Les animaux ont-ils de la personnalité ? La réponse est oui. Dans cet article, il sera question d’oiseaux, de mammifères et même d’insectes qui ont du caractère. Chez ces espèces certains individus se montrent plus audacieux, moins sociables, plus agressifs ou moins persévérants que d’autres. Et on va voir que ces traits de personnalité ont des répercussions sur leur couple, leur alimentation ou même leur espérance de vie. Commençons avec une première étude datant de 2022 et menée par des chercheurs américains, qui nous racontent les observations réalisées sur une population de diamants mandarins, et plus particulièrement sur deux individus, qu’on a qu’à nommer Isidore et Robert. Ils se connaissent depuis trois ans déjà. Avec leurs compagnes respectives, ils se sont installés au sein d’une communauté de diamants, dans une zone buissonnante localisée à proximité d’un petit ruisseau. Leur quartier est si agréable qu’ils sont près d’une centaine de mandarins à y avoir élu domicile. C’est que rien ne manque dans ce parc naturel protégé du centre de l’Australie. Malgré l’aridité, ils vivent confortablement. Les graminées sont abondantes et offrent de quoi manger toute l’année. Les nombreux buissons offrent à chacun de quoi construire un nid douillet. D’ailleurs, seules quelques dizaines de centimètres séparent les domiciles des deux compères, si bien qu’ils se côtoient tous les jours. Isidore et Robert s’entendent relativement bien, malgré … des tempérament fort différents. Robert est un mâle que nos éthologues qualifient de dominant. Il n’hésite pas à se ruer sur la nourriture découverte par l’un de ses congénères pour la lui dérober. Il distribue aussi volontiers des coups de bec lorsqu’il le juge nécessaire pour rappeler qu’il est le plus fort. Robert est curieux, assez peu craintif et plutôt audacieux pour un oiseau de son espèce. Si bien qu’il se rapproche souvent sans hésiter de tout objet nouveau qui apparaitrait dans son environnement pour en découvrir la nature, et estimer s’il peut s’en nourrir. Isidore est très différent. C’est un timide, relativement pacifique. Il laisse toujours son ami Robert se nourrir avant lui. Il est d’un naturel prudent, et évite les prises de risque. Donc il ne s’éloigne jamais des buissons où il a élu domicile. Ne lui demandez donc pas de partir en reconnaissance pour explorer de nouvelles zones ! En revanche, Isidore est obstiné et a toujours eu un don pour la résolution de problèmes. Il ne les résout pas forcément rapidement, mais il finit souvent par y parvenir. Comme la fois où il a réussi -à force de persévérance- à accéder à un morceau de pain abandonné dans une boite abandonnée par des promeneurs. La boite était fermée par une ficelle nouée. Il avait fallu à Isidore de longues minutes de persévérance pour comprendre qu’en tirant sur la ficelle il libérait le nœud et avait accès au bout de pain contenu dans la boite. On comprend bien donc qu’Isidore et Robert ont des personnalités très différentes. Et c’est le cas pour les 41 oiseaux dont nos éthologues américains ont observé des traits comportementaux comme l’audace, la prise de risque, la peur de l’inconnu, l’agressivité ou encore l’obstination. Pour évaluer tous ces caractères, l’idée était toujours à peu près la même, les oiseaux étaient placés dans une cage dans des situations contrôlées par les chercheurs. Par exemple, pour évaluer le caractère de dominance, les oiseaux étaient placés par groupe de 10 mais avec une seule source de nourriture. Et les scientifiques regardaient qui jouait des coudes et finissait par manger le premier. Pour évaluer la peur de l’inconnu, l’oiseau était placé seul dans une cage et les chercheurs y introduisaient un objet que l’oiseau n’avait jamais vu, comme un jouet pour chat, de préférence de couleur flashy. Et ils regardaient si l’oiseau s’en approchait rapidement. Pour évaluer l’agressivité, ils placaient l’oiseau devant un miroir et ils comptaient le nombre de fois où il agressait son image à coup de bec . Parce que oui, ces oiseaux échouent au test du miroir, qui permet d’évaluer la conscience de soi. Il faudrait que je vous fasse un article sur ce thème un jour d’ailleurs. Nos chercheurs concluent également que la personnalité des oiseaux impacte directement leur vie au quotidien : par exemple, plus un oiseau est obstiné plus souvent il parvient à résoudre des problèmes. Ou encore : plus un oiseaux est dominé et plus il est lent dans ses tâches quotidiennes. Leur conclusion est claire : la personnalité est directement liée aux capacités intellectuelles de l’individu. Et la personnalité pourrait même avoir des répercussions sur la vie amoureuse de l’animal. C’est en tout cas ce que suggère cette autre étude. Pour mieux comprendre les conclusions de ce travail, poursuivons l’histoire d’Isidore et Robert. Nos deux lascars sont tous deux en couple depuis plusieurs années. Chacune des deux paires a des petits chaque année, des petits qui ont quitté le nid familial en fin de saison. La période de la reproduction approche à nouveau. Lorsqu’il était un jeune mandarin, Robert avait séduit sa compagne grâce à son chant particulièrement original, qui avait attiré à lui de nombreuses prétendantes. Robert peut aussi se vanter d’avoir de très larges taches colorées sur les joues, sans oublier la teinte orangée de son bec. Oui, Robert est ce que l’on peut appeler un « beau gosse », il a tout du mâle très séduisant. Isidore … disons qu’il a moins de qualités physiques que son ami, mais il est en bonne santé. L’année précédente, il avait participé à la couvaison des œufs et au nourrissage des petits et s’est donc montré un bon père de famille. Pourtant, cette année, le couple d’Isidore bat de l’aile. Depuis quelques jours, la communauté de mandarins a été rejointe par un petit groupe d’étrangers, des mandarins ayant quitté leur précédent domicile, sans doute à cause d’un prédateur ou parce que la nourriture s’y faisait rare. Les mandarins