Ces trois espèces marines jouent un rôle capital pour le climat. Leurs fascinants comportements sont pourtant totalement méconnus, à l’instar de leur contribution à la régulation du stockage de carbone. Les océans abritent une biodiversité gigantesque, au sein de laquelle on retrouve des animaux que les scientifiques considèrent comme de précieux alliés dans notre lutte contre les dérèglements climatiques. Des espèces qui jouent un rôle particulièrement important dans l’absorption du CO2, le fameux dioxyde de carbone, l’un des gaz participant à effet de serre. Si on veut combattre le réchauffement planétaire et le maintenir sous la barre des 1.5 degrés, il faudrait donc protéger ces populations d’animaux, voir même augmenter leurs effectifs. Je t’emmène dans les océans à la découvertes de trois animaux discrets, et particulièrement peu connus pour leur engagement dans la cause climatique. Je t’expliquerai comment ils parviennent à absorber le CO2 et par effet cascade, à limiter l’emprunte des humains sur leur planète. Trois exemples parmi beaucoup d’autres, d’espèces animales précieuses pour les rôles écologiques qu’elles jouent. Changements climatiques et carbone Nous sommes une espèce animale terrestre. C’est donc tout à fait logiquement que nous avons d’abord exploré la terre ferme pour en découvrir quantité d’espèces vivantes. Alors que nous approchons le chiffre d’un million et demi d’espèces animales décrites par les humains, les espèces vivant dans nos océans sont, elles, relativement peu connues. Récemment, plusieurs découvertes intéressantes ont été communiquées par des chercheurs spécialistes des océans et des créatures qui y vivent. Des études qui vont toutes dans le même sens, qui tirent toutes les mêmes conclusions : ils sont nombreux, les animaux océaniques, à participer à la lutte contre les dérèglements climatiques. En séquestrant du carbone, elles limitent l’émission de gaz à effet de serre et donc réduisent le phénomène de réchauffement planétaire. Pour que ce soit clair pour tout le monde, je vous rappelle que les gaz à effet de serre ce sont des gaz naturellement présents dans l’atmosphère. Ils absorbent une partie de la lumière du Soleil et de la chaleur émise par la Terre, et nous garantissent de bonnes conditions de la vie sur notre planète. L’effet de serre qu’ils provoquent est donc un phénomène naturel. Malheureusement, l’activité humaine a généré l’émission de gigantesques quantités de certains de ces gaz, amplifiant l'effet de serre naturel et provoquant des dérèglements sans précédent. Le CO2, le gaz carbonique, fait partie de ces gaz à effet de serre. Il est créé par la décomposition naturelle de matières animales ou végétales, mais est normalement absorbé par les plantes au cours du processus de photosynthèse, qui transforme le CO₂ et l'eau en sucres sous l'effet de la lumière solaire. Malheureusement, le CO2 est rejeté grandes quantités suite aux activités humaines, principalement : par la production d'énergie par la combustion de charbon, de pétrole ou de gaz naturel, par la conversion de forêt en zones agricoles, et par divers processus industriels comme la production de ciment et autres activités dans la pétrochimie et la sidérurgie. Résultat : les émissions de CO2 ont doublé au cours des dernières décennies, faisant de ce gaz le principal responsable de l’effet de serre, et donc du réchauffement planétaire que nous connaissons. Les algues, les arbres et les plantes non ligneuses jouent un rôle majeur dans la lutte contre le réchauffement climatique car ces organismes autotrophes absorbent le carbone, notamment lorsqu’elles fabriquent des sucres durant la photosynthèse. Ce qui empêche ce CO2 de finir dans l’atmosphère et de participer au réchauffement global. Mais si on sait depuis fort longtemps que les végétaux nous aident dans ce combat, le rôle des animaux est beaucoup clair, surtout lorsqu’il s’agit des espèces marines. Et dans un travail très récent, des chercheurs affirment que le rôle des animaux dans le contrôle du cycle du carbone est largement sous-estimé. Poisson abyssal Le contexte étant posé, je t’emmène dans les profondeurs de l’océan Pacifique pour découvrir le premier des trois exemples d’animaux qui œuvrent dans l’ombre à la régulation du dioxyde de carbone. Ce mystérieux petit poisson des abysses est l’un des nombreux poissons-lanternes qui vivent à des profondeurs comprises entre 200 et 1500 mètres de profondeurs. Et aussi étrange qu’il puisse paraitre, il semble fondamental pour le climat, et dans une proportion qu’on ne soupçonnait pas jusqu’à tout récemment. Ces poissons sont très abondants dans nos océans, si abondants que certains scientifiques estiment qu’ils représenteraient plus de 50% de la biomasse des poissons des zones abyssales océaniques. Pour te donner une échelle approximative : pour chaque humain sur terre, il y aurait 2 tonnes de ces poissons. On les nomme poissons lanternes car ils possèdent un peu partout sur leur ventre des organes bioluminescents appelés photophores. Ce sont amas d'écailles modifiées qui leur permettent de communiquer, de se camoufler ou d'attirer des proies en produisant une lumière bleue-verte, qui est le résultat d'une réaction chimique déclenchée par leur système nerveux. Leur particularité réside dans le fait qu’ils montent en surface la nuit pour se nourrir, et redescendent dans les profondeurs sombres pendant le jour. On peut parler d’une migration, mais une migration qui est verticale, qui a lieu chaque jour, et qui est pratiquée par de très nombreux individus. Et c’est ainsi que j’en arrive au carbone. Pour certains chercheurs, les poissons-lanternes joueraient un rôle si important dans la séquestration du carbone que, sans