Les animaux peuvent-ils tomber amoureux ? C’est une question complexe mais une belle question. Si l’amour est le plus grand mystère de la vie, le deuxième plus grand mystère est peut-être de savoir si les humains sont les seuls à tomber amoureux. Dans cet article, on va se demander si les animaux ont des émotions ? S’ils éprouvent des sentiments amoureux ? On va découvrir ce qu’en disent les scientifiques spécialistes des comportements des animaux. On va parler d’albatros, de manchots, de campagnols, et je finirai par l’équivalent de l’application Tinder pour les pandas. Les animaux ressentent-ils l’amour ? La question est complexe je vous le disais, premièrement parce qu’il faut définir ce qu’est l’amour ! Pas évident, car sur cette simple définition, les humains ne sont déjà pas totalement d’accord entre eux ! Prenez la psychologue américaine Bianca Acevedo : elle explique que chez l’humain il existe différentes formes d’amour. Il y a par exemple l’amour passionné et romantique, que l’on peut décrire comme le désir intense d’union avec une autre personne ; mais il y a aussi l’amour qu’elle qualifie d’amour de compagnie : celui que nous ressentons à l’égard d’un frère, d’un enfant, ou d’un ami cher. Prenons ce dernier cas : Le règne animal regorge d’exemples d’amour de compagnie. Mon chien me voue énormément d’affection à chaque fois que je rentre à la maison. Il saute, me lèche la main, se roule par terre. Et je le lui rends bien, car la vérité c’est que j’éprouve pour lui le même sentiment d’amour de compagnie. Il en est de même chez les animaux sauvages : de nombreuses mères protègent et s’occupe de leurs petits. Ok, ce n’est pas le cas de toutes les bêtes, j’ai justement sorti une vidéo sur les pires mamans, allez la voir … mais tout à l’heure ! Et dans un registre moins drôle, les éléphants ou les orques pleurent leurs morts, dans un comportement qui s’assimile au deuil.
Ces exemples démontrent clairement que les animaux ressentent ce que Bianca Acevedo qualifie d’amour de compagnie. Mais je parie que ce n’est pas à cet amour-là que vous pensiez au départ en cliquant sur cet article. Qu’en est-il donc de l’amour romantique et passionnel ? Est-ce que les animaux peuvent tomber amoureux d’un partenaire ? Et bien les études s’accumulent pour suggérer que, d’une certaine manière … peut-être bien que oui. Mais vous allez voir il faut nuancer. J’ai plusieurs exemples à vous présenter, certains sont particulièrement interpellants pour les scientifiques. Premier exemple, les albatros de Laysan. Ces oiseaux se choisissent un partenaire à la fin de leur adolescence. Le couple reste uni à vie ! Même si les amants vivent séparés l’un de l’autre la majeure partie du temps, ils se retrouvent chaque année pour s’accoupler sur une plage et élever leurs petits des semaines durant. Les deux parents restent alors fidèles l’un à l’autre et se manifestent mutuellement de l’attachement. Je reprends les mots de la collègue Claudia Vinke, qui est biologiste à l'Université d'Utrecht aux Pays-Bas : Elle dit : « Si vous voyez leurs retrouvailles, alors vous êtes en droit de croire qu’il y a plus qu'un simple lien d'attachement. ». Leur retrouvailles témoignent-elles de quelque chose qui nous rapproche de l’amour passionné ? Bon, soyons de bon compte, cet union est surtout motivée par un besoin sexuel, et plus particulièrement un besoin de reproduction, plus que par une réelle passion l’un pour l’autre. Si ces deux albatros préfèrent s’unir pour la vie, c’est parce qu’ils ont d’abord passé beaucoup de temps à se choisir un partenaire et à se faire la cour. Ce serait ennuyant de devoir tout recommencer chaque année. Mais se montrer de l’attachement et in fine rester fidèle, c’est surtout particulièrement important pour élever des bébés qui, pour cette espèce animale, ont besoin des soins de leurs deux parents pour survivre. Typiquement, pendant que l’un récolte à manger, l’autre protège les jeunes. J’ai décrit les autres comportements surprenants des albatros dans mon dernier livre: La Cigale et le Zombie. Un autre joli exemple parmi les oiseaux, c’est l’histoire de Roy et Silo, deux manchots mâles qui se sont rencontrés au zoo de central Park à New York. Les soigneurs les ont observés en train de mener des rituels d'accouplement typiques de leur espèce, notamment l'entrelacement de leur cou et des cris d'accouplement. Le couple a été observé en train de se fabriquer un nid conjoint, puis ils ont couvé, ensemble, un cailloux comme s'il s'agissait d'un de leur œuf (qu’ils ne peuvent pas pondre je vous rappelle, ce sont deux mâles). Ils ont également