étrangers ont rapidement été accueillis au sein de la communauté à laquelle Isidore et Robert appartiennent. Et le lendemain de leur arrivée, la compagne d’Isidore avait été rejointe par l’un des mâles étrangers alors qu’elle était perchée sur une branche. Le visiteur s’était égosillé en sa direction avec tant de persuasion que Madame Isidore n’en est pas restée complètement indifférente. Pendant plusieurs jours, les deux amants se sont côtoyés régulièrement à la vue de tous. C’est que ce bel étranger à de belles joues colorées et chante vraiment très bien. Mieux qu’Isidore. Ce soir-là, sa compagne n’est pas rentrée au nid familial et a plutôt décidé de consacrer les prochaines semaines à consolider son nouveau couple. Si Isidore a en effet un caractère peu dominant, il a une qualité, on l’a vue, il est persévérant. Isidore ne se laisse donc pas abattre. Après s’être fait ainsi plumer, il décide de ne pas se prendre le bec avec les deux amants ni de les asséner des pires noms d’oiseaux (mimer batterie). Poussé par le même instinct reproducteur que son ex-compagne, il identifie une célibataire et multiplie envers elle les comportements volages. Cette célibataire est devenue son nouvel oiseau rare. Hors de question de rester le bec dans l’eau ! Malgré le coup dans l’aile qu’il vient de prendre, il choisit de se montrer fier comme un paon, gai comme un pinson. C’est vrai, il n’a pas le visage le plus coloré ou les talents de chanteur les plus aiguisés, mais il n’hésite pas à tenter sa chance. Il est timide, oui, mais il ne manque pas d’obstination. Si bien que ce qu’il lui reste de charme finit par faire mouche. Quelques jours plus tard, il est occupé à construire un nouveau nid en compagnie de sa nouvelle dulcinée. La personnalité des oiseaux est démontrée, tout autant que l’implication de la personnalité dans la survie et la reproduction des individus. Comme le disent très bien ces deux chercheuses allemandes: Isidore et Robert ont de la personnalité, car leurs comportements remplissent les trois conditions (1) ils se comportements différemment des autres membres de leur espèce (faire apparaitre les mots « Différences individuelles »); (2) leurs comportements à chacun sont stables au cours de leur vie (faire apparaitre les mots « Stabilité temporelle »); et (3) Ces traits de personnalités sont les mêmes dans les différentes situations de vie (faire apparaitre les mots « Stabilité contextuelle ») : face à de la nourriture, face à un partenaire potentiel ou face à un danger, par exemple. Laissons Isidore et Robert et parlons à présent des mangoustes. Non Louis, ça c’est la langouste. Mangouste. Voilà c’est ça. La mangouste rayée, c’est un petit mammifère carnivore d’Afrique au corps allongé qui creuse la terre à l’aide de très longues griffes. Ils sont très sociaux. Et ces chercheurs-ci se sont beaucoup intéressé à leur traits de personnalité. Alors comme pour l’histoire d’Isidore et Robert, intéressons-nous de plus près à Chantal. Chantal vit dans une communauté établie sous une ancienne termitière. Avec ses congénères, elle y avait creusé un réseau complexe de tunnels et de chambres à coucher abritant aujourd’hui vingt-trois habitants. La petite communauté est d’ordinaire très soudée mais ces deux derniers jours, les tensions s’accumulent. Les mâles se chamaillent. C’est que le grand jour approche ! Chantal, comme les quelques autres femelles adultes seront bientôt prêtes à se reproduire, un événement qui survient tous les trois mois environ. Bon inutile de vous faire un dessin, mais c’est la fête dans les tunnels obscures pendant quelques heures. Si bien que trois mois plus tard, les petits naissent et les adultes ne savent plus où donner de la tête. Chantal a donné naissance à 4 petits, et elle n’est pas la seule, si bien que le nombre de mangoustes a, en quelques heures à peine, quasiment doublé dans les galeries souterraines ! Chaque femelle ayant donné naissance participe à l’allaitement des dizaines de nouveau-nés. Aucune distinction entre les bambins : s’il reste une mamelle libre, tout nouveau-né peut s’y nourrir à satiété. De leur côté, les mâles -qu’importe qu’ils soient ou non l’un des pères de ces petits, participent à l’effort. Quelques-uns jouent ainsi le rôle de babysitteurs : ceux-là se retrouvent dans une chambre obscure, entourés de la marmaille, et ils veillent à ce qu’aucun prédateur ne vienne jeter son dévolu sur les petits. D’autres mâles se chargent d’emmener les jeunes en âge de se déplacer en promenade hors des galeries creusées. Une fois en surface, ils surveillent les environs et donnent l’alerte en cas de danger. Ils leur indiquent comment attraper des mille-pattes, ils les toilettent et ne ratent pas l’occasion de se lancer dans des jeux. Les nouveau-nés passent ainsi de femelles à mâles, alternant activités de nourrissage, de gardiennage et de promenade. Habituellement, lorsque Chantal ôte ses mamelles des bouches affamées d’un groupe de nouveau-nés, elle s’attend à ce qu’un mâle vienne les prendre en charge. Sauf que … certains congénères mâles manifestent un peu moins d’enthousiasme que d’autres à lui venir en aide. Et ce n’est pas du tout lié au fait qu’ils ont été choisis comme père ou non cette saison-ci. Ni d’une quelconque forme de rancune d’ailleurs. Non c’est juste qu’il arrive très souvent de voir un mâle, parfois père de nombreux nouveaux bambins, détourner la tête lorsque son tour de garder les enfants arrive. A l’inverse, un mâle non sélectionné comme géniteur peut tout à fait se montrer particulièrement investi dans la surveillance et le jeu avec les jeunes. Point question de fatigue temporaire non plus. Ce sont toujours les mêmes qui font preuve de manque d’investissement. Car oui, les éthologues à la base de cette étude le confirment : il existe au sein des communautés de mangoustes, comme ailleurs, des individus paresseux et d’autres beaucoup plus enthousiasmés à l’idée de s’occuper des enfants. Cela fait