mais rendue collante par sa grande concentration en sucres. Ce miellat, ils le rejettent sous forme de gouttelettes sur la plante. Et ils en produisent des tonnes. Les pucerons seraient les fabricants de cacas les plus performants de la planète... Les pucerons sont des proies faciles pour de nombreux prédateurs, comme les coccinelles, les syrphes ou les chrysopes. De fait, ce sont des animaux qui n’ont ni mâchoire, ni pince, ni venin … ce sont des petites bêtes sans défense. De plus, ils sont lents et même s’ils ont de longues pattes, les pucerons sont incapables de sauter. Ils n’ont donc que deux solutions pour sauver leur peau : sonner alerte ou engager des gardes du corps. Oui sonne l’alerte ! Quand l’un d’eux se faire attraper, il émet une sirène d’alarme. Bon ce n’est pas vraiment une sirène d’alarme, c’est plutôt un message odorant qu’on appelle une phéromone d’alarme. Cette odeur signale à tous les pucerons voisins qu’il s’est fait attraper, qu’il va mourir, et donc qu’il faut fuir. Et les copains ne s’en privent pas et prennent leur pattes à leur coup. L’autre solution c’est donc d’engager des gardes du corps. Les fourmis noires, de l’espèce Lasius niger, font d’excellent protecteurs : elles peuvent mordre et projeter de l’acide. Sans compter qu’elles sont souvent très nombreuses à s’attaquer au prédateur des pucerons. Mais les fourmis elles ne travaillent pas gratuitement ! Pour les recruter ces gardes du corps, il faut pouvoir les rémunérer. Alors ca tombe bien, car les fourmis acceptent d’être payées en nature. Et c’est là qu’on en revient au fameux miellat ! Grâce à sa concentration élevée en divers sucres, parfois très rares dans la nature, le miellat intéresse fortement les fourmis. C’est une sorte de carburant pour leur colonie. Les fourmis le collecte donc directement à la source : c’est-à-dire au niveau de l’anus des pucerons ! Les pucerons eux donc retiennent leur gouttelette de miellat et attendent qu’une fourmi passe pour la récolter. Celle-ci prévient de sa présence en tapotant l’abdomen du puceron à l’aide de ses antennes. Et aussitôt, le puceron hausse son derrière et éjecte sa goutte de miellat. Tel un fermier trayant son troupeau, la fourmi récolte de la sorte autant de miellat qu’elle peut en ingurgiter, avant de l’apporter à ses sœurs, restées dans la colonie. Les fourmis se promènent donc dans leur troupeau et le protègent contre les prédateurs, auxquels elles distribuent de violentes morsures. Cependant, les fourmis patrouilleuses ne sont pas toujours à proximité des attaques. Heureusement, elles peuvent compter sur l’alerte donnée par les pucerons, dont la phéromone d’alarme sert aussi à alerter leur gardes du corps, qui arrivent rapidement, mandibules grandes ouvertes, prêtes à se battre contre la menace. Cette relation est qualifiée de mutualiste : chaque partenaire tire bénéfice de son association avec l’autre. Verheggen F, Diez L, Sablon L, Fischer C, Bartram S, Haubruge E, Detrain C (2012). Aphid alarm pheromone as a cue for ants to locate aphid partners. Plos One 7(8) e41841.
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Dans cet article, je vais vous parler d’une reine qui fait régner la terreur dans tout son royaume. Une souveraine qui n’hésite pas à harceler ses sujets, à les surveiller et à les forcer à travailler. Nous allons découvrir une dirigeante autoritaire, à l’allure physique très imposante, et qui n’hésite pas à recourir à des stratagèmes malfaisants pour atteindre son but. Nous partons aujourd’hui en Somalie, à l’Est du continent Africain. Notre reine tyrannique on ne va pas la trouver dans les airs, dans la mer, ni à la surface de la terre. Son royaume à elle, il est souterrain. Pour faire sa rencontre nous devons traverser quelques galeries et atteindre la loge royale. Elle, c’est la reine d’une colonie de rats taupes nus. Des rats-taupes nus. Imaginez une petite taupe, complètement imberbe – à l’exception de quelques poils qui lui servent de moustache. Son corps revêt une couleur rosée. Sa tête