François VERHEGGEN
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17/12/2023

LA REINE DES RATS-TAUPES NUS EST TYRANNIQUE

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Dans cet article, je vais vous parler d’une reine qui fait régner la terreur dans tout son royaume. Une souveraine qui n’hésite pas à harceler ses sujets, à les surveiller et à les forcer à travailler. Nous allons découvrir une dirigeante autoritaire, à l’allure physique très imposante, et qui n’hésite pas à recourir à des stratagèmes malfaisants pour atteindre son but. 

Nous partons aujourd’hui en Somalie, à l’Est du continent Africain. Notre reine tyrannique on ne va pas la trouver dans les airs, dans la mer, ni à la surface de la terre. Son royaume à elle, il est souterrain. 
 
Pour faire sa rencontre nous devons traverser quelques galeries et atteindre la loge royale. Elle, c’est la reine d’une colonie de rats taupes nus. Des rats-taupes nus. Imaginez une petite taupe, complètement imberbe – à l’exception de quelques poils qui lui servent de moustache. Son corps revêt une couleur rosée. Sa tête est équipée de toute petites oreilles, une paire d’yeux atrophiés et deux paires d’énormes incisives.  ​
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La reine de cette colonie de rat-taupe a acquis son titre par la force, après parfois de violentes confrontations avec les autres prétendantes. À la suite de son accès au trône, son corps a subi une forte poussée hormonale qui a notamment pour effet d’écarter ses vertèbres, et donc d’augmenter sa taille. Son bassin élargi est ainsi devenu parfaitement adapté pour accueillir de multiple grossesses. 

 
Elle est d’ailleurs la seule de la colonie à être autorisée à enfanter. Et elle ne s’en prive pas, elle se choisi une poignée de mâles pour constituer son harem, et a jusqu’à quatre portées d’une dizaine de jeunes, chaque année, pendant toute la durée de son règne, qui peut durer des dizaines d’années ! Les autres femelles et mâles qui composent la colonie ne se reproduisent donc pas, et pour s’en assurer, la reine des rats taupes les … les stérilisent ! 

Elle rappelle constamment sa position de cheffe par la violence. Cela va de la simple bousculade à des réprimandes plus agressive, ponctuées de coups de dents et de coups de griffes. Résultat : ses sujets sont tellement stressés que cela annule leur envie de s’accoupler. Parmi les autres conséquences de ces agressions c’est qu’elles réduisent aussi le désir de désobéissance de ses sujets, qui se tiennent droits, et ne se rebellent pas contre l’autorité. Ils ont bien trop peur de se faire agresser de plus belle. 
 
Les chercheurs, qui ont publié ce travail dans le journal Nature, ont aussi démontré que chaque agression par la reine avait pour effet d’augmenter la productivité de ses sujets. Et du travail y en a. La reine ne laisse d’ailleurs aucun de ses sujets à l’oisiveté. Que l’on soit une femelle âgée d’une vingtaine d’années ou un mâle terminant à peine sa puberté, tout le monde travaille. ​

Le rôle d’un rat taupe nu est fonction de sa taille : un individu de petite taille sera affecté à la caste ouvrière et se retrouve chargé de l’entretien du logis et des soins aux nouveau-nés. Alors qu’un individu de plus grande taille est enrôlé dans l’armée locale, il est désigné soldat. Un soldat est dispensé des tâches ménagères, mais se retrouve en première ligne lorsqu’il faut défendre le terrier contre d’éventuels intrus. 


Notez bien qu’il n’y a pas de sexisme chez les rats taupes nus, il y a des soldates et des mâles nourrices. 
 
Comme dans toutes les communautés, il y a des individus paresseux : par exemple un soldat qui rechigne à arpenter les tunnels à la recherche d’intrus ; ou bien un ouvrier à qui il déplait de creuser une nouvelle galerie. Et ça la reine n’apprécie pas ! Alors quand elle sent que ça ne travaille pas assez, elle quitte sa loge royale et distribue les réprimandes envers les plus lents. 

Ce que la reine souhaite, c’est que sa colonie grandisse et prospère. Mais avec l’âge, elle donne naissance à de moins en moins de jeunes. Pour pallier ce problème, la reine peut décider d’envoyer ses soldats faire la guerre à la colonie de rat taupe nus voisine et de faire des otages. 
 
Les soldats rentrent alors sur le territoire de l’ennemi, mordent violemment tous les rats-taupes qu’ils y rencontrent. Puis, ils s’introduisent dans les galeries ennemies, y recherchent la nurserie, et ramènent avec eux quelques nouveau-nés. Leur souveraine les nourrit jusqu’à la puberté, puis les réduit en esclavage en les assignant aux tâches d’entretien les plus ingrates. ​
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Mais parfois une rébellion discrète se prépare! En 2021, des chercheurs américains ont montré que certains individus, situés tout en bas de l’échelle sociale, semblent en effet vouloir un avenir meilleur. Le profil type d’un rebelle, c’est un mâle, de grande taille et qui travaille généralement peu. Cet individu aspire à abandonner sa colonie natale pour partir à la recherche d’une autre communauté. Une communauté où il aura surtout le droit de se reproduire avec la reine locale. Les scientifiques ont noté que de grandes quantité d’hormones coulent dans ses veines, et qu’elles sont responsables de ses envies de fuite. 
 
Vous vous doutez bien que la reine ne compte pas le laisser filer en lui faisant un bisou sur la joue. Non. Elle est omniprésente et repère vite les futurs déserteurs, qu’elle réprimande d’ailleurs de plus belle. Malgré tout, il y a de temps en temps un rebelle qui prend son mal en patience. Il guette la moindre opportunité de s’évader. Et le moment venu, il se rue vers la sortie des galeries. 

​Si son audace paye, alors il s’insérera dans sa colonie d’accueil, et parviendra peut-être à s’insérer au sein du harem royal. Et si c’est le cas, alors il parviendrait, sans réellement le savoir, à réduire la consanguinité dans sa colonie d’accueil et ainsi à aider son espèce à survivre.

​Ce texte est basé sur les travaux scientifiques suivants : 
Reeve HK (1992). Queen activation of lazy workers in colonies of the eusocial naked mole-rat. Nature 358, 147-149.
Braude S, Hess J, Ingram C (2021) Inter‐colony invasion between wild naked mole‐rat colonies. Journal of Zoology 313 : 37-42.

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    François Verheggen, Professeur de Zoologie, Université de Liège

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