partie des traits de personnalité bien observés et caractérisés chez les mangoustes. La question de la personnalité chez les animaux se pose dans la communauté scientifique depuis près d’un siècle, mais a pris un coup d’accélérateur ces dernières années. Et c’est passionnant. Aujourd’hui on est convaincu que les vertébrés ont de la personnalité, on vient de le voir avec des oiseaux et des mammifères. Mais qu’en est-il des invertébrés : insectes, vers, araignées ou limaces ont-ils eux aussi de la personnalité ? Présentent-ils les trois critères de « Différences comportementales individuelles » de « Stabilité temporelle » et de « Stabilité contextuelle » ? Et surtout, à quoi cela sert de s’intéresser à cette question ? Figure-toi que j’ai été étonné de découvrir des centaines d’études sur cette question. La personnalité est démontrée chez presque tous les groupes d’animaux invertébrés : il y a des Bernard l’Hermite plus ou moins audacieux, des crabes plus ou moins agressifs, des pucerons plus ou moins prudents, des abeilles plus ou moins assertives. Je t’en épingle une seule, une dernière menée cette fois sur la personnalité des mouchettes qui tournent autour de votre corbeille à fruit en été. Ces mouches qu’on appelle des drosophiles volent habituellement en directement de la lumière quand elles sont dérangées. Mais il arrive que certaines d’entre elles en décident autrement. Des individus mouches sont peu attirés par la lumière, et prennent une direction hésitante, alors que d’autres encore sont carrément repoussées par la lumière lorsqu’elles se mettent en vol. Et les chercheurs reviennent à la définition que je vous ai données tout à l’heure de la personnalité : ils démontrent que ces traits de caractères sont stables dans le temps (une mouche qui fuit la lumière la fuit toute sa vie) et sont indépendants du contexte. CQFD, les mouches ont de la personnalité. Alors à quoi cela sert de s’intéresser à la personnalité chez ce minuscule insecte. Et bien l’avantage c’est que l’on peut étudier les bases génétiques de la personnalité. Car on ne sait finalement pas très bien si la personnalité est codée dans les gènes. Si tu es une personne prudente ou bien obstinée est-ce inscrit dans ton génome ? et d’où cela provient-il au cours de l’évolution. Comment la personnalité se traduit-elle en réaction chimique dans notre corps ou comment a-t-elle évoluée au cours des derniers millénaires, tout cela reste un mystère. Et étudier ces questions à l’aide d’insectes rend les choses beaucoup plus simples, car les insectes nécessitent peu de ressources pour les multiplier et les étudier. D’autant plus qu’ils se reproduisent rapidement, en grand nombre et leur génome est bien connu.
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La société Ynsect, le géant Français de l’élevage d’insectes, est menacée de faillite. Et en lisant cette info je me suis posé cette question : Pourquoi il n’y a toujours pas d’insectes dans ton assiette ? Au début du siècle, les plus grands spécialistes prédisaient pourtant qu’ils seraient présents dans chacun de nos repas. Il y a peu, des études concluaient que les européens étaient enfin prêts à accueillir les insectes dans leur alimentation. On a d’ailleurs vu apparaitre des plats à base de vers de farine dans les rayons de nos supermarchés. Des entreprises d’élevage d’insectes ont soulevé des millions d’euros d’investissement. Des initiatives citoyennes se sont organisées pour démystifier le grillon ou le criquet sur un toast ou une pâtisserie. Résultat ? … aujourd’hui tu n’en manges pas plus qu’avant, nos supermarchés ne vendent presque pas ces produits, et des sociétés high tech comme Ynsect peinent à remplir leur carnet de commande, jusqu’à se voir menacées de faillite. On peut peut-être commencer par-là justement. La société Ynsect est donc en grande difficulté. La nouvelle a fait les gros titres de toutes les pages ‘économie’ à la fin de l’été. Il s’agit de l’une des plus célèbres et emblématiques stars de la French Tech. Elle produit des aliments à base d’insectes, destinés à l’alimentation animale et humaine. Mais voilà, elle vient de se placer sous procédure de sauvegarde : elle a donc un an pour trouver une solution à ses problèmes financiers. Elle avait pourtant levé plus de 550 millions d’euros depuis sa création en 2011 et promettait à l’époque une rapide rentabilité, grâce à un carnet de commandes bien rempli. Sauf qu’en 2022, la société n’a vendu que pour 568 000 euros de produits finis et a enregistré près de 90 millions de pertes. Fini l’euphorie, place au dur labeur de la restructuration. Ynsect s’est notamment spécialisé dans la production en masse de Ténébrions meuniers, que l’on appelle aussi vers de farine, ou Tenebrio molitor en latin. On parle de 45.000 mètres carrés tout de même, soit environ 8 terrains de football dédiés à l’élevage d’insectes. Ce Coléoptère n’est pas choisi par hasard évidemment, car ses qualités sont multiples. La principale sans doute c’est que ses larves sont très riches en protéines : on parle d’un taux de 60 à 70%. Mais l’insecte se reproduit aussi très vite et n’a pas de folles exigences pour se sentir bien et se reproduire dans les locaux d’élevage industriel, donc ça ne coute pas trop cher de le multiplier. Pour le nourrir, on peut lui offrir de nombreux déchets végétaux, issus par exemple de l’industrie agroalimentaire, qu’ils vont donc convertir très efficacement en protéines. En plus il n’a pas besoin d’apport en eau, puisqu’il est capable de récupérer l’eau contenue dans l'air atmosphérique et dans ses aliments, même s’ils sont très desséchés. Le tout pour un élevage relativement peu gourmand en énergie. A côté du ver de farine d’autres espèces sont couramment étudiées ou élevées dans un but de consommation, en raison aussi de leur profil nutritionnel intéressant, de leur facilité d’élevage, et un peu aussi de leur acceptation croissante par les consommateurs et les autres acteur du