Les poissons peuvent aussi avoir le sens des affaires. Certains tiennent même un commerce et n'hésitent pas à fixer les prix de leurs services à la tête du client. La bête du jour c'est le labre nettoyeur. Comme son nom l'indique, il ne vend pas du chocolat. Il propose de nettoyer! Il nettoie les autres poissons du récif. Ses services, il les offre dans sa propre station de nettoyage. C’est un petit espace qu’il s’approprie pour y réaliser son activité professionnelle. La station de nettoyage est une affaire familiale : le labre mâle est le chef, et il est aidé ses compagnes. Il peut en avoir conq, six ou même sept. Oui parce que le bougre, il est macho et polygame. Par contre, patron ou compagne du patron, tout le monde travaille dur dans la station de nettoyage. L’équipe accueille parfois au-delà d’une centaine de clients par jour. Et il n’est pas rare de voir certains d’entre eux faire la file en attendant leur tour. Le service de base comprend essentiellement les soins corporels. Pour cela, le poisson au travail visite chaque recoin du corps de son client, qui est souvent d’ailleurs bien plus gros que lui. Il lui arrache les parasites, il le gratte et évacue les peaux mortes et les écailles usagées. Mais le patron sait que s'il veut voir son activité prospérer et voir ses clients revenir, il doit proposer un menu de prestations varié. Dès lors il s’improvise dentiste, et propose à ses clients le nettoyage des dents. Pour cela il s’approche de la gueule de l’intéressé et fait vibrer son corps pour informer qu'il est prêt à servir de brosse à dents. Si le client est intéressé, il ouvre sa mâchoire, le labre s’y introduit et slalome entre les dents pour éliminer les déchets qui s’y sont accumulés. Le labre propose aussi des massages. Pour cela il exerce des pressions sur le dos du client avec ses nageoires. Ses massages sont terriblement relaxants puisque des chercheurs suisses ont démontré que le poisson massé voyait son taux de cortisol -l’hormone de stress- descendre au plus bas après une seule séance de massage. C’est donc très relaxant. Le labre est un professionnel qualifié ! Et donc ses services ne sont pas gratuits. Sa rémunération, il se la fait payer en nature : un repas en échange de ses bons soins. Et ce qu’il préfère manger, c’est le mucus de poisson. Celui qui recouvre justement les écailles de ses clients. Alors le labre prélève directement son salaire, à coup de morsures, réalisées le plus délicatement possible. Oui parce que son travail sera surtout jugé en fonction de la douleur qui y est associée. Les poissons n’ont peut-être pas de guide du routard, mais nos scientifiques ont observé qu’ils se souviennent d’un massage trop douloureux, et décident alors de ne plus jamais revenir dans ce commerce. S'assurer de ne pas trop faire mal à son client, c'est encore plus important s'il y a des poissons qui font la file. Faudrait pas les faire fuir. Alors quand il y a du public, le labre prélève un peu moins de mucus, que quand il n'y a aucun client potentiel dans les environs. Le labre ajuste ses prix à la tête du client. Prenez par exemple les habitués du quartier : ces poissons-là ne voyagent jamais très loin et n’ont donc pas l’occasion d’aller voir la concurrence. Les éthologues à la base de cette étude ont observé que pour ces poissons casaniers, c’est plein tarif: le labre prélève ce qu’il lui faut de mucus en guise de paiement ! De toute manière ceux-là ils reviendront. Le labre compte aussi parmi sa clientèle quelques-uns de ses propres prédateurs qui ont conscience qu’un bon nettoyeur-masseur, c’est plus précieux qu’un repas fugace. Evidemment, il prend bien soin d’eux. Le massage est toujours compris avec les soins corporels. Et pour eux, tout est gratuit. Bein oui il n'oserait pas mordre son propre prédateur sous peine ... d'y laisser sa peau. Et puis enfin, il y a ces clients qui viennent de loin pour profiter des services de ce labre et sa famille. Ceux-là sont des voyageurs, ils ont le choix entre plusieurs « stations » de nettoyage mais c’est celle-ci qu’ils choisissent. Alors le patron prend soin de ses clients fidèles : des tarifs raisonnables, sans pour autant réduire la qualité de son travail. Après tout, le client est roi! Publication source: Brown C, Laland K, Krause J (2011) Fish cognition and behavior. Chichester, West Sussex, UK; Ames, Iowa: Wiley-Blackwell.
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Novembre 2024
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