On a coutume de dire que les éléphants sont dotés d’une excellente mémoire et d’une intelligence remarquable. Et j'ai envie de faire le point sur cette affirmation à l’aide des résultats de plusieurs études sorties très récemment. Première chose, il existe non pas UNE espèce d’éléphants mais … TROIS espèces d’éléphants. Dans le genre Elephas on ne retrouve qu’une seule espèce : l’éléphant d’Asie. Et dans le genre Loxodonta on retrouve les deux espèces africaines : l'éléphant de savane d'Afrique et l'éléphant de forêt d'Afrique. Mais qu’ils vivent en Asie ou en Afrique, ils sont TOUS très sociaux. Ils vivent au sein de troupeaux, avec à leur tête une matriarche, une femelle plus âgée généralement mère ou grand-mère des autres femelles du clan. Une étude vient de démontrer qu’ils reconnaissent jusqu'à 30 congénères, grâce à leurs yeux mais aussi grâce aux odeurs de chacun. Ils se souviennent fort bien des membres de leur groupe, et cela pendant des années. En guise d’illustration il y a l’histoire de Shirley et Jenny, deux éléphantes qui se sont retrouvées 20 ans après avoir brièvement travaillé ensemble dans un cirque. Et leurs réjouissances ont été filmées, et font vraiment plaisir à voir. Pouvoir se reconnaitre et créer des liens aide beaucoup les éléphants à garder leur groupe uni, notamment à l’occasion de leur migration. Et cela leur permet aussi de se rappeler des mauvaises rencontres qu’ils auraient faites avec d’autres communautés d’éléphants. Oui car on va le voir, l’éléphant est rancunier. La reconnaissance ne se limite pas à leurs congénères. Les éléphants reconnaissent des humains avec lesquels ils avaient autrefois créé des liens, parfois des décennies plus tôt. Des chercheurs viennent de démontrer qu’ils font la différence entre homme et femme et qu’ils peuvent même évaluer l’âge d’une personne et deviner à quelle ethnie elle appartient. Ils utiliseraient pour cela des combinaisons de sons, de couleurs et d’odeurs corporelles qu’ils ont appris à reconnaitre. Conséquences de cela, on a documenté de magnifiques liens entre éléphants et soigneurs, mais aussi des attaques de villages humains juste après un braconnage massif. Et il y a aussi cette histoire d’une éléphante, habituellement pacifique avec les humains, mais qui a attaqué à mort un berger Massaï, une ethnie dont les membres l’ont persécutée plusieurs années plus tôt. Les éléphants ont une excellente mémoire, mais ils sont bien plus que de simples disques durs sur pattes. Ils sont très intelligents, et peuvent même se vanter d'avoir l’un des meilleurs quotient encéphalique. Il s’agit de la taille du cerveau relativement à ce qui est attendu pour un animal de cette taille. Si bien que le quotient encéphalique de l’éléphant est comparable à celui du chimpanzé. Grâce à ce gros cerveau, les éléphants qui ont survécu à une sécheresse dans leur jeunesse en reconnaissent les signes avant-coureurs à l'âge adulte. Autre exemple : l’année passée, une étude démontrait qu’un clan avec à sa tête une vieille matriarche a plus de chances de survie, car tous les membres profitent des souvenirs et de l’expérience acquise par celle-ci. Dans une autre étude, datant de 2023 cette fois, des casse-têtes suspendus aux arbres ont été proposés à différents éléphants. Il s’agissait de petites boites en métal, qui comportaient une ou plusieurs petites portes que l’éléphant devait faire coulisser en appuyant dessus à l’aide de sa trompe, mais dans le bon ordre et dans le bon sens s’il voulait accéder aux friandises qu’elles contenaient. Après des jours d’observations, les chercheurs ont finalement démontré que tous étaient capables de résoudre les casse-têtes, mais que si certains n’y parvenait pas c’était par manque de persévérance, ils abandonnaient trop vite. Mieux, ils ont aussi démontré qu’un éléphant qui était un jour parvenu à résoudre le