marché. Je retiens le grillon domestique (Acheta domesticus) et son goût subtil, proche de la noisette, qui le rendrait adaptés pour des snacks ou des farines protéinées. Le criquet migrateur (Locusta migratoria) car il a lui aussi une haute teneur en protéines. Et un petit gout de poulet grillé. Le petit ver de farine (Alphitobius diaperinus) ou ver Buffalo, dont le gout est plus neutre et qu’on destine surtout aux compléments alimentaires pour animaux. Et enfin la mouche soldat noire (Hermetia illucens), principalement élevée pour la production d’aliments pour animaux, notamment pour les poissons et les volailles. Soyons de bon compte, cette espèce a du potentiel pour la consommation humaine en raison de sa croissance rapide et de sa capacité à se nourrir de sous-produits organiques. Mais si l’aventure de la société Ynsect bat de l’aile, ce n’est pas tant à cause de leur choix de l’insecte à élever que de l’absence de demande de la part du marché, et donc de toi et moi. Pourtant je te le disais en introduction, elles étaient nombreuses les études scientifiques à annoncer que le consommateur était prêt à manger des insectes. D’ailleurs penses-tu que des investisseurs fortunés aurait misé leurs billes dans une nouvelle société high tech si on ne leur avait pas apporté -à l’époque- plein de garanties de succès ? Selon cette étude de 2014, les belges étaient près à franchir le cap. Et même s’ils ont montré une certaine hésitation à gouter les plats à base d’insectes qu’on leur a proposé, une majorité écrasante a annoncé avoir envie de cuisiner et consommer des insectes dans un futur proche. Le problème il est bien sûr dans la tête des européens. Car à l’échelle du globe, c’est 80% des humains qui mangent des insectes. En fait, tout le monde adore manger des insectes. Avec les nords-américains, on est littéralement les seuls à ne pas les considérer comme des aliments haut de gamme. Je t’assure, j’ai personnellement vécu deux situations qui le prouvent. Il y a quelques années j’ai eu l’occasion de gérer un beau projet de développement à Madagascar. Les Malgaches ont sur leur territoire plusieurs espèces de vers à soie. Les chenilles de ces papillons tissent leur chrysalide à l’aide d’un fil de soie. Autrefois l’extraction de la soie et la confection de tissus était une activité rentable qui permettait principalement aux femmes de retirer une source de revenu non négligeable. Mais en quelques décennie, l’insecte avait largement disparu des forêts des hauts plateaux. La faute bien sûr à la réduction des surfaces forestières mais aussi à la consommation des chenilles par les habitants. Alors que les parents partaient aux champs, les enfants étaient envoyés dans les forêts de Tapia pour collecter les chrysalides dans les arbres, chrysalides qui sont ensuite cuisinées ou revendues à prix d’or. Car ce sont de véritables délicatesses. Si le thème t’intéresse j’ai écrit un livre gratuit intitulé les « Vers à soie malgaches ». Au Mexique j’ai eu l’occasion d’observer la même adoration pour un insecte délicieux. Oui oui, je l’ai gouté. Dans le Sud du pays, les habitants attendent avec impatience la période d’essaimage de la fourmis Atta mexicana. Mâles et femelles prennent leur envol pendant 2 ou 3 jours par an pour se reproduire, avant de retomber au sol. Et là je t’assure que c’est chacun pour soi, tout le monde veut en récolter un maximum pour les manger ensuite en famille. Certains stockent même ces fourmis en sachets au congélateur, pour les revendre plus tard, quand plus personne n’en aura sous la main. Ils les font revenir dans une poêle avec un peu d’huile, de sel et de citron, et là c’est festin. D’ailleurs mon petit conseil : tiens-les par la tête et mange reste du corps. Dans la tête il y a les mandibules et c’est un peu coupant et ça reste entre les dents. Voilà je pourrais te citer des milliers d’exemples comme ces deux-là, car selon cette étude, on estime que sur Terre, 3000 groupes ethniques consomment en tout 2000 espèces d’insectes différentes. C’est beaucoup plus que les quelques espèces de mammifères que nous consommons en masse, comme la vache, le cochon ou le mouton. Il existe donc une énorme variété d’aliments que nous n’exploitons pas. Et ces gens, au Mexique, à Madagascar, au Laos … ils ne mangent pas des insectes parce qu’ils doivent, mais parce qu’ils les considèrent comme des mets délicieux et précieux. Les insectes en Europe ou aux USA, on en mange peut-être pas … juste par principe. Et bien selon Marcel Dicke, un collègue entomologiste et professeur à l’Université de Wageningen aux Pays-Bas, chaque année, chacun d’entre nous consommerait déjà, sans le savoir, environ 500 grammes d’insectes. Oui, un demi-kilo. Ces insectes se retrouvent coincés dans de nombreux aliments de notre quotidien : jus de fruits, légumes, farine, pain, gâteaux… mais c’est vrai, surtout dans des produits transformés ou emballés, plutôt que dans des produits frais et biologiques. Par exemple, un verre de jus d’orange peut légalement contenir quelques mouches des fruits, et un sachet de légumes surgelés peut contenir quant à lui contenir quelques dizaines de pucerons, voire quelques larves de chenilles. Les aliments en conserve, comme les tomates, contiennent des fragments d’insectes (pattes, têtes, thorax). Bien que ces résidus puissent surprendre, je te rassure, ils sont sans danger et même nutritifs. Tu vas me dire que c’est par accident, et je te répondrais que tu manges déjà des insectes volontairement. Des confiseries, du surimi ou l’alcool Campari. De nombreux aliments de couleur rouge sont ainsi colorés avec un petit insecte que l’on nomme cochenille. Le surimi c’est du poisson de couleur blanche qui est coloré avec du carmin, le colorant obtenus grâce à ces insectes qui vivent sur des cactus, et qu’on produit en centaines de tonnes au Pérou. Ce ne sont pas ceux qui mangent des insectes qui sont bizarres, mais nous en Europe, qui refusons d’en manger. La question qu’il faut se poser à présent c’est peut-on s’en passer ? Je ne t’apprends rien si je te dis que la population mondiale augmente. Et ce n’est pas linéaire. Ce n’est pas progressif. Non. C’est exponentiel. Début du 20ème siècle, nous étions 2 millions sur terre. 