est équipée de toute petites oreilles, une paire d’yeux atrophiés et deux paires d’énormes incisives. La reine de cette colonie de rat-taupe a acquis son titre par la force, après parfois de violentes confrontations avec les autres prétendantes. À la suite de son accès au trône, son corps a subi une forte poussée hormonale qui a notamment pour effet d’écarter ses vertèbres, et donc d’augmenter sa taille. Son bassin élargi est ainsi devenu parfaitement adapté pour accueillir de multiple grossesses. Elle est d’ailleurs la seule de la colonie à être autorisée à enfanter. Et elle ne s’en prive pas, elle se choisi une poignée de mâles pour constituer son harem, et a jusqu’à quatre portées d’une dizaine de jeunes, chaque année, pendant toute la durée de son règne, qui peut durer des dizaines d’années ! Les autres femelles et mâles qui composent la colonie ne se reproduisent donc pas, et pour s’en assurer, la reine des rats taupes les … les stérilisent ! Elle rappelle constamment sa position de cheffe par la violence. Cela va de la simple bousculade à des réprimandes plus agressive, ponctuées de coups de dents et de coups de griffes. Résultat : ses sujets sont tellement stressés que cela annule leur envie de s’accoupler. Parmi les autres conséquences de ces agressions c’est qu’elles réduisent aussi le désir de désobéissance de ses sujets, qui se tiennent droits, et ne se rebellent pas contre l’autorité. Ils ont bien trop peur de se faire agresser de plus belle. Les chercheurs, qui ont publié ce travail dans le journal Nature, ont aussi démontré que chaque agression par la reine avait pour effet d’augmenter la productivité de ses sujets. Et du travail y en a. La reine ne laisse d’ailleurs aucun de ses sujets à l’oisiveté. Que l’on soit une femelle âgée d’une vingtaine d’années ou un mâle terminant à peine sa puberté, tout le monde travaille. Le rôle d’un rat taupe nu est fonction de sa taille : un individu de petite taille sera affecté à la caste ouvrière et se retrouve chargé de l’entretien du logis et des soins aux nouveau-nés. Alors qu’un individu de plus grande taille est enrôlé dans l’armée locale, il est désigné soldat. Un soldat est dispensé des tâches ménagères, mais se retrouve en première ligne lorsqu’il faut défendre le terrier contre d’éventuels intrus. Notez bien qu’il n’y a pas de sexisme chez les rats taupes nus, il y a des soldates et des mâles nourrices. Comme dans toutes les communautés, il y a des individus paresseux : par exemple un soldat qui rechigne à arpenter les tunnels à la recherche d’intrus ; ou bien un ouvrier à qui il déplait de creuser une nouvelle galerie. Et ça la reine n’apprécie pas ! Alors quand elle sent que ça ne travaille pas assez, elle quitte sa loge royale et distribue les réprimandes envers les plus lents. Ce que la reine souhaite, c’est que sa colonie grandisse et prospère. Mais avec l’âge, elle donne naissance à de moins en moins de jeunes. Pour pallier ce problème, la reine peut décider d’envoyer ses soldats faire la guerre à la colonie de rat taupe nus voisine et de faire des otages. Les soldats rentrent alors sur le territoire de l’ennemi, mordent violemment tous les rats-taupes qu’ils y rencontrent. Puis, ils s’introduisent dans les galeries ennemies, y recherchent la nurserie, et ramènent avec eux quelques nouveau-nés. Leur souveraine les nourrit jusqu’à la puberté, puis les réduit en esclavage en les assignant aux tâches d’entretien les plus ingrates. Mais parfois une rébellion discrète se prépare! En 2021, des chercheurs américains ont montré que certains individus, situés tout en bas de l’échelle sociale, semblent en effet vouloir un avenir meilleur. Le profil type d’un rebelle, c’est un mâle, de grande taille et qui travaille généralement peu. Cet individu aspire à abandonner sa colonie natale pour partir à la recherche d’une autre communauté. Une communauté où il aura surtout le droit de se reproduire avec la reine locale. Les scientifiques ont noté que de grandes quantité d’hormones coulent dans ses