eux, le niveau de CO2 dans l'atmosphère serait supérieur de moitié à celui d’aujourd’hui, et la température serait plus élevée de quelques degrés. Rien que ça ! Comment participent-ils donc à cette séquestration du carbone? Premièrement parce que leurs cadavres sont riches en carbone et sont déposés à proximité du plancher océanique, suffisamment en profondeur pour ne pas subir trop la dégradation par les bactéries qui elles vivent plus proches de la surface, et qui auraient libéré ce carbone dans l’atmosphère si elles en avaient eu l’occasion. Deuxièmement parce qu’ils rejettent dans les profondeurs des crottes riches en ion carbonates, du carbone donc. Du carbone qu’ils ont consommé lorsqu’ils sont remontés vers surface pour s’alimenter et qu’ils ramènent donc encore une fois vers les profondeurs, l’empêchant d’être libéré dans l’atmosphère. Leurs crottes aident donc à désacidifier les eaux de surface des océans, et permet donc aux restes des êtres vivants d’être en bonne santé. On estime ainsi que les 250 espèces de poissons-lanternes feraient couler dans le fonds des mers des quantités astronomiques de carbone. Un carbone qui une fois ramené dans les fonds marins sort pour grande partie du jeu climatique pour des milliers d'années. Difficile de chiffrer leur contribution aux changements climatiques, mais selon les modèles on avoisinerait tout de même 0.5% des émissions mondiales. Heureusement pour lui, le poisson-lanterne est désagréable au goût et peut contenir des toxines. Donc les consommateurs ne veulent pas de ce poisson, qui évite donc la surpêche. Mais les récents progrès technologiques ont malheureusement facilité la capture et la transformation de ces espèces en farines et huiles de poisson qui intéressent grandement le secteur de l’aquaculture. Loutres de mer Après les poissons-lanternes, je t’emmène à la découverte du rôle joué par les loutres de mers. Ces mammifères, semi-aquatiques, appartiennent à la famille des Mustélidés, ce qui signifie qu'elles sont parentes avec les mouffettes, les blaireaux et même les furets. Elles profitent d’un pelage épais et isolant, pour évoluer dans les eaux froides des côtes de l'océan Pacifique, depuis le nord du Japon et la Russie, jusqu'à la Californie et même le Mexique. Leur queue est relativement courte par rapport à leur corps, elle joue un rôle de gouvernail, ce qui les aide à nager rapidement et avec agilité. Ces animaux très sociaux sont de vrais acrobates une fois dans l’eau. Elles plongent jusqu'à 60 mètres de profondeur pour chasser leur nourriture préférée, comme les crabes, les oursins, les mollusques et même parfois les poissons. Elles remontent leurs proies en surface, qu’elles mangent en nageant sur le dos. Elles utilisent leur ventre comme une table à manger flottante, où elles cassent les coquilles dures, s’aidant parfois de cailloux trouvés au fond de l’eau. Mais la nage sur le dos est très commune chez les loutres de mer, et on suppose qu’il s’agit d’ailleurs d’une adaptation à la vie en eau froide, car cette position permet de maintenir le bout du museau et les pattes hors de l’eau. Ce sont en effet des zones de leur corps qui sont dépourvues de fourrure. Les loutres se reposent sur le dos en s'enroulant dans les frondes géantes de kelp, ce qui leur évite de dériver pendant qu'elles mangent ou pendant leur sommeil. Et justement, le Kelp, est au cœur de leur contribution au climat. Le rôle des loutres de mer pour la vivacité de la pompe à carbone biologique océanique est fondamental, à un niveau si important qu’on n’imaginait pas il y a de ça quelques années. Ces grandes algues brunes forment de véritable forêts dans le Pacifique Nord. Elles poussent extrêmement vite (on parle de 60cm par jour !) et ce faisant, elles séquestrent le CO2 de l’atmosphère. Certains chercheurs affirment qu’une forêt de kelps en piège 10x plus qu’une forêt terrestres parmi les plus actives. Ces algues sont ancrées sur le sol et flottent jusqu'à la surface grâce aux flotteurs qui se trouvent à la base des feuilles. Les kelps sont ainsi de grandes pouponnières où quantité de poissons se reproduisent. Ces poissons envoient de la matière organique riche en carbone sur le sol, ce qui stimule la vie des coquillages ou des crustacés, en plus d’en transformer une partie en sédiments stables dans le temps. Les kelps sont donc des espaces importants qui participent à refroidir l’atmosphère. Et les loutres de mer sont super importantes pour la bonne santé de ces forêts sous-marine. Car les loutres figurent parmi les seules espèces à parvenir à consommer en quantité des oursins. C’est que leurs picots repoussent plus d’un prédateurs évidemment. Or l’oursin est particulièrement friand du kelp. Quand il y a des oursins en masse, il y a peu de kelp. Je te renvois d’ailleurs vers mon premier livre « Un Tanguy chez les hyènes » où je te présente les comportements surprenants des oursins au sein de ces forêts sous-marines. Le lien est dans la description. Si tu cliques dessus cela supporte le travail que je fais. Sur les zones où les loutres sont absentes depuis 1 siècle, on compte jusqu’à 20 fois moins de ces forêts sous-marines de kelp que lorsqu’elle est présente, car les algues y ont subi la voracité des oursins. Mais les loutres ont été chassée méthodiquement à partir du 18e siècle pour leurs fourrure incomparablement dense. Avec 170 000 poils au cm2, il s’agirait de la densité la plus élevée du règne animal. Elle a donc bien failli disparaître. Sur une population initiale estimée à 1 million d’individus, on en dénombrait seulement 2 000 il y a un siècle. Mais heureusement aujourd’hui elles sont environ 100 000, à majorité en Alaska et en Russie. Pour tenter de chiffrer un petit peu le boulot