50 ans plus tard nous avions dépassé le 3 millions. En l’an 2000 nous étions à 6 millions d’humains, et on en prévoit 10 millions en 2050. En passant de 2 à 10 millions, notre population sera multipliée par 5 en 150 ans. Nous avons plus de bouches à nourrir et donc aussi, de moins en moins d’espace pour produire notre nourriture. Sans compter qu’on vit mieux et plus longtemps qu’il y a un siècle ou deux. On a aussi tendance à manger plus de viande. On estime qu’un américain mange en moyenne 120 kilogrammes de viande par an, dans les autres pays dits développés la moyenne se situe autour des 80 kilogrammes, alors que ce chiffre n’est que de 25 kg dans les pays en développement. Mais cette consommation explose aussi là-bas. Par exemple le chinois moyen est passé de 20 à 50 kg de viande par an en 20 années. Donc si tout le monde continue d’augmenter sa consommation de viande, alors on a un soucis. Aujourd’hui, 70% des surfaces agricoles dans le monde sont utilisées pour produire de la viande. Les prairies bien sûr, mais aussi les surfaces destinées à l’abatage, et la transformation de la viande. Mais cette surface va devoir augmenter donc. Que fait-on ? Doit-on continuer de déforester l’Amazonie pour agrandir les pâturages ? Même en sacrifiant la forêt amazonienne on n’y arrivera pas ! Car la demande en viande explose, et la population humaine aussi ! Il faut donc produire de la viande autrement. Oui parce que cet article n’est pas là pour faire l’apologie du végétarianisme, mais pour réfléchir à l’avenir de la production et la consommation des insectes. Avec 10 kg de ressources végétales, vous produisez 1kg de bœuf, 3 kg de porc, 5 kg de poulet et 9 kg de criquets. Avec 10 on pourrait faire 9, mais on décide de faire 1. On décide de ne pas saisir le bonus pour le moment. Donc si tu étais un entrepreneur, comme ceux qui ont créé la société Ynsect, qu’aurais-tu fait ? Tu aurais toi aussi opté pour le meilleur rendement, celui qu’offre les insectes. Et puis vient la question environnementale. Si on prend 10 kilogrammes de nourriture, et qu’on fabrique avec ces 10kg, 1 kg de bœuf, alors par logique nous produisons 9 kg de déchets. Des crottes de vaches en l’occurrence. Les insectes produisent donc peu de déchets, peu d’ammoniac et moins d’émission de gaz à effet de serre. Enfin on pourrait se demander si cette faillite à venir serait liée à la mauvaise qualité de la viande qui est produite par les insectes. Mais toutes les études démontrent le contraire. En termes de protéines, de types de graisses, de vitamines ou de calories, la viande d’insectes est comparable à la viande que nous consommons aujourd’hui. La chaire du vers de farine par exemple est riche en oméga 3, oméga 6 et en vitamine B12. On a parlé des maladies, véhiculées par les insectes, mais là encore l’argument ne tient pas. Car il est évident que les risques d’épizooties transmissibles à l’homme sont infiniment plus probables avec des élevages d’autres mammifères, comme le cochon ou la vache, qu’avec un insecte, qui ont beaucoup moins de chance de pouvoir accueillir des parasites qui peuvent nous infecter nous, à cause de leur grande distance phylogénétique avec les humains. Est-ce que c’est la législation européenne qui empêche le développement d’Ynsect, et globalement de l’entomophagie ? Non plus. Début 2021, l’EFSA, l’autorité européenne de sécurité des aliments avait conclu que les larves du vers de farine pouvaient être consommées sans danger « soit sous forme d’insecte entier séché, soit sous forme de poudre ». A la suite de ce feu vert, le 4 mai 2021, la Commission européenne a autorisé l’utilisation du ver de farine comme denrée alimentaire dans l’Union européenne, sous forme de poudre ou d’insectes séchés. C’est le premier insecte à bénéficier d’une telle autorisation. D’autres recevront aussi cette autorisation un peu plus tard, comme le grillon ou le criquet migrateur. Rappelant que comme tous les autres aliments, leur présence doit obligatoirement être mentionnée dans la liste d’ingrédients. Dans un dernier élan de contestation, tu pourrais me dire que tu n’en manges pas, car ils ne sont pas encore disponibles dans le commerce. Pourtant un peu partout en Europe, à l’image de la société Ynsect en France, la recherche avance, les entrepreneurs se multiplient, et les produits se développent et trouvent leur place dans certains rayons. D’ailleurs, dans la foulée de l’autorisation de l’usage du vers de farine dans l’alimentation humaine, Ynsect signait un partenariat avec une importante chaine de supermarchés autrichiens. Ikea compte bien en profiter aussi et innove dans certains de ses restaurants en proposant des aliments du futurs, où les insectes côtoient par exemple de la spiruline. Les arguments en faveur de la consommation d’insectes sont nombreux, et je ne te les ai sans doute pas tous cités. Si tu en avais d’autres en tête n’hésite surtout pas à les partager en commentaire pour en faire profiter tout le monde. Mais donc j’en reviens encore à cette question de départ, pourquoi la société Ynsect est en difficulté ? Pourquoi nous ne consommons pas d’insectes ? C’est culturel disent les spécialistes, depuis des décennies. C’est une question d’habitude, qu’il faut simplement parvenir à changer. D’ailleurs, nous mangeons déjà des aliments proches des insectes et que nous considérons comme des produits de luxe. Je te rappelle que les insectes font partie des Arthropodes, un embranchement d’animaux pourvu de pattes articulées, et d’une cuticule épaisse. Tout comme les crevettes, les homards, les écrevisses, les crabes … tu as une idée du prix au kilos de ces proches cousins des insectes ? Les criquets ne sont finalement