casse-tête, se souvenait de la solution, et pouvait donc rouvrir les boites rapidement, même plusieurs jours après. Les éléphants maitrisent aussi l'arithmétique de base, avec un niveau comparable à celui d’un enfant en début d’école primaire. Dans une étude, on leur a présenté plusieurs paniers contenant des fruits, 3, 4, 5 parfois plus. Chaque panier n’avait pas le même nombre de fruits. Face aux éléphants, les chercheurs en ont ajouté ou retiré quelques-uns et les pachydermes ont pu faire les additions ou les soustractions et choisir les paniers qui étaient les plus richement garnis. Ils ont aussi été capables de compter les fruits ajoutés dans un panier qu’ils ne voient pas directement, ce qui faisait appel à leur mémoire en plus de leur facultés de calcul. Vous en voulez plus ? Les éléphants communiquent entre eux en utilisant une large palette des signes corporels et de grondements, ce qui fait dire aux spécialistes qu’ils disposent d’un langage qui suit des règles grammaticales très élaborées. Récemment, des chercheurs ont disposé des caméras et des micros non loin de clans d’éléphants, et ils se sont rendu compte qu’ils se donnaient des prénoms : chaque membres du clan avait droit à son barrissement personnalisé quand un membre s’adressait à lui. Et donc oui, les éléphants reconnaissent leur prénom. Par exemple, si la matriarche demande à une de ses filles de venir auprès d’elle, et bien les autres membres du clan ne vont pas réagir à cet appel, qui ne leur est pas destiné. J’ai fait une vidéo YouTube sur ce thème pour ceux que cela intéresse. Ces chercheurs américains ont aussi démontré qu’un éléphant va réagir plus rapidement ou avec plus d’entrain en entendant son « prénom » si celui ou celle qui l’appelle occupe une place importante dans son cœur. Parmi les capacités les plus incroyables des éléphants il y a sans doute leur sens de l'empathie, de l'altruisme et de la justice. Car malheureusement, leur intelligence les force aussi à souffrir. Résultat, les éléphants font partie du club très fermés des espèces animales qui pleurent leurs morts, avec les primates ou les orques par exemple. L’année dernière, une publication scientifique a fait énormément de bruit. Des chercheurs indiens ont pu localiser et décrire 5 tombes d’éléphants. Ils démontraient la complexité de leurs rituels funéraires, qui impliquait le choix réfléchi de l’emplacement des tombes, et surtout une méthodologie régulière lors de l’enterrement des défunts, qui étaient systématiquement à moitié enterré, pattes dirigées vers le ciel. Et les participants aux rituels funéraires ont poussé de longs barrissements spécifiques durant plusieurs heures. Enfin, les éléphants ont un sens profond de l’empathie envers les leurs, mais aussi envers d’autres espèces animales. Et ça c’est très très très rare. Par exemple un éléphant en plein travail a refusé d’installer un rondin dans un trou où un chien dormait. Un autre a monté la garde aux côtés d’humains blessés en prodiguant des gestes réconfortant avec leur trompe. Lorsque nous considérons toutes ces études, auxquelles j’aurais pu ajouter une plus ancienne qui démontre que l'éléphant fait partie du club des rares espèces qui se reconnaissent dans un miroir, et bien il est difficile d'échapper à la conclusion que ce sont des êtres conscients, intelligents, capables d’émotions et doté d’une excellente mémoire. Malheureusement, le traitement que les humains leur infligent ne reflète pas cette conclusion, tant ces animaux continuent de souffrir de la destruction de leur habitat en Asie, du braconnage pour l'ivoire en Afrique, et de mauvais traitements en captivité dans le monde entier. Étant donné ce que nous savons aujourd’hui à leur propos, il est plus important que jamais que nous protégions celui que le poète John Donne appelait le « grand chef-d'œuvre de la nature ».