des loutres dans la séquestration du carbone, via la protection des kelps, une équipe de l’université de Santa Cruz a montré que dans une zone océanique localisée près de l’île de Vancouver, elles auraient permis de stocker l’équivalent de 25 millions de tonnes de CO2. Soit l’équivalent des émissions d’un million de voitures chaque année. Les cachalots Après être passé par la surface des eaux océaniques, je te propose de replonger dans les profondeurs en compagnie du grand cachalot. Il s’agit du plus grand représentant de la famille des cétacés à dents. On les retrouve dans tous les océans du monde, des eaux polaires glacées aux mers tropicales chaudes. Les grands cachalots sont des créatures fascinantes sur le plan comportemental. Ils sont connus pour leurs chants mystérieux qui résonnent à travers les océans, pour leurs habitudes et modes de vies sociaux, mais aussi pour leurs plongées incroyablement profondes, qui peuvent durer jusqu'à 90 minutes. Dans les abysses, ils chassent leurs proies préférées, comme les calamars géants. Pour les trouver, ils descendent en apnée à des profondeurs atteignant plus de 2 kilomètres. Les autres espèces de baleines diffusent des nutriments de manière horizontale, en se nourrissant à un endroit et en déféquant un purin riche en azote, phosphore et fer à un autre. Mais la particularité du cachalot, c’est que lui, il le fait de manière verticale. Et c’est là une particularité importante pour l’ensemble des océans et notre climat, tu vas vite le comprendre. En descendant chasser les grands calamars des abysses le cachalot remonte de précieux nutriments vers la surface à travers ses déjections. Oui parce que contrairement aux poissons abyssaux que nous avons décrits plus tôt, le cachalot, lui ne peut déféquer que lorsque la pression de l’eau est basse, c’est-à-dire à proximité de la surface. Et il aura fallu attendre les travaux tout récents d’une équipe australienne pour mesurer le rôle climatique de ce comportement. Pour les comprendre il faut que je t’explique le rôle primordial du phytoplancton : ce sont divers microorganismes, parmi lesquels protistes et bactéries, qui sont autotrophes, pratiquant la photosynthèse, et qui sont donc, tu l’as compris, des pièges à carbone. Sauf que le phytoplancton pour proliférer a besoin lui aussi de se nourrir, et l’un des aliments qui lui fait le plus défaut, c’est le fer. Et bien selon ces chercheurs australiens, les 12 000 cachalots de l'océan Austral remonteraient environ 50 tonnes de fer chaque année qu’ils rendent biodisponible pour l’heureux phytoplancton qui se trouve en surface. Chaque kg de fer réintroduit vers la surface par les cachalots permet la naissance de centaines de kg de plancton. On estime ainsi que les cachalots de l’Antarctique permettent de capturer directement 2 fois plus de carbone que tout ce qu’ils émettent dans leur vie. Ce phénomène aurait pu être dix fois plus important si l'espèce n'avait pas été pourchassée durant deux siècles. On peut en effet estimer qu’une reconstitution d’une population d’un million de cachalots, soit le même nombre approximatif d’avant leur extermination par l’Homme, pourrait permettre de capter chaque année plusieurs millions de tonnes de CO2 supplémentaires. Tu l’as compris avec les exemples que l’on vient de détailler, les comportements surprenants de vas et viens de certaines espèces marines entre la surface et les profondeurs, sont essentiels au maintien de la vie dans les océans, et par conséquent au maintien d’un climat supportable pour notre planète, et en particulier pour nous, les humains. Encore récemment, des chercheurs présentaient des preuves scientifiques démontrant que la protection et la restauration des animaux sauvages peuvent améliorer le captage et le stockage naturel du carbone. Ils appellent à inclurent la restauration et la conservation des animaux et de leurs rôles dans les écosystèmes en tant qu’élément clé des solutions climatiques naturelles susceptibles d’empêcher un réchauffement climatique au-delà de 1,5 °C. Si je suis d’accord évidemment avec leurs conclusions, je rappelle que nous ne devons absolument pas compter sur ces espèces océaniques pour faire le travail à notre place. Car les chercheurs le précisent bien, si ces espèces animales sont des alliés précieux dans la lutte contre le réchauffement du climat, le rapport du GIEC souligne avec insistance l’importance de réduire nos propres émissions de CO2. Il faudrait en France par exemple, les réduire de 85% d’ici 2050 pour se maintenir sous la barre des +1,5 degrés.
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A la mort d’un éléphanteaux, les éléphants d’Asie organiseraient des funérailles et enterreraient le défunt. Les amis si vous êtes sensibles, les images et vidéos qui vont suivre pourraient vous heurter. Selon une étude indienne(1) parue début 2024, les corps des éléphanteaux étaient placés dans une tombe systématiquement dans la même position, indiquant que ces éléphants pratiquent des rituels plus complexes que documentés jusqu’à aujourd’hui. (1) Parveen Kaswan & Akashdeep Roy (2024) Unearthing calf burials among Asian Elephants Elephas maximus Linnaeus, 1758 (Mammalia: Proboscidea: Elephantidae) in northern Bengal, India. Journal of Threatened Taxa 16(2): 24615–24629 Cette découverte fait beaucoup parler d’elle depuis sa parution fin février. On pouvait y lire que deux chercheurs indiens avaient observé les comportements des éléphants d’Asie et plus particulièrement les rituels de funérailles qui suivent le décès d’un jeune. A l’instar de cette photo, où on peut apercevoir un troupeau d'éléphants d'Asie s'avancer dans une plantation de thé tout en transportant un petit décédé, soulevé par la trompe.