que des crevettes terrestres si on les compare un peu. Sans doute qu’avant de voir des insectes entiers dans nos assiettes, nous verrons de plus en plus de protéines à base d’insectes faire leur place dans nos aliments transformés. Cette conversion se fait certainement à un rythme trop lent, et c’est ce qui plombe certainement les comptes des entreprises pionnières dans le domaine. Finalement, la seule raison qui nous rende frileux à l’idée de manger des insectes, c’est notre état d’esprit. Nos habitudes. Nous n’y sommes simplement pas habitués. Beaucoup d’insectes jouissent d’une mauvaise réputation. Peut-être parce que le cafard ou le moustique te dégouttent, ou t’agacent. Et cette image déteint sur tous les autres, en ce compris ceux qui s’insèreraient parfaitement dans notre alimentation. C’est sans doute aussi pour cette raison que sur cette chaine, je prends plaisir à te présenter les insectes sous leur beau jour, leur diversité, leur beauté, leur complexité et leur importance au fonctionnement de notre planète. Car sans les insectes nous ne serions pas présents sur cette planète, et je ne serais pas là à te faire cet article. S’ils disparaissent, nous disparaitrons. Par contre si nous disparaissons, eux continueront de vivre encore heureux. Donc nous devons nous faire à l’idée de manger des insectes. Les insectes nous ont permis de voir le jour sur cette planète et ils seront certainement aussi ceux qui nous permettront d’y rester encore au cours des siècles à venir. Voici ton histoire, et celle de toute l’humanité. Le Big Bang. Un cataclysme que l’on situe à -13,8 milliards d’années. Une éternité passe avant que des nuages de gaz et de poussières s’agglomèrent pour former la Terre et toutes les autres planètes du système solaire, il y a 4,5 milliards d’années. Aucune forme de vie n’est alors présente. Notre toute jeune planète est très différente du monde que nous connaissons : il n'y a pas d'océan et son atmosphère est totalement dépourvue d'oxygène. La Terre est sans cesse bombardée par des matériaux issus de la formation du système solaire. Ces bombardements provoquent des activités volcaniques permanentes. Les éléments les plus lourds s'enfoncent au centre de la planète pendant que les plus légers remontent à la surface. La Terre acquiert peu à peu la structure interne qu'on lui connaît aujourd'hui. Après une longue phase de refroidissement, les océans se forment. Mais il faut des centaines de millions d’années pour que les conditions deviennent propices à l’apparition de la vie. Qu’est-ce qui a déclenché le processus de combinaison des molécules inertes pour former des organismes vivants ? Le mystère n’est pas totalement élucidé. Selon l’une des théories, les molécules présentes sur Terre se seraient combinées selon leurs affinités chimiques et auraient donné naissance à des assemblages de molécules plus complexes. Ces assemblages se seraient associées pour former des acides aminés, eux-mêmes étant les éléments constitutifs des protéines. Puis ces éléments chimiques se sont retrouvés enfermé dans des cellules primitives, isolées dans des membranes simples. Quand seraient apparus ces premières formes de vie ? Les scientifiques débattent toujours sur cette question. On enseignait communément que les premiers êtres vivants seraient apparus entre - 3,8 et - 3,5 milliards d'années. Mais une étude toute récente datant de l’été 2024, avance l’âge de 4,2 milliards d’années pour LUCA, ou Last Universal Common Ancestror, dernier ancêtre commun universel. LUCA, c’est le nœud de l'arbre de la vie, à partir duquel deux groupes – deux domaines - de cellules procaryotes divergent : les Archées et les bactéries. Il s’agit évidemment d’un organisme important pour comprendre l’évolution de la vie sur terre et notre origine à nous également, car plantes et animaux proviennent probablement de l’évolution des archées. Des cellules dépourvues de noyau qui n’avaient à l’époque pas besoin d’oxygène pour se reproduire. Toutes ces bactéries sont donc les premiers êtres vivants à coloniser la Terre par les océans. Parmi elles, les cyanobactéries vont changer complètement la face du monde. Elles acquièrent la capacité de transformer le dioxyde de carbone de l'atmosphère en oxygène. Grâce à elles, l’atmosphère de l’époque se rapproche de l'atmosphère actuelle. Les premières cellules pourvues d’un noyau, qu’on appelle les eucaryotes, seraient apparues il y a 2 milliards d’années. Ces êtres unicellulaires évoluent progressivement vers des organismes complexes composés cette fois de plusieurs cellules et vivant bien sur toujours dans les océans. Au fil du temps, la taille de ces organismes augmente, avec une véritable explosion de diversité : méduses, algues, éponges, vers et champignons peuplent les océans il y a 600 millions d’années. Lors du précambrien, il y a environ 540 millions d’années, se produit un chamboulement énorme pour la vie animale. Sans doute la période la plus importante. On parle de l'explosion cambrienne. Explosion. Pour souligner à quel point l'apparition de nombreuses formes de vie animale sera rapide, à l’échelle de l’histoire de notre planète bien sur. En quelques millions d’années apparaissent les premiers animaux dotés de pattes articulées et ceux doté d'un squelette. Les premiers vertébrés apparaissent sous la forme de poissons primitifs. Il faudra attendre 100 millions d’années de plus pour voir apparaitre les premières traces de plantes et d'animaux terrestres, terre ferme que les insectes et les acariens vont coloniser. Il y a 250 millions d’années apparaissent les reptiles, et à partir des reptiles apparaissent peu après les premiers mammifères, dont le sang est chaud et le corps recouvert de poils. Le soucis, c’est qu’à cette époque, ce sont les dinosaures qui sont les rois et qui monopolisent toutes les niches écologiques. Les mammifères restent donc cantonnés dans les rares niches laissées libres en attendant leur heure. Ils se sont montrés