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Si l’amour est le plus grand mystère de la vie, le deuxième plus grand mystère est peut-être de savoir si les humains sont les seuls à tomber amoureux. Il y a 15 jours je vous ai fait une chronique pour vous démontrer que les animaux ont de la personnalité. Mais éprouvent-ils des sentiments amoureux ? Alors pour vous répondre je vais vous parler aujourd’hui d’albatros, de manchots, de campagnols, et de pandas. Et j’aurai bien besoin de tout ce petit monde parce que la question est complexe. Complexe parce qu’il faut déjà définir ce qu’est l’amour ! Pas évident n’est-ce pas ? Car sur la simple définition de l’amour, les humains et leurs dictionnaires ne sont déjà pas tous d’accord ! J’aime bien l’approche de la psychologue américaine Bianca Acevedo (‘achevedo’) : elle explique que chez l’humain il existe différentes formes d’amour. On va pas toutes les voir, mais il y a par exemple l’amour passionné, qu’elle décrit comme le désir intense d’union avec une autre personne ; mais il y a aussi l’amour qu’elle qualifie de compagnie : celui que nous ressentons à l’égard d’un frère, d’un enfant, d’un ami cher, voire même parfois d’un animal de compagnie. Le règne animal regorge d’exemples d’amour de compagnie. Mon chien me témoigne énormément d’affection à chaque fois que je rentre à la maison. Il saute, me lèche la main, se roule par terre. Il en est de même chez les animaux sauvages : de nombreux parents témoignent envers leurs petits des gestes d’affection qui vont au-delà de comportements naturels visant à maximiser leur survie. Et dans un registre moins drôle, les éléphants et les orques pleurent leurs morts, dans un comportement qui s’assimile au deuil. Ces deux exemples suggèrent que les animaux ressentent cette forme d’amour dit de compagnie. Mais je parie que ce n’est pas à cet amour-là que vous pensiez quand j’ai démarré cette chronique spéciale Saint-Valentin qui approche. Qu’en est-il donc de l’amour romantique et passionnel ? Est-ce que les animaux peuvent tomber amoureux d’un partenaire ? Et bien les études s’accumulent pour suggérer que, d’une certaine manière … peut-être bien que oui. Prenons les albatros de Laysan, dont les couples vivent séparémmet durant l’année et se retrouvent lors de la saison des amours sur les plages de l’archipel d’Hawai. Et. bien je reprends les mots de la collègue Claudia Vinke, qui est biologiste à l'Université d'Utrecht aux Pays-Bas : … « Si vous voyez leurs retrouvailles, alors vous êtes en droit de croire qu’il y a plus qu'un simple lien d'attachement ». Tant ils chantent et se témoignent des gestes d’affection. Leur retrouvailles témoignent-elles de quelque chose qui nous rapproche de l’amour passionné ? Bon, attention à l’anthromorphisme ! Et rappelons-nous que lorsqu’on est un albatros, avoir un couple fidèle qui se montre de l’attachement, c’est particulièrement important pour maximiser les chances de survie des bébés. Un autre exemple parmi les oiseaux, c’est celui de l’histoire de Roy et Silo, un couple de manchots mâles vivant au zoo de central Park à New York. Ils ont reçu un œuf abandonné par un couple hétéro, et en ont pris grand soin, permettant la naissance d’une petite femelle nommée « Tango ». Pendant toute leur paternité, les deux papas n’ont jamais cessé de se manifester mutuellement des gestes d’affection l’un envers l’autre. L’argument du comportement dicté par l’instinct de reproduction est plus compliqué à défendre. Mettons les oiseaux de côté pour nous intéresser aux mammifères. Alexander Ophir, un neuroscientifique comportemental américain, pense globalement que les mammifères éprouvent des émotions plus fortes que les autres animaux, parce ce sont les seuls à disposer d’un système limbique, c’est-à-dire un ensemble de structures cérébrales qui jouent un rôle majeur dans l’expression des émotions et des comportements qui y sont associés. Ophir pense que grâce à ce système