Bien que l’on n’ait pas d’observation directe, il semblerait que l’éléphanteau soit ensuite enterré par ses congénères. Le corps est déposé avec attention dans un trou avant d'être recouvert de terre. Le petit pachyderme est placé sur le dos, seules dépassent ses quatre pattes qui, comme la trompe, pointes vers le ciel. Une position que deux scientifiques indiens ont observée dans chacune des cinq tombes qu'ils ont étudiés dans la zone. Autour des tombes, ils ont identifié des empreintes de pas et des excréments de différentes tailles, ce qui indique que des membres de tous âge ont contribué à chaque enterrement. Selon les observateurs locaux, la famille endeuillée pousse alors de fortes vocalisations après avoir terminé son funeste travail, durant parfois 30 à 40 minutes, avant que le troupeau ne quitte la zone. Comme leurs cousins africains, les éléphants d’Asie sont bien connus pour leur comportements sociaux et coopératifs. Pour les éléphants africains, l'enterrement de petits avaient déjà fait l’objet de descriptions bien que fort courtes, qui suggèrent qu’ils recouvraient leurs morts avec des branches et des feuilles, avant de rester de longs moments auprès de leur proche décédé. Quelques vidéos sont disponibles pour témoigner de comportements de deuil chez les éléphants d’Asie. Dans l’une de celles-ci une femelle adulte – probablement la mère – porte le corps d’un petit et traverse une route en compagnie de sa troupe, et devant les habitants abasourdis. D'après l'état de décomposition du cadavre, il semble que ce comportement de deuil ait duré des jours voire des semaines. Nous n’avons cependant aucune vidéo claire pouvant témoigner que les éléphants enterrent bien l’éléphanteau décédé. Oui car plusieurs problèmes se posent : ces décès prématurés ne sont pas courants et donc difficiles à observer. De plus, l’enterrement ne dure jamais longtemps, ce qui complique encore la tâche des chercheurs qui doivent arriver à temps sur place. Et enfin, approcher un tel rituel serait fort risqué, compte tenu de la présence des adultes et sans doute, de leur indisposition à laisser les curieux approcher, fussent-ils scientifiques. Cette étude est donc la première à documenter des enterrements d'éléphants d'Asie et surtout à mettre en lumière que ces animaux utilisent de la terre lors de leurs funérailles. Les chercheurs démontrent aussi que les corps ne sont pas positionnés au hasard. Autant d’observations qui soulignent un peu plus encore la sensibilité, le comportement émotionnel et l'intelligence sociale de ces grands herbivores. Les insectes sont les animaux les plus diversifiés du règne animal. Sur 10 espèces décrites par l’Homme, 9 sont des insectes. Cependant, une ombre s'abat sur cette incroyable diversité, et depuis une quinzaine d'années, les rapports se succèdent, laissant un constat indéniable : les insectes disparaissent ! Nous faisons face à un déclin généralisé des populations d’insectes. Tant dans leur nombre, que leur diversité. Tous les ordres principaux d’insectes sont touchés, papillons, mouches, scarabées, abeilles… Nous sommes les témoins d’une extinction qui a lieu en direct devant nos yeux, et dont nous sommes responsables. Alors oui bien sûr on se doutait depuis un moment qu’ils étaient moins nombreux. Si vous conduisiez déjà une voiture au 20ème siècle, vous savez que votre pare-brise est beaucoup moins couvert d’insectes morts aujourd’hui, qu’il y a 30 ans. Depuis longtemps la science a bien documenté la disparition des pollinisateurs. Mais les données obtenues au cours des dernières années étonnent à la fois les scientifiques et le grand public, à cause de l’étendue et de la gravité de la disparition de tous les insectes. Dans ce article, je vais explorer avec toi les sombres secrets du déclin des insectes. Je vais te démontrer qu’ils sont de moins en moins nombreux et de moins en moins diversifiés. Je vais aussi te parler des causes de leur disparition et donc des solutions à apporter. Car le destin des insectes est intimement lié au nôtre, et l'avenir de notre planète dépend de notre capacité à agir maintenant. Contexte Nous connaissons une grave crise de la biodiversité, et aujourd’hui je ne vous parlerai que des insectes. Les archives fossiles, qui remontent à plusieurs centaines de millions d’années suggèrent que ce n’est pas la première fois dans l’histoire de la vie sur Terre que la classe des insectes subit un déclin important. Dans ces archives géo-biologiques on peut lire qu’il y a déjà eu des extinctions massives d'insectes dans le passé, mais que celles-ci ont été causées par des phénomènes naturels tels que des activités volcaniques ou des impacts de météores. C’est ainsi par exemple que l’extinction du Permien-Trias, qui date d’il y a 250 millions d’années, a conduit à la plus grande extinction d’insectes que la terre ait connue. Des populations d’insectes qui se sont ensuite re construites, mais attention, je vous parle d’évènements qui ont duré des millions d’années. « Haaaa mais alors il n’y a pas de problème, elles vont s’en remettre tes petites bêtes ». Non, ici c’est pas pareil. Car l’extinction actuelle des insectes, elle est causée par l’Homme, et elle est fulgurante ! Comme je vous le disais en introduction, l’inquiétude concernant une extinction d’origine humaine s’est accrue depuis la fin du 20e siècle, bien qu’une grande partie des premières inquiétudes ne se soient pas concentrées sur les insectes. Au siècle dernier on a abondamment documenté la disparition