patient les petits mammifères de l’époque, car le règne des dinosaures a duré 200 millions d’année, jusqu’à leur extinction il y a 65 millions d'années. La place était libérée, et il faudra peu de temps aux mammifères pour prendre peu à peu possession du terrain, et engendrer les primates et les premiers singes vers -55 millions d'années. De grands bouleversements climatiques surviennent alors et affectent la Terre. Les primates disparaissent des continents de l'hémisphère Nord, et seuls ceux provenant des régions tropicales du globe survivent aux changements de température. Vers –35 millions d'années, les premiers singes modernes apparaissent. Grâce à leur capacité d'adaptation, ils évoluent en de multiples espèces qui finissent par occuper plusieurs niches écologiques. Parmi eux, on trouve les hominoïdes, ancêtres communs aux hommes, aux chimpanzés et aux gorilles. Entre -20 et -10 millions d'années, on les nomme notamment proconsuls. Ils sont pourvus d’une épaisse fourrure et sont parfaitement adaptés à une vie arboricole. Leur poids avoisinait les 18 kilos, et sur base de leurs dents on déduit qu’ils se nourrissent principalement de fruits, qu’ils attrapaient grâce à leurs très longs bras. Même s’il n’est pas exclu qu’ils mangeaient aussi des petits animaux. A cette époque déjà, ces singes n’avaient plus de queue. Ils ne pouvaient donc se suspendre aisément aux branches et préféraient rechercher leur nourriture en s’y déplaçant à quatre pattes. Ces grands singes se dispersent hors d'Afrique, vers -16 millions d’années. À la suite d’un nouveau changement climatique, les hominoïdes des zones tropicales sont les seuls à s'accommoder des nouvelles conditions de vie. Pour s’adapter ils doivent apprendre à se déplacer au sol et à y chercher leur nourriture. Je vous parlais justement dans une récente vidéo de leur rencontre avec l’alcool, et des adaptations qu’ils ont dû subir pour survivre. Il y a 8 millions d'années, les grands singes hominoïdes vivent à l'est du continent africain, dans une région largement boisée. Cette région entre alors dans une instabilité géologique du fait des pressions exercées sur les plaques tectoniques. Les climats des deux côtés du rift sont complètement différents : humide avec des forêts à l'ouest, plus sec avec la formation des savanes à l'est. Cette séparation serait-elle à l’origine de la séparation des lignées des Hommes et celles des grands singes ? Comme souvent, il reste des inconnues. On nomme en tout cas cette hypothèse l'East Side Story. Elle a été popularisée début des année 80 par le Français Yves Coppens et elle suppose que les ancêtres des grands singes sont nés à l'ouest dans les arbres, et ceux de l'homme à l'est dans la savane. Ce modèle est cependant bouleversé par les découvertes d'Australopithecus bahrelghazali (qu’on surnomme Abel) et de Sahelanthropus tchadensis (qu’on surnomme Toumai). Ces deux squelettes sont retrouvés au Tchad début des années 2000. On est à 2500 km à l'ouest du rift. Des préhumains à l’ouest, ça met du plomb dans l’aile de la théorie de Coppens. L’East Side Story est mise à mal. Toumai vivait en Afrique il y a 7 millions d’années. Son squelette justifie qu’on le considère comme appartenant à la branche humaine, et non celle des chimpanzés ou des gorilles. Aujourd’hui, les nouvelles théories repoussent beaucoup plus loin la séparation des lignées hommes et grands singes, au lieu de -8 millions d’années, on serait plutôt autour des -13 millions d'années. Si Toumai appartenait au genre Sahelanthropus, Abel lui était un Australopithèque. Il s’agit de singes bipèdes, qui se dressent donc en permanence sur leurs membres inférieurs. Les premières traces des australopithèques datent de 4 millions d'années. On en reconnaît plusieurs espèces, typiquement de 6 à 8, car toutes ne sont pas acceptées par les chercheurs. Lucy, ou Australopithecus afarensis, l’un des fossiles les plus célèbres au monde, a longtemps été considérée comme un ancêtre directe de l'Homme, mais ce n’est plus du tout accepté aujourd’hui. Les Australopithèque sont aujourd’hui considérés comme une lignée très proche mais parallèle à celle des humains modernes. L'acquisition de la bipédie représente en tout cas une belle première étape de l'hominisation. Viendra ensuite la seconde, celle de l'accroissement du cerveau qui caractérise le genre humains. Les Australopithèques utilisaient des outils de pierre pour casser des noix, mais il semble qu’ils ne taillaient pas intentionnellement les pierres pour s'en servir. Vers -2,8 millions d'années, des changements climatiques et environnementaux -encore- marquent la disparition des australopithèques et l'émergence parallèle des paranthropes et surtout, des premières espèces du genre Homo, notamment Homo rudolfensis et Homo habilis. Ces derniers sont toujours bipèdes, mais leurs jambes sont courtes donc ils n’étaient sans doute pas de bons marcheurs. Rapidement ensuite arrive sur scène Homo ergaster. Voilà trois espèces du genre Homo qui cohabite donc, ce qui démontre que l'évolution de l’Homme est buissonnante et non linéaire. Ergaster lui est souvent perçu comme un conquérant qui découvre le monde. Il vivait en Afrique entre -1,9 et -1 million d'années avant notre ère. Il présente de nombreux caractères qui annoncent l'homme moderne et s'affranchit véritablement du monde des arbres. C'est un bipède accompli et lui est un excellent marcheur capable de courir sur de longues distances. Au gré de ses déplacements et des glaciations, le corps d'Homo ergaster évolue et s'adapte aux voyages. Il se distingue comme un bon chasseur, capable de traquer et de tuer du gros gibier. C'est d’ailleurs le premier homme à être équipé d'une panoplie d'armes de chasse. Les plus anciens de ces outils taillés sur leurs deux faces se trouvent en Afrique et datent de - 1,6 million d'années. On les nomme des bifaces, ce sont les premiers silex entièrement façonnés avec soin, de façon symétrique. La