tenté de voler les œufs de couples voisins. Les gardiens du zoo ont eu l'excellente idée de leur donner l’un des deux œufs d'un couple hétéro de manchots. Roy et Silo ont incubé l'œuf pendant 34 jours et ont passé deux mois et demi à élever le jeune poussin en bonne santé, une femelle qui a été nommée « Tango », qui a reçu tous les gestes d’amour de ses deux papas. Ceux-ci n’ont jamais cessé de se manifester mutuellement des gestes d’affection pendant toute cette période de paternité. Je vous pose la même question que pour les albatros : Selon vous, sommes-nous ici dans la définition de l’amour passionnel ? Et si les relations conjugales des oiseaux vous passionnent, j’ai fait une vidéo sur les tétras des armoises. Ils pratiquent le speed dating ! Bon, les animaux tombent-ils amoureux ? Mettons les oiseaux de côté pour nous intéresser à présent aux mammifères, comme les chiens, les chats, les cerfs, les pandas, les chimpanzés ou les humains. A l’instar d’Alexander Ophir, un neuroscientifique comportemental à l'Université de Cornell, les scientifiques pensent globalement que les mammifères éprouvent des émotions plus fortes que les autres animaux, parce ce sont les seuls à disposer d’un système limbique. Vous affolez pas je clarifie : il s’agit d’un ensemble de structures cérébrales situées dans la région médiane et profonde du cerveau, et jouant un rôle majeur dans l’expression d’émotions, et des comportements qui y sont associés. Ok, donc grâce à ce système limbique, les mammifères auraient des sentiments plus forts que les autres, mais ces sentiments sont-ils comparables à l’amour passionné des humains ? Notre neuroscientifique lui, a une opinion claire sur cette question : « les humains sont des mammifères bizarres qui sont les seuls à vivre cette expérience de l’amour ». Il pense que « tomber amoureux » est en fait propre à l’Homme et serait absent chez les autres mammifères. Mais sur quoi se base-t-il pour affirmer cela? On a déjà vu que définir l’amoureux c’est compliqué. Mais il faut à cette étape de l'article reconnaitre une deuxième difficulté majeure liée à notre question de départ : démontrer que les animaux tombent amoureux, reviens à prouver scientifiquement que l’amour éprouvé par un mammifère est comparable à l’amour éprouvé par un humain. Et vous me demanderez : et bien quoi ? c’est si compliqué que cela ? Et bien oui, et je vous le prouve avec un simple test : « Aimez-vous votre conjoint plus fort qu’il ou elle vous aime ? ». Si ma question est provoquante, c’est pour vous faire comprendre qu’il n’est pas simple de comparer les sentiments d’attachement et de passion de deux humains. Alors imaginez une seconde le challenge pour les scientifiques de comparer les sentiments amoureux exprimés par les humains et ceux exprimés chez un autre animal. Car au moins avec les humains, les psychologues peuvent soumettre un questionnaire qui permet d’évaluer l'intensité des sentiments amoureux. Heureusement, les chercheurs peuvent compter sur une technique formidable qu’est l’imagerie par résonance magnétique. Cette technique permet d’analyser les activités de votre cerveau associées à l’amour. Et c’est précisément ce qu’on fait en 2015 des scientifiques américaines et chinois : ils ont demandé à des volontaires de regarder des photos de différentes personnes, parmi lesquelles leur amoureux ou amoureuses. Et oui, ils ont observé une activité intense dans l’amygdale, qui est le centre émotionnel du cerveau, ainsi que dans les zones associées à la mémoire et à la concentration intense. Les scientifiques peuvent donc enregistrer l’amour chez des humains grâce aux activités cérébrales. Ils peuvent le faire aussi avec la sécrétion de nos hormones. Ils s’accordent pour associer l'amour romantique à trois hormones principales : la dopamine, ocytocine, vasopressine. La dopamine est le principal neurotransmetteur du plaisir, qui trahit les sentiments romantiques et qui joue un rôle important dans l’excitation sexuelle. L'ocytocine et la vasopressine sont plus intimement liées à l'attachement et au lien que vous établissez avec une personne qui vous est chère. Leurs concentrations est plus importante dans le sang d’une personne amoureuse. Alors tout cela ce sont les humains vous me direz. Peux-tu revenir à la question de départ : les animaux peuvent-ils tomber amoureux ? Et bien, les chercheurs ont observé des réactions hormonales similaires chez les campagnols, des rongeurs dont certaines espèces sont monogames et d’autres espèces qui ne le sont pas. Chez les espèces monogames, (donc pour lesquelles des couples se forment) les