veines, et qu’elles sont responsables de ses envies de fuite. Vous vous doutez bien que la reine ne compte pas le laisser filer en lui faisant un bisou sur la joue. Non. Elle est omniprésente et repère vite les futurs déserteurs, qu’elle réprimande d’ailleurs de plus belle. Malgré tout, il y a de temps en temps un rebelle qui prend son mal en patience. Il guette la moindre opportunité de s’évader. Et le moment venu, il se rue vers la sortie des galeries. Si son audace paye, alors il s’insérera dans sa colonie d’accueil, et parviendra peut-être à s’insérer au sein du harem royal. Et si c’est le cas, alors il parviendrait, sans réellement le savoir, à réduire la consanguinité dans sa colonie d’accueil et ainsi à aider son espèce à survivre. Ce texte est basé sur les travaux scientifiques suivants : Reeve HK (1992). Queen activation of lazy workers in colonies of the eusocial naked mole-rat. Nature 358, 147-149. Braude S, Hess J, Ingram C (2021) Inter‐colony invasion between wild naked mole‐rat colonies. Journal of Zoology 313 : 37-42. Les tétras ce sont des gallinacés que l’on retrouve sur les vastes plaines arides du centre du continent Nord-Américain. Pas d’arbre dans ces steppes, mais des graminées et d’épais buissons d’armoises, au pied desquels nos oiseaux du jour pondent et élèvent leur poussins. Mais avant de déposer ses œufs, une femelle doit se trouver un partenaire. Et c’est ainsi qu’au printemps, les tétras des armoises jouent leur pièce de théâtre annuelle, qui met en scène une fascinante parade amoureuse. Ou devrais-je dire une étrange séance de speed dating. La saison des amours ne dure que quelques journées, en début de printemps. Mais elle est capitale tant pour les femelles que pour les mâles. Les premières doivent sélectionner le meilleur partenaire parmi tous les habitants de la steppe. Celui qui offrira aux futurs poussins les meilleurs gènes et donc les meilleures chances de survivre. Pour les mâles, l’objectif est un peu différent... il consiste à séduire un maximum de poules ! Point commun : mâles et femelles ont intérêt à faire la rencontre d’un maximum de membres du sexe opposé durant cette courte période. Ces séances de speed dating se déroulent dans des arènes que les éthologues appellent des leks. A l’aube, les mâles s’y rendent les premiers. Première étape, chacun doit s’y faire une place. Les plus vigoureux, les plus expérimentés, tentent de se placer au centre de l’arène, alors que les trop jeunes, les trop vieux et les trop malades se placent en périphérie. Donc vous vous en doutez, le premier jour, alors que les femelles ne sont même pas encore arrivées, et bien ça se bouscule, ça joue des coudes, ça se chamaille. Lorsque les mâles ont assuré leur place, la position de chacun restera inchangée pour toute la durée de cette petite saison des amours. Seuls quelques mètres les séparent. Si cette proximité permet à chaque mâle de se comparer à ses voisins, elle va surtout grandement faciliter le travail des femelles. Le soleil se lève à peine que les mâles débutent donc la compétition. Chacun gonfle d’air son torse et le secoue rapidement pour produire un bruit lourd comparable à celui d’une bulle qui éclaterait à répétition. Ce son est perceptible sur une distance de quelques kilomètres, juste ce qu’il faut dans cet habitat pour attirer les femelles qui se trouvent à proximité de l’arène. À leur tour, les femelles se rendent au lek, attirées par les chants séduisants des mâles rassemblés. Sortir de leurs cachettes pour se rendre à la séance de speed dating, ce n’est pas sans risque : les aigles royaux n’hésitent pas à s’inviter à cette petite fête de voisinage. Et qui va les blâmes, ils auraient tort de ne pas profiter de ce moment unique de l’année où leurs proies préférées se rassemblent en terrain découvert, et beaucoup plus préoccupées par le sexe opposé que par leurs prédateurs qui rodent. Quelques tétra se feront donc attraper, mais c’est le prix à payer pour se reproduire. Contrairement aux mâles, les poules ne paradent