maîtrise de ces outils et son envie de consommation de la viande poussent Ergaster à s'aventurer dans des territoires inconnus. Homo ergaster est sans doute à l'origine du peuplement d'Homo erectus en Europe et en Asie. Homo erectus apparaît sur la scène de l'évolution il y a 1,7 million d'années. Son corps et les proportions de ses membres ont beaucoup de similitudes avec ceux de l'homme moderne. Ce nouvel Homme se tient bien droit, son allure générale et sa démarche ne sont pas très différentes des nôtres. Homo erectus est un cueilleur de fruits et de racines. Il est aussi charognard, mais sa principale ressource en viande reste la chasse. Au fil des millénaires, Homo erectus améliore ses techniques de taille des pierres et étend la gamme de ses outils : il réalise par exemple les premiers hachereaux. II peut également confectionner des lieux de vie, avec des branchages recouverts d'un revêtement de feuilles et de peaux de bêtes. Homo erectus est le premier homme à avoir domestiqué le feu. Grâce à lui, ses conditions de vie s'améliorent, il peut cuire les aliments et utiliser le feu pour se protéger du froid ou des prédateurs. Trois grandes populations d'Homo erectus se partagent la Terre il y a 800 000 ans. L'une est installée en Afrique, une autre en Asie et une troisième en Europe. Laissons Homo erectus sur le côté un instant si tu veux bien, car il y a environ 300.000 ans les hommes de Neandertal apparaissent sur la scène de l'évolution, en parallèle donc des espèces de pré-humains. Depuis la découverte des premiers néandertaliens en 1856, leur statut a souvent varié : un temps considéré comme une sous-espèce d'Homo sapiens et nommé donc à une époque Homo sapiens neanderthalensis. Il est aujourd'hui considéré comme une espèce à part entière nommée Homo neanderthalensis. Les hommes de Neandertal semblent être issus du métissage de différentes formes d'erectus africains ou asiatiques. Ils ont un visage différent de celui de l'homme moderne. Le crâne apparaît plus bombé au niveau du front, le visage est plus large et accentué par un front fuyant et un menton presque absent. La charpente osseuse de Neandertal est robuste. Pour la chasse, ils utilisent de lourds épieux en bois, longs de 2 m, et parfois garnis de pointes en pierre ou bien durcis par le feu à leur extrémité. Les Hommes de Neandertal se répandent progressivement dans toute l'Europe et l'Asie occidentale environ 200 000 ans avant notre ère. Mais arrivés au Moyen-Orient, les néandertaliens ne sont pas seuls. Ils rencontrent d'autres hommes, les prédécesseurs directs des hommes de Cro-Magnon, appelés les « proto-Cro-Magnon ». Ils ont des cultures assez proches et de nombreux points communs, comme la chasse et les autres moyens de subsistance. Si on a peu d'indices sur la nature de la cohabitation entre les deux espèces, il n'est pas difficile d'imaginer que ces deux espèces soient entrées en concurrence. Et cette concurrence a sans doute été l’un des facteurs de la disparition des Néandertaliens, il y a 35 à 40 milles ans environ. Il y a quelques semaines, une nouvelle recherche menée par le français Ludovic Slimak nous présentait 31 dents et plusieurs morceaux de mâchoire, ayant appartenu à l’un des derniers néandertaliens à avoir vécu sur le continent européen. Ils l’ont baptisé Thorin, en référence au personnage du roman de Tolkien Bilbo le Hobbit. Ludovic Slimak justifie cet hommage en déclarant "Le Thorin de Tolkien est un des derniers rois nains sous la montagne, un des derniers de sa lignée. Le Thorin que nous avons découvert, lui, figure parmi les derniers néandertaliens." Je reviens à Homo erectus à présent. Il a émigré de l'Afrique vers l'Asie il y a 2 millions d'années. Puis une deuxième vague d'immigration s’est produite vers l'Europe 1 million d'années plus tard. Tout le monde n’est pas d’accord lorsqu’il s’agit de reconstituer un scénario plausible, de l’émergence de l’Homme moderne dans le temps et aussi dans l’espace. Je parle donc bien d’Homo sapiens, l’espèce à laquelle nous appartenons. Plusieurs théories s’affrontent depuis des décennies pour expliquer les origines de l’homme moderne :
Il y a environ 100 000 ans, les hommes sont donc présents en Afrique, en Asie et en Europe. Chaque population présente des différences locales, mais elles sont toutes comparables les unes aux autres. Au fil de leurs voyages, ces humains rencontrent des populations dispersées et peu nombreuses. Ils les supplantent facilement grâce à leur organisation et leurs aptitudes morphologiques. On estime que les premiers hommes sont arrivés sur le continent américain il y a environ 35 000 ans par voie terrestre. 20 000 ans plus tard, l'Amérique est peuplée du nord au sud. Il y a 20 000 ans, les Homo sapiens finissent par habiter sur tous les continents. Ils ne diffèrent pas plus entre eux que les différents hommes actuels qui peuplent notre planète. En Europe, c'est l'homme de Cro-Magnon qui s'installe vers -40 000 ans. Cro-Magnon est un homme anatomiquement moderne, de grande taille, on estime qu’il vivait jusque l’âge de 30 ou 35 ans. Il est sans doute le premier à se donner le temps de développer la dimension culturelle de la vie. C’est à lui que l’on doit les premières expressions d’art pariétal, notamment observables aux grottes de Lascaux ou de Chauvet. Ses outils et armes sont variées : grattoirs, burins, pointes de projectiles, armatures. Il incorpore l'os et l'ivoire dans de petits objets domestiques. Il développe sa maîtrise du feu, en maîtrisant les températures de combustion et en variant ses utilisations pour la cuisine. Il occupe des grottes lorsqu'il en trouve, ou bien il aménage des tentes ou des huttes dans des sites de plein air. La suite de l’histoire est pleine d’innovations culturelles et technologiques, dont on peut parler une prochaine fois si cela t’intéresse. |
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Février 2025
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