des oiseaux, des chauves-souris, ou des grands mammifères terrestres, mais on n’a pas vraiment donné beaucoup d’attention aux insectes. Une raison en est le manque d'espèces d'insectes très charismatiques. C’est plus facile de recevoir des sous pour étudier la disparition des orang-outans ou des rhinocéros blancs, que l’Eupithécie du Cyprès. Vous voyez ce que je veux dire. Le déclin de la biodiversité Dans les années 2010, de nombreux rapports ont fait état d'un déclin généralisé des insectes. Ce déclin, il faut le voir à deux niveaux : d’un côté il y a l’abondance – ou simplement le nombre d’insectes sur un territoire donné, et de l’autre il y a la diversité des insectes. Je vais te parler du déclin de l’abondance des insectes dans un instant, mais avant je veux clarifier cette idée de diversité. La diversité spécifique, c’est le nombre d’espèces que l’on retrouve sur un territoire donné. Et ce n’est pas la même chose que l’abondance, même si souvent les deux sont liés. Prenons un exemple : imagine deux jardins. Dans le premier jardin, on laisse la nature se développer, il y a un tas de bois, des haies, des arbres, des hautes herbes. L’autre est juste composé d’un gazon bien tondu à ras, à l’exception d’un petit coin où des choux ont été plantés. Dans notre jardin sauvage, on retrouve des dizaines d’espèces d’insectes, dans le bois, sur les fleurs, dans le sol. La diversité spécifique y est importante. Dans le jardin tondu, il n’y a pas un chat, à l’exception d’une population de pucerons qui se multiplie sur les choux, sans aucun contrôle naturel. Les pucerons sont des milliers sur les choux. La diversité est faible (une seule espèce d’insecte) mais l’abondance est aussi très importante. Depuis plusieurs années, les chercheurs tirent la sonnette d’alarme à propos de la perte de biodiversité d’insectes. Lorsque l’on observe les pollinisateurs, on constate que le nombre d’abeilles différentes est bien plus faible que dans le passé. Il y a 15 ans lorsqu’avec mon équipe, nous étudions la diversité des coccinelles dans les terres agricoles, nous pouvions observer sur une journée plus de 10 espèces différentes de coccinelles. Aujourd’hui, quand on en trouve 3, on peut s’estimer heureux. Peut-être vous rappelez vous de la coccinelle à deux points. J’ai à la maison quantité de livres où elle est joliment illustrée. Pourtant aujourd’hui, mes filles et moi peinons à observer cette petite coccinelle à l’extérieur. En revanche, les coccinelles asiatiques ou les coccinelles à 7 points sont présentes et très abondantes dans le Nord de la France et en Belgique. On n’a pas perdu en nombre de coccinelles, on a perdu en diversité. Dans son rapport annuel de 2012, la société zoologique de Londre a suggéré que la diversité d'insectes est en déclin à l'échelle mondiale. Toujours selon cette société savante, environ 20% de toutes les espèces d’invertébrés (donc les insectes mais aussi les vers ou les limaces) 20% seraient menacées d'extinction, une menace qui toucherait principalement les espèces les plus petites et les moins mobiles. Le déclin de la quantité Mais l’étude qui a réellement fait grand bruit dans la presse du monde entier, c’est un travail allemand, qui date de 2017. D’ailleurs suite à ce travail, certains collègues étrangers n’ont pas hésité à parler d’Apocalypse, ou d’Armageddon écologique. Cette recherche allemande est basée sur le travail de dizaines d'entomologistes. En Allemagne, ces spécialistes des insectes ont compté et identifié les insectes au sein de zones protégées et à l’aide de méthodes scientifiques très robustes. Ils ont utilisé des tentes spéciales appelées pièges malaise et ont pu ainsi dénombrer les insectes volants dans 63 réserves naturelles. Une donnée leur a tout de suite semblé étonnante… Ils ont constaté qu’ils capturaient bien moins d’insectes qu’avant. Et plus particulièrement de poids total des insectes collectés. En moyenne 76 % de moins par rapport aux inventaires d’il y a 27 ans, et même 82 % de moins pour la période estivale, c’est-à-dire lorsque le nombre d'insectes devrait être à son apogée. Le travail démontre que chaque année, on perd 5 % des insectes volants dans ces réserves naturelles. Ce n’est donc pas du tout comparable à ce qui s’est produit lors de l’extinction du Permien-Trias d’il y a 250 millions d’années, qui elle s’est produite graduellement sur plusieurs millions d’années. Cette étude allemande a fait grand bruit, car les rapports précédents sur le déclin des insectes se limitaient à des insectes particuliers, tels que les papillons des prairies européennes. Cette recherche-ci était plus large, puisqu’elle s’intéressait à tous les insectes volants, y compris les guêpes et les mouches, qui sont rarement étudiés. Et le fait que les échantillons aient été prélevés dans des zones protégées rend les résultats encore plus inquiétants. Ces zones sont des réserves naturelles bien gérées, la biodiversité devrait donc s’y épanouir. Pourtant, malgré les efforts de protection, ce n’est pas le cas, et un déclin spectaculaire par son ampleur et sa rapidité s’est produit. Ce qui a fait dire au célèbre écologue Dave Goulson en 2017 dans une interview au Gardian : « Les humains transforment de vastes étendues de terre en zones inhospitalières à la plupart des formes de vie, et nous sommes actuellement sur la bonne voie pour un Armageddon écologique. » Quelques nuances à apporter Alors à ce stade, permets-moi d’apporter quelques nuances à ce tableau fort sombre, j’en conviens.