pas. Elles sont là pour choisir, pas pour être choisies. Leur première visite au lek est une mission de reconnaissance et d’inspection. Le choix d’un géniteur est suffisamment important que pour ne pas se laisser convaincre par le premier séducteur venu : les poules se donnent donc du temps pour comparer tous les candidats. Compte tenu du nombre de prétendants qui se bousculent dans l’arène, plusieurs jours se révèlent indispensables pour parvenir à un choix définitif. À l’approche d’une femelle, le coq pavane en se donnant une stature imposante : dressé bien droit sur ses pattes, il relève la tête face à la poule en présentant fièrement ses plumes caudales, effilées et positionnées en un large éventail. Si la femelle ne détourne pas directement son regard, il sort son second atout de séduction, dissimulé dans le plumage de sa poitrine. En inspirant de l’air, il fait ressortir deux poches proéminentes dépourvues de plumes. Les scientifiques appellent ça des sacs gulaires. Ils ont une couleur jaune qui contraste avec la blancheur de sa gorge. Il expire ensuite l’air absorbé, les faisant disparaître dans son plumage, avant de répéter l’opération aussi rapidement que possible, tant que du public féminin se trouve à proximité. Bien que très efficace, cette parade se révèle extrêmement épuisante. Le dicton dit : « On n’a jamais deux fois la chance de faire une bonne première impression ». Le mâle doit donc absolument afficher un état de santé irréprochable et transmettre l’impression d’être le plus vigoureux de tous les mâles des environs. Il sait aussi que les femelles ont bonne mémoire et, s’il échoue à les séduire aujourd’hui, qu’elles ne reviendront jamais pour un second rendez-vous. Malgré son air désintéressé, la femelle inspecte attentivement le mâle en pleine parade. Pour évaluer un courtisan, son jugement se fonde sur de très nombreux critères. D’abord, les mensurations du mâle, critère fiable pour en évaluer la vigueur. L’énergie déployée à la séduire l’est tout autant. Elle observe aussi l’épaisseur de ses sourcils jaunes, ainsi que la taille et l’état de ses plumes caudales. Enfin, elle inspecte les sacs gulaires du prétendant, à la recherche d’hématomes, qui seraient des signes de la présence de puces cachées dans son plumage. Au cours de ses nouvelles visites au lek, la poule ne retourne plus auprès des mâles qui l’ont déçue, cherchant plutôt à revoir les quelques prétendants qui l’ont impressionnée lors des matinées précédentes. Et c’est ainsi que plus les jours passant, plus les coqs dominants sont entourés de femelles … qui font la file devant le mâle choisi en attendant leur tour. Heureusement, la femelle tétra n’est pas jalouse. Peu lui importe que la file soit longue et que le géniteur ait collectionné les partenaires avant leur union ou même qu’il lui soit par la suite infidèle. Ce qui compte, c’est qu’il soit le meilleur de la région. Les lecteurs sont encouragés à ne pas juger ces volatiles au comportement volage, mais plutôt à remercier les chercheurs pour ces nombreuses découvertes comportementales ! Gibson RM (1996). Female choice in sage grouse : The roles of attraction and active comparison. Behavioral Ecology and Sociobiology, 39(1), 55-59. Les vampires existent vraiment ! Accrochés la tête en bas au plafond d’une grotte obscure, ils attendent le coucher du soleil pour sortir de leur sommeil. Et une fois la nuit tombée, ils déploient leurs ailes sombres et sortent par dizaines de leur cachette pour se mettent en quête du sang frais de victimes endormies. Mais vais rassurer mes plus jeunes lecteurs : ces vampires n’ont rien à voir avec le comte Dracula. Il s’agit d’un ensemble de trois espèces de chauve-souris. Ces chauves-souris vampires ne chassent pas d’insectes comme les chauves-souris européennes. Non celles-là elles boivent le sang d’autres mammifères endormis. Celle que les scientifiques nomment les vampires d’Azara sont l’une de ces trois espèces. Elles vivent en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Il s’agit