récepteurs aux hormones de l’amour sont plus abondants. Les campagnols qui forment des couples disposent donc des mêmes hormones et autres outils physiologiques que les humains pour ressentir l’amour passionnel. Bon, même si les autres mammifères ont des hormones et des organes comparables aux nôtres, nous ne pouvons pas savoir avec certitude s’ils sont capables d’exprimer des sentiments amoureux comparables aux nôtres. Mais il est fort à parier que oui. Et finalement vous me direz, ça sert à quoi de le savoir ? Comprendre si oui, et comment les animaux tombent amoureux peut être d’une importance capitale pour les scientifiques qui travaillent à la préservation des espèces en voie d’extinction. Car pour faciliter les accouplement et les naissances, ces scientifiques doivent les aider à former des couples, qui s’aiment ! C’est le cas de Meghan Martin, professeure de biologie à la Washington State University, qui s’intéresse à la reproduction des pandas géants. Vous savez sans doute que ces grosses bêtes ne sont pas particulièrement connues pour leurs envies de … Alors elle met en place des séances de « speed-dating pour pandas ». Avec son équipe, elle crée une « allée des amoureux » où une femelle panda se promène dans un couloir rempli de partenaires potentiels. Les scientifiques enregistrent les comportements de la femelle, positifs et négatifs, afin de comprendre par quel mâle elle est attirée. Parce que vous vous en doutez, mais prendre en compte le choix du partenaire et les sentiments d’attachement et de passion, c’est important si on veut voir deux individus s’unir, et sauver leur espèce de l’extinction. Et Meghan Martin de rappeler que si "L'amour n'est pas si simple pour nous humains, nous ne pouvons pas compter sur le fait qu'il soit aussi simple pour les animaux."
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Tous les parents du monde ne font pas du bon boulot. Et le règne animal regorge de pères et de mères exécrables. Sur ce sujet j’ai l’embarras du choix, mais j’ai choisi de vous parler du quokka. Le quokka, cette « sorte de rat, aussi gros qu’un chat domestique ». C’est pas moi qui le dit, ce sont les mots du Néerlandais, Willem de Vlamingh, qui a décrit le Quokka pour la première fois à la fin du 17ème siècle, après avoir foulé le sol d’une île nouvellement explorée, située à une vingtaine de kilomètres des côtes du Sud-Ouest australien.
Il a d’ailleurs nommé cette île Rottnest qui veut littéralement dire « nid à rats ». Et l'île porte toujours ce joli nom aujourd’hui. Le Quokka n’a pourtant rien d’un rat. En réalité, il ressemble beaucoup aux autres wallabies qui peuplent l’Australie : sa fourrure est courte, très grossière et épaisse, de couleur gris-brun sur la plus grande partie du corps. Il pèse de 3 à 4 kilos et mesure environ 50 centimètres. Le quokka est l’une des très nombreuses espèces animales endémiques de l’Australie. Contrairement aux koalas, les quokkas se nourrissent des feuilles, tiges et racines de nombreux végétaux. Leur besoin en eau est considérable : cette eau douce est trouvée directement dans leur alimentation. Comme les vaches, il arrive que les quokkas régurgitent leur nourriture afin de la mâcher une seconde fois. Cette stratégie leur permet d’ingurgiter une grande quantité de nourriture dans des zones dangereuses car exposées aux prédateurs, puis de mastiquer convenablement celle-ci une fois à l’abri. Une autre particularité comique liée à l’alimentation des quokkas : ils stockent de la graisse dans leur queue, et puisent dans ces réserves lorsque la nourriture vient à manquer. Quand ils mangent trop, ils ont donc la queue qui gonfle. Comme le kangourou, le quokka est un mammifère marsupial : leurs jeunes naissent très tôt -après un mois de gestation- mais dans un état de développement précoce que l’on nomme larve marsupiale. Ces larves rejoignent alors une poche ventrale -le marsupium- où sont protégées les mamelles de leur mère. Les quokkas qui vivent sur le continent doivent faire face aux attaques de renards. Et bien qu’ils n’aient pas de moyen de se défendre, les jeunes mères ont leur technique bien à elle … pour sauver leur peau. Les scientifiques ont observé, un peu par hasard, cette technique lors de travaux réalisés sur le terrain. Leur boulot consistait à attraper des quokkas afin de leur placer des colliers munis de puces GPS. A l’approche des chercheurs, les femelles prises au piège tentent de s’échapper. Les chercheurs ont constaté que dans ce mouvement de panique, un petit peut être expulsé de la poche marsupiale. Il tombe alors au sol, se met à gesticuler et à « siffler » bruyamment. Bon, voyant que leur vie n’est pas en danger, les mères récupèrent systématiquement leur jeune, et les replacent au chaud dans la poche. Excès de panique ? Simple accident ? Sachant que ces marsupiaux possèdent de nombreux muscles puissants au niveau de leur poche, il est peu probable que l’ouverture de celle-ci soit parfaitement involontaire. Non non non, mesdames quokkas, les chercheurs vous ont jugé COUPABLE ! La décontraction de la poche marsupiale est considérée par les scientifiques comme un moyen de défense volontaire contre les prédateurs. Lorsqu'une mère prend conscience d’une attaque d’un prédateur, elle décide d’expulser son petit. Ses cris attirent l'attention du prédateur qui se délecte du jeune et se détourne donc de la mère en fuite. Les quokkas ne sont pas les seuls. Des comportements comparables ont été observés chez d'autres marsupiaux comme les kangourous gris ou les wallabies. Alors jugez pas trop vite ces mères : ce comportement s’explique au regard des très faibles chances de survie des femelles qui ne pratiqueraient pas ce comportement. Autant sauver sa vie et espérer pouvoir donner de nombreuses autres naissances durant le reste de leur vie sauvée. En savoir plus: Hayward MW, De Tores PJ, Augee ML, Banks PB (2005). Mortality and survivorship of the quokka (setonix brachyurus) (macropodidae : Marsupialia) in the northern jarrah forest of western australia. Wildlife Research, 32(8), 715-722. Le 24 novembre 1859, Charles Darwin publiait sa théorie de l’évolution par la sélection naturelle. Et aujourd’hui toujours, certains rejettent cette idée que les espèces vivantes changent. Parmi les arguments souvent avancés : celui que personne n’a jamais vu de ses yeux l’évolution opérer. Même si l’évolution prend habituellement beaucoup de temps, il existe quelques exemples d’évolution fulgurante, rendant la théorie de Darwin observable au cours d’une seule vie d’homme. Dans cette vidéo, je vais vous parler de mouches, de lézards, de ventilateurs, de mer des caraïbes et d’ouragans. Installez-vous, ne bougez pas, c’est tout de suite après ça. Petit rappel de ce qu’est la théorie de l’évolution par la sélection naturelle. Imaginez une population d’une espèce quelconque, disons un animal. Des hamsters … vous aimez les hamsters ? Ils sont très nombreux et vivent en paix dans une vallée merveilleuse où rien ne manque. Ils sont tous un peu différents les uns des autres, certains sont un peu plus petits, d’autres ont une queue un peu plus longue, certains ont un peu plus de poils sur le crâne, d’autres encore ont des couleurs plus vives que leurs voisins. Mais un jour un monstre horrible arrive, et mange tous les hamsters. Sauf ceux qui sont trop jaunes, parce que … il n’aime pas la couleur jaune. Seuls les hamsters jaunes survivent, peuvent avoir des petits, qui sont eux aussi jaunes, comme leur parent. Et ainsi, génération après génération, notre population d’hamsters s’enrichit d’individus jaunes. Et en quelques millions d’années, la vallée merveilleuse est peuplée de hamsters majoritairement jaunes. La théorie de l’évolution, ce n’est pas la lois du plus fort ! Mais celle du plus adapté à son environnement, à un moment donné. Et puisque l’environnement change tout le temps, les espèces vivantes s’y adaptent … tout le temps. Si vous élevez des mouches dans une cage donc, vous vous rendrez compte que de temps en temps il y a des mouches qui naissent sans ailes. C’est le fruit d’une mutation rare, et quand on est une mouche et bien ce n’est pas génial : difficile de trouver à manger ou de séduire un partenaire. Donc les mouches sans ailes finissent par mourir, et restent toujours très rares. Elles ne sont tout simplement pas adaptées à leur environnement ! Mais si vous placez un ventilateur face à la cage d’élevage, que se passe-t-il ? Et bien le vent souffle dans les ailes des mouches qui sont plaquées aux parois de la cage. Incapables de se déplacer, elles meurent. Sauf quelques-unes : celles qui n’ont pas d’ailes ! Pour celles-là, il est plus simple de survivre, et de se reproduire dans ces nouvelles conditions. Et finalement, après plusieurs mois d’élevages sous ventilateur, vous vous retrouver avec une population de mouches sans ailes. Je le répète, la théorie de l’évolution, ce n’est pas la loi du plus fort, mais celle de celui qui est le mieux adapté à son environnement, à un moment donné. |
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AuteurFrançois Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège Archives
Novembre 2024
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