Conséquences de toutes ces nuances, et bien en 2019, la société américaine d’entomologie a déclaré qu'il n'y avait pas encore suffisamment de données pour prédire une extinction massive, généralisée et imminente des insectes et que certaines des prédictions qui ont été faite quelques années auparavant pourraient « avoir été légèrement exagérées ». Les causes du déclin Vous l’avez compris, globalement, on connait un déclin de la diversité et de l’abondance des insectes. Mais quelles sont les causes de ce déclin ? Les causes du déclin des populations d'insectes sont similaires à celles qui entraînent la perte d'autres formes de biodiversité. Il y a tout d’abord la destruction de l’habitat. Un insecte a besoin d’abris et de nourriture. Convertir des terres sauvages en terrain agricole, c’est supprimer les plantes et les abris des insectes, qui ne peuvent donc plus survivre. D’ailleurs la conversion de terre à l’agriculture intensive est considérée comme la première cause de la disparition des insectes. Mais cela passe aussi simplement par la suppression d’un arbre mort ou par le remplacement d’un bout de prairie par un gazon finement taillé, dans tous les cas tu fais la même chose : tu supprime le gîte et le couvert des insectes, qui doivent donc disparaitre. En seconde position je place la pollution de l’environnement. Les humains répandent quantité de poisons, et d’insecticides en particulier, dans leur environnement. Ces produits on les applique sur les plantes que l’on cultive, mais ils persistent dans nos sol, se retrouvent dans nos plantes sauvages, dans l’air, dans l’eau. Ils peuvent avoir des effets néfastes sur les insectes non ciblés, les tuant directement ou perturbant leur comportement ou leur reproduction. Par exemple en 2012 on démontrait que les colonies de bourdons ne se développaient pas correctement ou que des abeilles intoxiquées pollinisaient des plantes qu’habituellement elles évitent Troisième cause, les changements climatiques qui impactent aussi négativement la biodiversité d’insectes. L'augmentation des températures, les précipitations irrégulières et les événements météorologiques extrêmes affectent les habitats des insectes et perturbent leurs cycles de vie. Quatre, les espèces invasives. L'introduction d'espèces exotiques dans de nouveaux environnements peut perturber les écosystèmes indigènes et entraîner la compétition pour les ressources alimentaires et les sites de reproduction. Les espèces invasives peuvent également propager des maladies ou des parasites qui affectent les populations d'insectes indigènes. Et il y a encore d’autres causes comme la pollution lumineuse, la fragmentation génétique ou la dégradation de la qualité des aliments des insectes, mais restons-en-là si tu veux bien. Le déclin des populations d'insectes affecte les écosystèmes et les autres populations animales, y compris les humains. Les insectes vous devez les voir non pas comme des indésirables, mais comme la base structurelle et fonctionnelle de très nombreux écosystèmes mondiaux. Sans eux, rien ne fonctionne. Ils sont la dalle de béton sur laquelle tu construis ta maison. Ils sont la base du château de carte. Je sais que ca parait fou, mais c’est réellement le cas. Une étude mondiale réalisée en 2019 a averti que, si ce déclin n'était pas atténué par des mesures décisives, il aurait un impact catastrophique sur les écosystèmes de la planète. Quantités de plantes ne peuvent se passer d’eux. Les oiseaux et les grands mammifères qui se nourrissent d'insectes peuvent être aussi directement touchés par ce déclin. Le déclin des populations d'insectes c’est aussi moins de déchets biologiques recyclés. Et j’en passe ! On fait quoi ? Alors on fait quoi tu me demanderas ? Et bien on reprend la liste de toutes les causes du déclin de la biodiversité et on lutte contre. On restaure les habitats, on réduit les polluants, les espèces invasives et le changement climatique. Je ne vais pas vous dire comment faire tout cela car la vidéo est déjà fort longue. Mais il faut reconnaitre que certains gouvernements de pays européens ont introduit des mesures de conservation pour aider les insectes. Des mesures visant à promouvoir leurs habitats, la réduction de l'utilisation de pesticides, de la pollution lumineuse et des polluants dans le sol et l'eau. En revanche j’en profite pour vous parler des hôtels à insectes parce qu’on me demande souvent si en installer un permet de sauver la biodiversité. Il y a quelques années je prenais cette photographie au niveau d’une station essence localisée près de chez moi. Et je faisais l’analogie suivante : Construire un hôtel de luxe au milieu d’une zone désertique ne fera pas venir les touristes s’il n’y a aucun restaurant ou aucune activité touristique a réaliser. Il en est de même pour les hôtels à insectes. Les hôtels à insectes stimulent la biodiversité, mais ils ne la créent pas. En plus de lutter contre les causes du déclin, je plaide pour promouvoir la recherche. L'une des raisons pour lesquelles les études sur le déclin des insectes sont limitées est que l'entomologie est elle-même en déclin. Lors du congrès d'entomologie de 2019, le chercheurs Jürgen Gross a déclaré que « nous, les entomologistes, nous sommes nous-mêmes une espèce en voie de disparition ». Et les cours de biologie à l’école ou à l'université accordent moins d'attention aux insectes qu’à d’autres groupes d’animaux. Et ce problème de recherche insuffisante est encore plus aigu dans les pays en développement. Aujourd’hui, presque toutes les études sur le déclin des insectes proviennent d'Europe et des États-Unis, alors que ces deux régions ne représentent pas plus de 20 % des espèces d'insectes dans le monde. Ce que vous voyez là, c’est une portée de bébés Siphonops, tout roses et glabres, qui se blottissent contre leur mère. Nous sommes au milieu de la nuit, dans une forêt tropicale humide, pas loin du bord de mer. Ces bébés, ils remuent et couinent pour avoir du lait, ce que leur mère leur sert rapidement, jusqu’à ce qu’ils soient rassasiés. Mais ce ne sont ni des chiots ni des chatons. Ce sont des amphibiens serpentiformes, bien plus proches donc des grenouilles que de nos amis à quatre pattes.