de chauve-souris passionnantes notamment car elles sont extrêmement sociales. Plusieurs dizaines de ces chauves-souris peuvent se bousculer dans des espaces étroit, à l’abris de la lumière. Alors que le soleil se couche et que l’obscurité tombe à l’extérieur de leur cachette, les vampires s’agitent en prenant conscience que l’heure de se remplir l’estomac approche. Soudainement, l’un des individus prend son envol, et rapidement les autres suivent, en prenant garde d’emprunter une direction différente de celles choisies par ses congénères : chacun chasse pour soi ! Pour se représenter leur environnement et s’y déplacer malgré la pénombre, nos vampires peuvent compter sur deux sens très développés : leur ouïe et leur odorat. Le premier permet d’envoyer des sons et de réceptionner leur écho en retour. Tous les obstacles se dessinent ainsi devant le vampire qui peut détecter un animal endormi au sol. Une fois à proximité, le sens de l’olfaction prend le relais : l’odeur de la proie dévoile son identité. Nos chauve-souris hématophages affectionnent particulièrement le sang des chevaux. Mais à défaut, celui des vaches, des cochons, des chèvres ou des moutons peut aussi convenir. Quelques battements d’ailes plus tard, le vampire se pose délicatement sur sa proie. Ses déplacements légers et adroits lui permettent de ne pas la réveiller. Son nez est muni de capteurs infrarouges qui lui révèlent les zones du cuir les plus fines et aussi les plus riches en vaisseaux sanguins. Une fois la zone idéale sélectionnée, le repas peut commencer. Contrairement à ce que les films d’épouvante peuvent laisser croire, le vampire ne suce pas le sang de sa proie. Au lieu de cela, il réalise une fine incision dans le cuir à l’aide de ses incisives, et en laisser s’écouler un filet de sang. Il s’en abreuve en léchant les gouttes à l’aide de sa langue. La base des oreilles de l’hôte est souvent préférée pour la finesse du derme et l’abondance en capillaires sanguins. Bon, les épaules, le cou ou le museau peuvent aussi faire l’affaire. La salive du vampire contient des anticoagulants, si bien que tant que le parasite lèche la plaie, le sang ne cesse jamais de s’en écouler. Si le débit se réduit, la langue du vampire se loge plus profondément dans la blessure pour l’agrandir. Le repas peut ainsi durer jusqu’à une heure, et la proie se réveille sans s’être rendu compte de rien. Une fois rassasié, le vampire regagne son abri et sa colonie pour y passer le reste de la nuit et la journée suivante. Mais tous ses congénères n’ont pu trouver de proie : certains rentrent donc affamés. Se nourrir est bien évidemment essentiel pour la survie. Mais une seule nuit sans manger ne leur est pas fatale. La chauve-souris affamée puise dans ses réserves jusqu’à perdre un quart de son poids, et espère être plus chanceuse la nuit prochaine. Un animal bien nourri dispose ainsi de deux chances pour trouver de quoi manger. Si la seconde nuit devait se solder par un échec, l’individu aurait de grandes chances de mourir d’inanition lors de sa troisième nuit de chasse. Revenir bredouille n’est pas rare : un jeune sur trois et un adulte sur douze rentrent d’une nuit sans manger. Si vous avez une chance sur toi étant jeune de revenir bredouille, comment expliquer dès lors que le taux de mortalité soit si faible : ces chauves-souris atteignant sans mal l’âge vénérable de 12 années. La réponse se trouve dans un trait comportemental rare dans le règne animal : l’altruisme, ou la disposition à aider son prochain. Comment cela se passe chez ces vampires ? Et bien un affamé va solliciter l’assistance d’un congénère en lui frottant l’estomac, puis en lui léchant le visage. En réponse, la chauve-souris qui a bien mangé et qui est ainsi sollicitée va évaluer l’état d’affamement du demandeur en palpant à son tour son estomac : elle ne souhaite pas aider un menteur ! Si le mendiant a effectivement le ventre vide, le vampire bien nourri peut décider de s’y accoler et de lui céder une partie du sang absorbé durant la