limbique, renards, gazelles, baleine, chauve-souris et tous les mammifères, auraient donc des sentiments plus forts que les autres animaux. Et ce neuroscientifique de rajouter que « tomber amoureux » serait en fait propre à l’Homme et absent des autres mammifères. En nous demandant si les animaux tombent amoureux, ne cherchons-nous pas en fait à répondre à la question « tombent-ils amoureux comme nous tombons amoureux ? ». Quand j’arrive à cette étape de mon article je fais face à une autre difficulté majeure liée à notre question de départ : démontrer que les animaux tombent amoureux, revient à prouver scientifiquement que l’amour éprouvé par un renard est comparable à l’amour éprouvé par un humain. Et vous me demanderez : et bien quoi ? c’est si compliqué que cela à démontrer ? Et bien oui ! Et je vous le prouve avec un simple test : « Aimez-vous votre conjoint plus fort que votre conjoint vous aime ? »… Si ma question est provoquante, c’est pour vous faire comprendre qu’il n’est pas simple de comparer les sentiments d’attachement et de passion de deux humains. Les humains ne tombent pas tous amoureux de la même façon. Alors imaginez une seconde le challenge pour les scientifiques de comparer les sentiments amoureux exprimés ‘globalement’ par les humains et ceux exprimés globalement chez un autre animal. Car au moins avec les humains, les psychologues peuvent soumettre des questionnaires qui évaluent l'intensité des sentiments amoureux. … oui oui cela existe … ça pullule d’ailleurs sur le net, mais j’avoue je n'ai jamais testé et je n’ai pas les compétences pour juger. Pour mesurer l’amour chez les humains et les autres animaux, les chercheurs peuvent compter sur l’imagerie par résonance magnétique. Cette technique formidable permet d’analyser les activités de votre cerveau associées à l’amour. Et c’est précisément ce qu’on fait des scientifiques chinois et américaines: ils ont demandé à des volontaires de regarder des photos de différentes personnes, parmi lesquelles il y avait leur amoureux ou amoureuses. Et à la vue du ou de la bien-aimé ils ont observé une activité intense dans l’amygdale, qui est le centre émotionnel du cerveau. Les scientifiques peuvent aussi mesurer l’amour via la sécrétion de nos hormones. Car l'amour romantique et passionnel serait le résultat de la combinaison de trois d’entre elles : la dopamine, l’ocytocine, et la vasopressine. Et des chercheurs ont démontré récemment que chez les espèces de campagnols qui forment des couples durables, les trois mêmes hormones étaient impliquées, et fonctionnaient de la même manière que chez nous. En d’autres termes, ces rongeurs en couple disposent des mêmes outils physiologiques pour ressentir l’amour passionnel. Alors ok, nous ne pouvons pas savoir avec certitude s’ils sont capables d’exprimer des sentiments amoureux comparables aux nôtres. Mais il est fort à parier que oui puisqu’ils ont les outils physiologiques qui les rendent possibles. Et finalement vous me direz, ça sert à quoi de le savoir ? A côté de la recherche fondamentale, la réponse à cette question peut être d’une importance capitale pour celles et ceux qui travaillent -par exemple- à la préservation des espèces en voie d’extinction. Car pour faciliter les accouplement et les naissances, ces scientifiques doivent les aider à former des couples, qui s’accepte et parfois même qui doivent s’aimer ! Je vous parlais justement dans une précédente chronique du travail de Meghan Martin qui a développé un protocole permettant la formation de couples de pandas en captivité, ce qui a conduit à de multiples naissances par la suite. « Les animaux tombent-ils amoureux ? » et bien je me permets de la citer : "L'amour n'est pas si simple pour nous humains, nous ne pouvons pas compter sur le fait qu'il soit aussi simple pour les autres animaux." |
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Février 2025
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