Et c’est en cela que cette étude publiée la semaine fait grand bruit. Parue dans la prestigieuse revue Science, elle démontre, pour la première fois que des amphibiens, nourrissent leurs petits avec du lait, exactement comme le font tous les mammifères. Avec ses collègues, l'herpétologue Carlos Jared de São Paulo étudie ces animaux excentriques depuis des années. Dans des études précédentes, l'équipe a remarqué que les nouveau-nés des Siphonops annelés, qui vivent leurs deux premiers mois hors de l'œuf sous la garde de leur mère, passaient une grande partie de leur temps autour de l'extrémité du corps de celle-ci. Dans le cadre de ce nouveau travail, l'équipe a collecté au Brésil 16 femelles et leurs portées respectives et les a observés au laboratoire. Là, les chercheurs ont enregistré les interactions des amphibiens, accumulant plus de 240 heures de séquences vidéo. L’équipe a ainsi pu enregistrer 36 tétées, au cours desquelles les bébés se tortillaient et gigottaient autour de leur mère tout en émettant des bruits très aigus. Résultat, la maman soulevait alors cette extrémité de son corps et libérait le précieux liquide. Cela se produisait jusqu’à six fois par jour et semblait être une réponse aux cris des bébés. Cette sorte de « lait » est produit au sein de leur appareil reproducteur. L’équipe a d’ailleurs examiné l’anatomie interne de certaines femelles adultes et analysé la composition nutritionnelle et biochimique du liquide nutritionnel. Il est sécrété par les glandes de l’oviducte de la mère qui grossissent lors de la croissance de ses nouveau-nés. Il est également riche en graisses, un peu comme le lait des mammifères. Cette ressource nutritive peut aider à expliquer comment les nouveau-nés grandissent si rapidement - augmentant leur masse jusqu'à 130 pour cent au cours de la première semaine alors qu’ils ne s’éloignent jamais de leur mère. Les chercheurs à présent se demandent s’il existe des conflits entre frères et sœurs pour l'accès au lait et comment cette compétition pourrait se dérouler. Ils se demandent aussi si cette production de lait affecte la maman. Car chez les mammifères, la lactation est une période très coûteuse en énergie. Notons qu’en dehors des mammifères et de certains de ces amphibiens, on trouve des productions de lait chez certaines araignées, poissons, blattes et oiseaux. Cette découverte sur un amphibien suggère que l’évolution des soins parentaux dans la vie animale est plus complexe et diversifiée qu’on ne le pensait. Si je t’avais demandé de me citer un animal migrateur, sans doute aurais tu d’abord pensé à un oiseau. Je me trompe ? Qu’il soit un petit passereau, une oie, une cigogne ou un manchot, tous sont des exemples bien connus pour les longs voyages migratoires qu’ils réalisent annuellement. Mais les oiseaux ne sont pas les seuls à migrer chaque année. On peut citer des mammifères comme des baleines ou des rennes, des poissons comme les saumons, des amphibiens ou encore des tortues. Et je veux bien mettre ma main au feu que personne n’aurait pensé d’emblée à un insecte migrateur. Ils sont en effet beaucoup moins célèbres que les oiseaux pour leurs migrations, et pourtant de nombreux insectes mériteraient toute notre admiration. J’aurais pu te parler des criquets pèlerins ou des libellules, mais j’ai préféré te décrire le voyage incroyable entrepris par les monarques (Danaus plexippus L.). Et donc dans cette vidéo, je te propose de plonger ensemble dans la fantastique épopée que ce papillon vit chaque année lors de son étonnante migration, un voyage épique qui le mène du Canada jusqu'aux forêts mexicaines. Prépare-toi, je te garantis que tu seras émerveillé par la détermination du papillon monarque.
Les animaux migrent pour différentes raisons qui sont systématiquement liées à leur survie. La principale motivation des espèces migratrices est la recherche de nourriture : ces animaux changent de régions pour se rendre là où leur nourriture est plus abondante, que ce soient des plantes ou des proies. Mais ils peuvent aussi se mettre en recherche d’une zone de reproduction, comme des aires de nidification pour les oiseaux ou des zones de frai pour les poissons. Les migrations peuvent aussi être motivées par les changements saisonniers, et dans ce cas les animaux migrent pour éviter les hivers rigoureux ou les étés trop chauds. Ils migrent aussi parfois pour éviter leurs prédateurs ou éviter la compétition avec d'autres espèces. Et souvent la migration est motivée par plusieurs de ces raisons simultanément. Je te ping d’ailleurs là-haut une vidéo fascinante sur les lemmings, dont les migrations sont très dangereuses. Mais j’en reviens au monarque. Ce magnifique papillon mesure une dizaine de centimètres et ne pèse pas plus d’un demi-gramme. Ses ailes arborent fièrement leurs colorations vives qui tranchent habituellement avec son environnement, puisqu’elles sont colorées de nuances de rouge, d’orange et de jaune, et sont ponctuées de taches claires et tranchées par d’épaisses nervures sombres. Si habituellement les insectes tentent de passer inaperçus aux yeux de leurs prédateurs, la stratégie choisie par le monarque est tout opposée. Ses couleurs franches informent les oiseaux de son mauvais gout. Il faut donc voir ces couleurs comme un signal qui clignote et qui dit « ne me mange pas ou tu le regretteras ». Le monarque n’est pas toxique de naissance. Il acquière son poison interne en consommant des plantes bien particulières alors qu’il n’est qu’une chenille : les asclépiades. Les feuilles de ces végétaux ne sont pas simplement nutritives, elles contiennent aussi des cardénolides. Ces molécules neurotoxiques sont fabriquées par la plante pour se protéger contre les insectes qui tentent d’en manger les feuilles. Habituellement, cela agit relativement bien : une fois ingérées, ces toxines tuent les insectes en empêchant leur système nerveux de fonctionner correctement, ce qui le conduit à une mort rapide. Mais ce n’est pas le cas pour les chenilles du monarque qui ont réussi à