nuit. Pour cela, il accole sa bouche à celle du congénère affamé et y régurgite partiellement son repas. Ce comportement est un bel exemple de partage : l’individu altruiste et partageur réduit son espérance de vie afin de prolonger celle d’un voisin dans le besoin. Peu importe le lien qui unit les deux chauves-souris, cette entraide est observée tant entre individus apparentés que non-apparentés. L’altruisme a longtemps fasciné les zoologistes. Et à juste titre : une règle générale en éthologie stipule « qu’un comportement existe s’il augmente les chances de survivre et de se reproduire ». Si ce n’est pas le cas, alors la sélection naturelle fait le tri en éliminant les comportements déviant à cette règle. Or les comportements altruistes font, à première vue, tout l’inverse. Pourtant, la sélection naturelle ne les évacue pas et il existe toujours des animaux altruiste. Alors comment expliquer que l’évolution l’altruisme des vampires ? La réponse à cette question doit être trouvée dans le caractère réciproque de ce comportement. En donnant une partie du sang ingéré, le partageur espère instinctivement bénéficier du même service en retour, si d’aventure il doit se retrouver dans la même situation. Cette organisation est bénéfique pour tous ! Je pousse souvent la comparaison avec la sécurité sociale, que ces vampires auraient donc inventé bien avant nous, humains. Mais comme pour la sécurité sociale, ce système d’entraide ne fonctionne que si une série de conditions sont remplies. En l’occurrence pour nos vampires, il y en a trois. La première : il faut que tous les membres du groupe se rencontrent régulièrement, afin que les opportunités d’entraide soient fréquentes. Imaginez-vous aidez votre voisin, mais ce dernier n’aura pas l’occasion de vous rendre la pareil avant plusieurs années, pas sûr qu’à la place d’un vampire, vous l’aidiez. Mais ici cette condition est remplie car ces chauves-souris se retrouvent chaque jour au sein de leur abri. La deuxième condition c’est que les individus soient capables de discriminer les tricheurs des individus réellement dans le besoin, ainsi que de faire la distinction entre les partageurs et les égoïstes -ceux qui n’offrent jamais de sang. Imaginons un instant que la tricherie soit possible, et bien elle favoriserait la propagation d’individus égoïstes, et cela mettrait à terre cette organisation de partage. Heureusement, les vampires peuvent se reconnaître mutuellement, ils ont bonne mémoire et peuvent évaluer l’état de satiété de leurs voisins. Enfin, la troisième condition est liée au coût de ce comportement altruiste : donner du sang à un congénère dans le besoin ne doit pas mettre en danger la survie du donneur. Pour une chauve-souris bien nourrie, offrir l’équivalent de la moitié de son repas ne réduit son espérance de vie que d’une poignée d’heures. Cependant, elle augmente d’une journée entière la durée de vie de la receveuse, lui offrant une autre chance de trouver une proie lors de la nuit à venir. La tricherie est un comportement courant au sein des organisations sociales complexes reposant sur l’entre-aide. La sélection naturelle encourage d’ailleurs les tricheurs, car ces derniers tirent de grands bénéfices de l’exploitation égoïste des ressources générées par les membres de leur communauté. Heureusement, il existe, comme on vient de le voir, des manières de réguler la tricherie. Deux ou trois dernières chose avant de vous quitter. La première c’est que les chauve-souris vampires sont les seuls mammifères parasites connus. Si on fait abstraction de certains humains… mais c’est une autre histoire. La deuxième c’est que le vampire d’Azara se porte bien, ses populations sont abondantes, mais il est considéré comme un nuisible par l'Homme, puisqu'il se nourrit sur le bétail et qu'il peut être porteur du virus de la rage. Mais ses comportements sociaux en font un sujet d’étude passionnant ! |
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Septembre 2024
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