contourner cette stratégie de défense : au lieu de digérer ces produits dangereux, les chenilles les absorbent puis les séquestrent dans leur corps, avant qu’ils ne puissent leur être néfastes. Les poisons sont accumulés puis conservés dans le corps du papillon, une fois que la chenille a effectué sa métamorphose. Les nombreuses espèces d’oiseaux insectivores ont appris à éviter les papillons monarques. Bien sûr ils ont gouté un de ces insectes au début de leur vie. Mais leur gout amer leur a causé des vomissements si désagréables qu’il est hors de question d’y gouter à nouveau. Les oiseaux ont donc associé cette mauvaise expérience culinaire aux colorations orangées prononcées du papillon, et évitent de consommer tout ce qui y ressemble. On parle d’aposématisme. Cette stratégie consiste pour un animal à envoyer un signal clair à ses prédateurs pour les avertir de son mauvais gout. Ce signal est, le plus souvent, une coloration vive qui tranche avec l’environnement. Mais revenons à la migration des monarques : ces papillons n’ont pas seulement trouvé un moyen de se défendre contre leurs prédateurs, ils ont également trouvé comment survivre à la rudesse de l’hiver canadien. A l’instar des oiseaux migrateurs, ils ont choisi de fuir vers des terres plus hospitalières. Et l’heure du grand voyage se rapproche à mesure que les jours raccourcissent et que les températures baissent. A l’automne, les monarques quittent donc leur terre natale pour entreprendre le plus long voyage de leur vie : de quatre à cinq mille kilomètres en direction du Sud et deux mois de vol pour les emmener jusqu’au Mexique, leur terre promise … leur terre d’hivernage. Pour traverser les États-Unis, ils doivent faire défiler sous leurs ailes cinquante kilomètres chaque jour. Leur destination se trouve au cœur des forêts d’Oyamels, localisées dans les régions montagneuses de l’état du Michoacán, au centre du pays. Pour être totalement exacte, quelques populations de monarques, localisées à l’extrême Ouest et l’extrême Est du continent Nord-Américain, rejoignent plutôt la Californie ou la Floride pour passer l’hiver. Mais dans tous les cas, ils peuvent compter sur le soleil pour s’orienter, ainsi que sur une boussole interne qui leur permet de percevoir le champ magnétique de la Terre et de garder le Sud en ligne de mire. Après deux mois de voyage, les papillons arrivent sur place. Ils se rassemblent sur une poignée d’hectares de forêt. Ces forêts d’Oyamels sont la destination parfaite : ils n’y sont pas exposés au gel qu’ils auraient subi dans leur aire native au Canada. Mais il n’y fait pas non plus trop chaud. Au contraire, c’est important qu’il y fasse un peu froid, suffisamment en tout cas que pour allonger leur espérance de vie, suffisamment longtemps pour tenir jusqu’à la fin de l’hiver. Ça peut paraitre étrange je le reconnais, mais chez les insectes, le froid ralenti le métabolisme et donc la consommation de ressources, et donc l’espérance de vie. Dans ces forêts d’Oyamels, de très imposants conifères les attendent. Ces arbres poussent à l'état naturel sur les versants élevés et exposés à l'humidité au sein des montagnes mexicaines. Chacun d’eux accueille des milliers, voire des millions de monarques en provenance du Nord du continent. Les papillons sont parfois si nombreux que l’écorce des troncs est à peine visible et qu'il est possible de les entendre voler. Les papillons affectionnent particulièrement ces arbres là car leur tronc agirait comme un tampon de température, dégageant de la chaleur pendant la nuit, mais étant plus froid que l'air ambiant pendant la journée. Ces arbres sont donc essentiels à la survie des monarques, si bien que la réserve naturelle qui accueille les Oyamels et les monarques au Mexique est aujourd’hui classée « patrimoine mondial » par l’UNESCO. Épuisés par leur voyage et poussés par la fraicheur du climat local, les monarques entrent en diapause : un état de dormance qui va durer trois mois et pendant lequel leurs fonctions vitales tournent au ralenti. Ils accumulent et stockent des lipides, des protéines et des glucides. Les lipides empêchent le dessèchement de l’insecte, mais surtout ils fournissent des réserves d'énergie, qui sont utilisées comme carburant pour maintenir l’insecte en vie tout au long de sa diapause et jusqu’à ce que les jours se rallongent à nouveau. Peu avant le début du printemps, ils se réveillent et s’apprêtent à reprendre la route pour retourner au Canada. Malheureusement, il leur sera impossible de réaliser à nouveau l’exploit d’un si long périple. C’est ainsi qu’en cours de route, quelque part sur le territoire américain, ils se posent et jettent l’éponge. Mais pas avant de s’être assuré que leur descendance poursuivra l’aventure. Ils s’accouplent donc et déposent leurs œufs sur des asclépiades. Quelques jours plus tard, les chenilles devenues papillons poursuivent le voyage, puis abandonnent à leur tour en chemin et se choisissent de nouvelles asclépiades pour s’accoupler et déposer de nouveaux œufs. C’est ainsi que jusqu’à quatre générations de papillons doivent ainsi se succéder pour rejoindre le Canada, aux alentours du mois de juin. Quelques mois plus tard, le cycle recommence et le grand voyage doit être à nouveau réalisé. Les populations de monarques sont en déclin depuis plusieurs années : proche du milliard d’individus en 1997, les papillons n’auraient été que cinquante millions en 2015. Aujourd’hui, ils n’occupent que quelques hectares de forêt d’Oyamel, contre cinquante hectares à la fin des années 80. Les causes semblent multiples. Le monde scientifique s’accorde pour pointer du doigt les changements climatiques (qui dérèglent les conditions météorologiques sur le site d’hivernage) ainsi que l’usage d’herbicides à base de glyphosate aux États-Unis, qui fait disparaître l’asclépiade, plante essentielle à la multiplication des monarques durant leur voyage de retour. |
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Septembre 2024
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